Fletcher Henderson, ou La splendeur d’Henderson, inventeur du big band…

Cet homme si bien élevé, distingué et affable est aujourd’hui salué comme l’éminence grise la plus influente du premier jazz. Grise ? La couleur ne sonne pas juste, lui qui n’aimait que le rose. Les voitures roses, les cravates roses sur des chemises roses. Était-ce parce qu’en 1924, c’est au Roseland Ballroom de New York que sa première formation, le « Club Alabam Orchestra », connut son premier triomphe.

fletcher Henderson
Fletcher Henderson
Fletcher Henderson. Panama. 1925

La raison principale ? L’engagement de jeunes recrues qui à son contact auront vite la révélation de leur talent : sa majesté le « King of Saxophone », Coleman Hawkins, bien sûr, mais aussi Don Redman, Tommy Ladnier, Rex Stewart, Joe Smith, Jimmy Harrisson, Buster Bailey et plus tard Benny Carter. Mais, c’est une irruption soudaine, une éruption solaire qui va tout faire exploser dans son orchestre : celle de Louis Armstrong qui, à 23 ans, vient de quitter Chicago et King Oliver pour rejoindre New York et Fletcher Henderson pour son rendez-vous avec la gloire…

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Une petite histoire du Big Band…

Le big band (Grand orchestre), est le standard de grande formation utilisé dans le jazz. Imaginé vers le début des années 20, il est encore utilisé de nos jours. Le big band est régi par la loi des « sections », ou ensembles d’instruments d’une même famille (On parle de « pupitres » dans l’orchestre classique), mais la différence principale réside dans le fait que dans le Big band, chaque voix est unique (Dans l’orchestre classique, les voix sont doublées, triplées, quadruplées…). 

histoire Big band

NB : Cet article contient des audios représentatifs. Les images de pochettes d’albums vous renvoient à des liens YouTube pour écouter les artistes. Parfois les noms de musiciens ou de groupes aussi. Enfin, une sélection de liens intéressants vous attend également en fin d’article…

La formule du big band a subi des modifications au fil des ans, d’abord constituée de 3 anches (Clarinettes jouant le saxo), 2 cornets, 1 trombone et une section rythmique, la nomenclature va se standardiser au début des années 30. On trouvera alors : 3 ou 4 trompettes, 3 trombones, 5 saxophones (2 altos, 2 ténors et un baryton) et une section rythmique (Piano, contrebasse, batterie et guitare). Le quatrième trombone (Trombone basse) n’arrivera dans la section que dans les années 60.

LES PREMICES…

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Real Books, Fake Books, Anthologie des grilles de jazz…

Leur histoire, et comment les utiliser…

Real book
Real Book

Fake Books…

L’origine des Fake Books, Real Books et autres “Lead sheet”, est plus ancienne qu’on ne le pense. (Le « Lead sheet » est une partition qui se présente sous la forme d’une mélodie surmontée d’un chiffrage d’accord, c’est une sorte de condensé d’un morceau).

Elle provient des éditeurs de musique et principalement de George Goodwin, le directeur des programmes d’une radio de New-York, dans les années 40. Il s’agit du « Tune-Dex » (Index des morceaux), qui se présentait sous forme de fiches auxquelles les musiciens ou programmateurs professionnels s’abonnaient. Ces fiches contenaient les infos légales de la chanson, et la mélodie avec les accords chiffrés. Près de 25.000 cartes Tune-Dex auraient été mises en circulation entre 1942 et 1963. 

Les musiciens de jazz se sont rapidement emparés de ces Tune-Dex pour détourner les chansons de Broadway et les adapter pour leurs orchestres. Le mot « Fake Book » vient de l’expression utilisée par les musiciens de l’époque : « To fake one’s way through a song » (Faire illusion, faire penser que l’on connait le morceau). On pouvait en effet à l’aide de ces fiches, jouer sur scène un morceau que l’on ne connaissait pas ! Ce Fake Book se distribue et se vend alors sous le manteau de façon totalement illégale…

Real Books…

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MILES DAVIS et JOHN COLTRANE : Histoire d’une rencontre tumultueuse 

L’histoire du jazz est riche d’histoires de rencontres décisives qui ont changé son cours. De ces réunions improbables entre deux fortes personnalités finalement condamnées, un jour ou l’autre, à se croiser et dialoguer pour inventer ensemble un nouvel horizon. A preuve, les rencontres entre Louis Armstrong et Earl Hines, Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, Dizzy Gillespie et Charlie Parker, Charles Mingus et Eric Dolphy, etc. L’histoire de la rencontre musicale qui rapprocha pendant plus de cinq années, de 1955 à 1960, les destins de deux géants du jazz moderne, est l’objet d’un coffret magique : « Miles Davis with John Coltrane : The Complete Columbia Recordings ». 

Miles Davis John Coltrane
Miles – Coltrane

Retour sur une aventure aussi passionnée que tumultueuse qui bouleversa le langage et le paysage du jazz : 

En cette fin de l’année 55, Miles Davis est un homme heureux. L’année précédente, après moult tentatives infructueuses, il a enfin réussi à décrocher de la drogue et à devenir « clean ». En juillet, invité surprise du premier festival de Newport, il connaît un triomphe inespéré en jouant « Round Midnight » aux côtés de Thelonious Monk. A peine sortie de scène, le producteur George Avakian lui tombe dessus pour lui demander de signer un contrat d’exclusivité avec le prestigieux label Columbia. A l’époque, Miles était sous contrat chez Prestige jusqu’en 1956. Il trouvera vite avec Avakian une parade astucieuse : il enregistrera très vite les quatre disques qu’il doit à Bob Weinstock, le patron de Prestige, mais aussi, en cachette, pour Columbia, dès octobre 55, des bandes qui ne sortiront finalement qu’en 1957. Ce sera l’album « Round about Midnight » qui connaîtra tout de suite un formidable succès public.

A l’automne 55, Miles Davis a constitué un tout nouveau quintette composé de Philly Joe Jones à la batterie, Paul Chambers à la contrebasse, Red Garland au piano et de John Coltrane au sax. « Ce groupe est vite entré dans la légende, dira Miles dans son autobiographie, et m’a permis d’exister enfin sur la carte du monde musical ». Nés tous les deux en 1926, Miles et Trane n’avaient en fait que quatre mois de différence. Mais, au niveau de la notoriété et de la maturité, la différence était beaucoup plus importante. Le jour et la nuit. Alors que Miles pouvait se vanter d’être déjà une « vedette » du jazz, d’avoir joué tout jeune aux côtés de Charlie Parker et participé activement à la naissance du cool, le saxophoniste n’était encore qu’un illustre inconnu. A preuve, on ne connaît quasiment pas de solos de Coltrane avant sa venue chez Miles si ce n’est de courtes interventions à l’alto dans l’orchestre de Johnny Hodges ou dans le sextette de Dizzy Gillespie. C’est donc bien Miles qui le premier sortit « Trane » de l’anonymat pour le propulser sur le devant de la scène.

Budo. Miles Davis quintet

Entre eux naquit tout de suite une amitié durable, une complicité musicale rare et profonde. « J’adorais John, confesse-t-il. C’était un type très spirituel. ». Pourtant leur personnalité était pour le moins contrastée. Miles jouait au dandy surdoué qui ne donnait jamais l’impression d’avoir à travailler son instrument et qui, dès qu’il avait fini de jouer, ne s’intéressait au sortir d’un concert ou d’un club qu’à la jolie fille avec qui il passerait la nuit. Coltrane était tout le contraire. La musique était toute sa vie. C’était un obsédé du sax qui travaillait son instrument jour et nuit, comme un forcené. Il appelait Miles « professor », ce qui avait le don d’agacer le trompettiste, et n’arrêtait pas de le harceler « de putains de questions sur ce qu’il devait jouer ou ne pas jouer ».

Miles Davis John Coltrane
Miles – Coltrane

Le principal problème de ce quintette de rêve, c’est qu’à l’exception de Miles, les quatre autres musiciens étaient tous gravement accros à l’héro. Miles souffrait particulièrement de voir « Trane » conspirer avec autant d’obstination contre lui-même et s’auto-détruire en buvant des quantités d’alcool et prenant des doses de drogue vraiment hallucinantes. « Il était comme Bird. Quand on est un génie de ce calibre, on voit et vit les choses à l’échelle supérieure, c’est à dire à l’excès. On devient une espèce de monstre ». Excédé par ses abus, plusieurs fois Miles vira Coltrane de l’orchestre. « Un soir à New-York, j’étais tellement en rogne de le voir aussi abruti par la dope que je l’ai boxé dans les loges. Coltrane n’a même pas réagi. Seul Monk qui assistait à cette pénible scène lança à John : « Tu ne vas pas accepter de te faire maltraiter de la sorte. Quitte ce mec et viens jouer avec moi ». Traumatisé d’être une nouvelle fois renvoyé de l’orchestre, Coltrane prit enfin, au printemps 57, la décision de faire « cold turkey », c’est à dire un sevrage de drogue radical et définitif en s’enfermant dans une chambre solitaire pendant plus d’une semaine. 

Cette épreuve fut pour Coltrane, qui se sentit soudainement « investi d’une mission musicale », une vraie Rédemption : « J’ai fait alors l’expérience d’un réveil spirituel qui m’a conduit à une vie plus pleine, riche et créative. » Après avoir joué dès juillet 57 plusieurs semaines avec Monk au Five Spot pour y expérimenter une nouvelle liberté dans sa façon de jouer et enregistré « Blue Train » pour Blue Note, John réintègre en décembre 57 l’orchestre de Miles qui devient alors sextette avec l’arrivée de Cannonball Adderley à l’alto. Bientôt Bill Evans remplacera Red Garland. C’est ainsi qu’au printemps 59, Miles et ses complices enregistrent en deux séances « Kind of Blue », le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, un pur joyau du jazz moderne qui semble aujourd’hui aussi neuf et parfait qu’au premier jour. 

C’est dans cet album (le tout premier 33 tours que j’ai jamais acheté chez le disquaire Raoul Vidal, place Saint Germain-des-Prés – j’avais 15 ans !! – dans sa splendide version Fontana publiée par Boris Vian !!!!) que se joue, sur la durée, le tournant du jazz modal déjà expérimenté dans « Milestones » au printemps 58. C’est aussi dans ce disque phare que l’on trouve « So What », « le solo de trompette le plus lyrique du XXe siècle, la première improvisation modale consciente d’elle-même » selon George Russell. John Coltrane s’en souviendra lorsqu’il enregistrera peu après « Impressions ».

Après une ultime tournée en Europe pendant l’été 1960 au cours de laquelle il se fera copieusement huer à l’Olympia, le saxophoniste quittera définitivement l’orchestre pour voler de ses propres ailes, créer son propre quartet et éclabousser de tout son génie la décennie à venir. Mais cela est une autre histoire…

Dear Old Stockholm. Miles Davis quintet

Pascal Anquetil 

Miles Davis with John Coltrane : « The Complete Columbia Recordings », un coffret Sony de 6 CD, dont 18 prises inédites, accompagné d’un livret de 116 pages avec de nombreuses photographies.

Django Reinhardt

Django ultime, ou l’embellie bebop…

« Le démon de mon cœur s’appelle à quoi bon » disait Bernanos. En cette fin des années quarante, le même mal insidieux ronge le guitariste. A quoi bon la musique ! A quoi bon accepter la proposition de Benny Goodman qui l’invite à le suivre en Amérique dans sa formation ! A quoi bon s’engager dans la lutte intestine qui oppose le Anciens et les Modernes, la querelle des « figues moisies » et des « raisins aigres » ! « To bop or not to bop », telle n’est pas la question. Django est déjà ailleurs, c’est-à-dire nulle part, dans son monde intérieur aux contours aussi flous et précis que les… nuages. Même s’il demeure pour beaucoup toujours une légende, il n’est plus à la mode, plus un éclaireur, plus la « vedette » des nuits parisiennes qu’il était pendant l’Occupation. Le ténébreux Manouche le sait et il s’en fout.

django Reinhardt

« Ne me parlez plus de musique » dit-il à tous ceux qui l’encouragent à jouer. Obstiné, taiseux et désenchanté, Django préfère la solitude de la pêche à la mouche et le refuge dans la peinture. Il en avait découvert les joies et les couleurs en 1946 dans des chambres d’hôtel new-yorkaises pour tromper son ennui et adoucir son amertume pendant son séjour américain dont le « ratage » avait blessé au plus vif son orgueil. Pourquoi la peinture ? « J’avais beaucoup d’amis qui peignaient, dira-t-il en 1952 au micro de Dolly Steiner. Cela m’a donné envie de les voir peigner (sic) et j’ai peigné (sic) » C’est aussi simple !

Interview 1952 Django Reinhardt et la peinture
Interview 1951. Django peint en Fa# mineur…

En 1949, Django décide de vendre son appartement de la Place Pigalle et s’achète dans la foulée une Lincoln et une caravane pour reprendre la route et retrouver sa liberté. Il n’ira pas loin. La belle Américaine tombe en panne aux environs du Bourget dans une zone où stationnent d’autres Manouches. Il y établit son campement et s’installe dans un hangar voisin. D’atroces douleurs dentaires le mettent au supplice et le rendent de plus en plus ombrageux et taciturne. Mais il se refuse à se faire soigner par peur des dentistes, « ce gens insensibles qui font si mal ». A force de patience, son vieux copain André Ekyan arrivera finalement à le persuader à consulter et à se faire poser un appareil dentaire. Tous les visiteurs du bougon du Bourget sont consternés de le voir alors « disparaître avec tous ses trésors dans la pénombre de la vie manouche » (Patrick Williams) et de constater qu’il a raccroché sa guitare au fond de sa roulotte. « Elle était couverte de poussière, se souvient le clarinettiste Gérard Lévêque, les cordes étaient à moitié moisies et rouillées. » 

Rien ne semble en 1950 pouvoir sortir Django Reinhardt de son aquoibonisme existentiel et de son fatalisme tzigane. Au retour d’une tournée à Rome, il dissout la toute dernière mouture du Quintette du Hot Club de France. Quand on vient dans sa roulotte lui proposer un concert au cachet très élevé, Django soulève son matelas et montre un lit de billets. « De l’argent, en voilà, réplique-t-il avec colère. Je n’en ai pas besoin, ça ne m’intéresse pas. » Autre exemple de sa mauvaise humeur : le promoteur anglais Peter Morris propose un jour à Stéphane Grappelli de retrouver Django pour faire ensemble une tournée aux Etats-Unis. Stéphane quitte immédiatement Londres pour Paris et se lance à la recherche du guitariste. « Impossible de le retrouver. Finalement, je le rencontre près du Bourget. Il était plutôt silencieux, me répondant à peine. Il paraissait aigri, méfiant. Quelque chose semblait cassé chez lui, comme une blessure dont on ne guérit pas. Je lui propose la tournée. Il refuse tout net et m’envoie promener d’un air à la fois furieux et stupéfait. « Cela ne me dit rien » sera sa seule réponse. C’est la dernière image que j’ai de Django Reinhardt. »

Et pourtant, au tout début de1951, le miracle arrive : Django retrouve l’envie et le bonheur de jouer. Comment expliquer une telle embellie finale ? Un chant du cygne à quarante ans semble très improbable. Serait-ce plutôt une mystérieuse prémonition de sa mort prochaine qui lui font pousser de nouvelles ailes du désir ? Qu’est-ce qui pousse donc le farouche Manouche à briser son isolement et à se mettre en danger en s’inventant un autre avenir. Première réponse : d’abord il y a la découverte décisive de la guitare électrique. On le sait, Django jouait sur une guitare Selmer Maccaferi très difficile à maîtriser. Les cordes de sa guitare n’étaient pas dures, mais très hautes. « Ce n’étaient pas des doigts qu’il fallait pour appuyer, mais des pinces d’acier », dira en connaisseur Sacha Distel. Grâce au nouveau micro Stimer, Django découvre tout à coup de nouveaux horizons. 

Django Reinhardt

Même si au début Django abuse de la saturation de l’amplificateur qu’il aime faire cracher au point de couvrir sans vergogne tous les autres instruments, très vite il comprend les possibilités que lui offre l’électrification. Surtout au niveau de l’attaque et de la résonnance. Du coup, ses phrases deviennent plus libres, déroutantes, tourbillonnantes. Lors de la séance du 10 mars 1953, il transforme même sa guitare en « solid body » (c’est-à-dire sans caisse, comme une Les Paul), en pratiquant à l’arrière d’une ses plus belles guitares une ouverture circulaire qu’il va plaquer sur sa cage thoracique. Résultat : « une sonorité demeurée sans égale par sa profondeur, sa rondeur, sa richesse et son raffinement. » (Alain Gerber). 

Problème : « Django est trop en avance avec un matériel trop daté. » (Romane). Il n’empêche, ce qui change pour Django avec la guitare électrique, c’est la tenue et la durée de la note qu’elle autorise. Du coup, Django peut dépouiller son phrasé pour tendre vers l’essentiel. Plus contraint à l’obligation de « remplissage », il est libre de jouer avec le silence et d’inventer une nouvelle abstraction sonore. Le « style Django » d’avant-guerre, avec tout son cortège d’arpèges et de tremolos syncopés, s’efface tout à coup pour privilégier la pureté des lignes sinueuses. Évidence : Django apparaît aujourd’hui comme le précurseur de toute la guitare de jazz dans les années suivantes, jusqu’à …Jimi Hendrix.

L’autre raison de cette soudaine renaissance est que le fier Manouche a enfin trouvé en ce début des années cinquante des accompagnateurs enfin capables de le comprendre, d’aiguillonner son inspiration et de l’aider à libérer son jeu pour mieux apprivoiser le feu neuf du bop. Ces jeunes loups, tous âgés d’une vingtaine d’années, Charles Delaunay les a baptisés les « Be-Bop Minstrels ». A savoir, Hubert Fol (saxophone), Bernard Hulin ou Roger Guérin (trompette), Raymond Fol ou Maurice Vander (piano), Pierre Michelot (contrebasse), Pierre Lemarchand ou Jean-Louis Viale (batterie). Avec eux Django est heureux parce que stimulé. Avec ces jeunes turcs insolents, il peut remettre les pendules à l’heure et réaffirmer la modernité flamboyante de son génie. Au début, « Ils m’ont fait souffrir ces petits gars qui croient que c’est arrivé et que nous ne sommes plus bons à rien, qu’on est finis, confia-t-il à son ami Pierre Fouad. Eh bien un jour, je me suis fâché. J’ai commencé à jouer si vite qu’ils n’ont pas pu me suivre ! Je leur ai servi des morceaux nouveaux sur des harmonies difficiles et là non plus ils n’ont pas pu me suivre ! Maintenant, ils me respectent »

Le 20 février 51, avec sa jeune garde bop, Django fête en fanfare son retour sur le devant de l’actualité lors de la soirée de réouverture après travaux du Club Saint-Germain où il accueillera les jours suivants, pour sa plus grande joie des musiciens de passage comme James Moody, Don Byas ou Bobby Jaspar. Du coup, Django abandonne le campement du Bourget, s’installe avec sa famille rue Saint-Benoît à l’hôtel Crystal, tout en face du club. Il est devenu ponctuel, jovial, transfiguré par le plaisir de jouer. Bientôt Il loue une maisonnette au bord de l’eau, à Samois-sur-Seine, près de Fontainebleau, où il peut dès qu’il le veut se livrer aux plaisirs de la pêche et du billard. 

Le 10 mai, après 38 mois de silence et d’abstinence phonographiques, Django franchit enfin les portes du studio Decca pour enregistrer avec ses jeunes amis quatre plages dont un « Double Whisky » très tonique. Il récidivera le 30 janvier 52 avec Roger Guérin avec un « Flèche d’or » fouetté au bebop le plus vif. Un an plus tard, jour pour jour, il participera à nouvelle séance Decca et signera avec Maurice Vander au piano un chef-d’œuvre intemporel : « Anouma », sensuelle ballade énigmatique dédiée à une déesse hindoue. Dans son solo, tout n’est que sérénité, majesté et beauté. Le 1er mars 53 profitant de sa présence la veille à Bruxelles pour animer un bal, Django, flanqué de Hubert Fol, s’invite impromptu sur la scène du Théâtre Royal des Galeries pour enfin dialoguer en direct avec Dizzy Gillespie et son quintette.

Miracle ! Norman Granz arrive à convaincre le méfiant Django d’accepter de participer à une tournée mondiale JATP (Etats-Unis, Japon, bonne partie de l’Europe) qui devait lui offrir enfin la consécration internationale. En guise de carte de visite, l’impresario de Bird, Ella et les autres, demande à Eddie Barclay d’enregistrer le 10 mars pour son label Clef un microsillon 25cm composé de quatre titres. Au programme, bien sûr « Nuages », sans aucun doute sa plus bouleversante version. Pierre Michelot se souvient : « C’est une récapitulation de tout ce qu’il avait fait et de tout ce qu’il commençait à faire. Il y délivre un solo qui m’a toujours produit une émotion inexplicable. Comme s’il savait qu’il allait mourir. »

Le 8 avril, au studio Decca, c’est la dernière séance. Mystérieusement, celle de la décantation et de la gravité. A ses côtés, le vibraphoniste belge Sadi Lallemand et un jeune pianiste pied-noir qui participe à son tout premier disque. Il s’appelle Martial Solal. Comment ne pas voir là une passation de pouvoir symbolique entre celui qui va partir et celui qui arrive ? Lors cet enregistrement ultime, comme l’a écrit dans Jazzman Franck Bergerot, « Django y a dépassé les aspects les plus dogmatiques du bebop. Par sa façon de dérouler les harmonies, par son sens de l’espace et de la distribution rythmique, par son utilisation des motifs au profit du développement dramatique. » A preuve, en guise de testament, une composition originale « Deccaphonie ». Selon la forte formule de François Billard et Alain Antonietto, « c’est un tombeau ouvert sur l ‘avenir. L’extrême nudité des motifs, le dépouillement presque total confinent à l’épure, sans que soit entravé l’élan de la phrase. » Et Alain Gerber d’ajouter : « On jurerait que la force du destin pèse sur le climat qui s’en dégage ».

Le 15 mai, en revenant d’une partie de pêche, victime d’une congestion cérébrale, Django s’écroule dans la petite auberge de Samois. Il avait à peine 43 ans.

Pascal Anquetil

Crazy Rhythm. Django Reinhardt 1951

Exercice d’arrangement.

Adaptation stylistique sur JA-DA (Bob Carleton 1918)

arrangement jazz

Vidéo avec les scores défilants des 3 versions : La version de James Reese Europe en 1919, l’adaptation « style années 20 » et l’adaptation « style Hard bop ».

Travail d’adaptation stylistique (Transcription et adaptation). Cohérence avec le style de l’époque, respect des systèmes d’harmonisation et des couleurs. Vous pouvez télécharger les scores gratuitement ICI pour les étudier.

Matériau de départ

Matériau de départ : Un enregistrement de 1919 de mauvaise qualité. Le morceau est interprété par les « Harlem Hellfighters » dirigés par James Reese Europe. Il s’agit d’une sorte de fanfare constituée de cornets, trombones, tubas, clarinettes, et saxophones. Les percussions sont à peine audibles (Jusqu’à l’avènement de l’enregistrement électrique aux alentours de 1925, les caisses claires et grosses caisses sont prohibées dans les studios). 

JA-DA. James Reese Europe & Hellfithers 1919

Adaptation « style années 20 »

La transcription/adaptation dans le style années 20 (à 3’28 ‘’ dans la vidéo), est écrite pour une formation typique de l’époque, appelée « Formation Fletcher », du nom de Fletcher Henderson, principal créateur de la grande formation qui deviendra le Big Band.

11 musiciens :

2 Cornets, 1 Trombone, 3 Saxophones (2 altos, 1 ténor), 1 Violon, 1 Sousaphone, 1 Banjo, 1 Piano, 1 Batterie.

JA-DA. Adaptation by Stan Laferrière « 1920 style ». Spirit of Chicago

Arrangement plus libre « style Hard bop »

Travail de « modernisation » ou adaptation dans un autre style (à 6’10’’ dans la vidéo). Travail sur la forme (possible déstructuration partielle du thème et du support harmonique des solos), sur l’harmonie (enrichissements, modification des enchaînements de degrés).

11 musiciens :

2 Trompettes, 1 Trombone, 1 Euphonium, 4 saxophones (soprano, alto, ténor, baryton), 1 contrebasse, 1 piano, 1 batterie.

JA-DA. Adaptation by Stan Laferrière « Hard bop style ». Big One Onztet

Vous pouvez télécharger les scores gratuitement ICI

Pour écouter le projet complet (8 morceaux de Rees Europe interprétés à chaque fois de 2 façons), c’est ICI

Toutes les partitions de ce projet sont disponibles dans la boutique :

Reese Europe Old style

Reese Europe Modern style

Ahmad Jamal

AHMAD JAMAL ou Le maître du suspense

Il nous quitte aujourd’hui à plus de 90 ans… Pascal Anquetil lui rendait hommage il y a peu avec ce très beau texte.

« Plus d’un demi-siècle après être entré dans la légende au Pershing Lounge de Chicago, en 1958, en enregistrant l’album culte « But Not For Me » (plus d’un million d’albums vendus !), Ahmad Jamal est toujours là, magnifique et unique. À plus de 90 ans, il déborde de vitalité et n’a rien perdu de son élégance et de sa modernité. Il demeure, toujours vif et inventif, l’un des tout derniers « géants du jazz » sur la crête de la créativité permanente.

Ahmad Jamal
Ahmad Jamal

Magicien des sons ! Voilà une appellation qui lui va comme un gant. Main de fer dans un gant de velours, bien sûr. Il faut le voir sur scène. Plus précisément, le voir écouter sa musique. Dos au public, face à ses musiciens, Jamal s‘affirme très directif. « Je sais exactement ce que je veux. ». Toujours aux aguets, il dirige son quartet avec autorité et vigilance, corrigeant d’un index impérieux l’écart imprévu d’un soliste. Ses musiciens le savent : rien ne lui échappe. C’est pour cette raison qu’ils partagent avec la même passion son aventure depuis si longtemps. Le contrebassiste James Cammack depuis 30 ans joue à la perfection « l’extension de sa main gauche ». Le louisianais Idriss Muhammad lui donne tout ce qu’il attend d’un batteur : « la sensibilité à la pulsation, le mouvement, le groove, la complexité ». En un mot, la danse.

Ahmad Jamal se définit d’abord comme un « Pittsburgher ». « Tous les habitants de Pittsburgh ont développé un truc qui les rend différents ». C’est dans cette cité minière qui a vu naître Art Blakey, Kenny Clarke, Ray Brown mais aussi d’importants pianistes (Earl Hines, Mary Lou Williams, Billy Strayhorn, Dodo Marmorosa et, bien sûr, son maître Erroll Garner) qu’il vit le jour en 1930, fils d’une mère femme de ménage et d’un père ouvrier. Il découvre le piano à l’âge de trois ans, compose à dix et débute professionnellement à onze en jouant des oeuvres d’Ellington et de Liszt. 

En 1956, avec la complicité de Vernell Fournier à la batterie et Israël Crosby à la contrebasse, il expérimente une autre idée du trio piano-contrebasse-batterie. Chacun des trois musiciens y joue à égalité. Avec une science exacte des ruptures et des contrastes, ils peuvent ensemble, dans ce carcan élastique, inventer une manière libre et neuve de converser, d’écouter et de parler en même temps. En virtuose de la litote, Jamal donne à ce triangle miraculeux, grâce à la savante imbrication et complémentarité des trois musiciens, une poétique et une dynamique, une coloration et une cohésion profondément originales. C’était soudainement l’intrusion du drame dans le piano-bar. « Beaucoup de musiciens de ma génération sont marqués par la notion de drame. Si ma musique est différente, c’est que ma musique a été depuis l’enfance marquée par la tragédie. C’est pour cela que ma musique est constamment tonale. » 

Ahmad Jamal
Ahmad Jamal

L’anecdote est devenue historique. Au milieu des années cinquante, Miles ne cessait de persécuter Red Garland, le pianiste de son quintette, en lui intimant l’ordre d’écouter chaque jour un disque d’Ahmad Jamal. C’est dire l’admiration que le trompettiste vouait au pianiste. Pourquoi ? Personne avant lui n’avait su développer un tel sens de l’espace et du silence, du passage de la frappe la plus puissante au toucher le plus léger. Ce n’est pas par hasard si Keith Jarrett le désigne toujours comme son influence majeure. 

Après une longue éclipse due à la faillite de son club chicagoan l’Alhambra en 1961 et à ce que l’on appelle pudiquement des « problèmes personnels », il est finalement revenu, il y a vingt ans, sur le devant de la scène. Grâce à l’opiniâtreté et l’amitié d’un Français passionné, mort en 2005 : Jean-François Deiber. C’est lui qui, en juin 1988, eut la lumineuse idée d’inviter ce pianiste alors oublié dans son festival de Boulogne-Billancourt, le TBB Jazz. C’est lui qui sut alors le convaincre de retrouver le chemin des studios et les feux de la rampe. Pour le remettre enfin à sa vraie place : en plein soleil. Mission accomplie !

Depuis, Ahmad Jamal a retrouvé une seconde jeunesse, ne cessant d’enregistrer, de tourner et de triompher de par le monde. Comme le 26 octobre 1996 salle Pleyel lors un concert éblouissant dont un disque « Live in Paris » porte témoignage. « Maintenant, dit-il, si je m’assois au piano, c’est d’abord pour me faire plaisir. » A-t-il donc changé ? Oui et non. Son toucher est toujours d’une sensualité sans pareille. Alternant les attaques percussives et les chapelets de perles cristallines délicatement égrenées, il joue comme personne de l’étendue de son clavier. Sa musique concilie l’économie de moyens du pianiste qu’il était dans les années cinquante (beaucoup d’espace) et la brillance extravertie dont il fait désormais preuve. Avec encore plus d’évidence qu’hier, elle allie intuition et délicatesse, « ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »

Doué d’un swing ailé, avec un sens inné de l’architecture et de l’épure (« ma pensée musicale est d’abord orchestrale »), Jamal construit ses improvisations comme des collages ou des poupées gigognes. Il introduit, décale, comble, relâche, cisèle, étire, renverse, bouscule ses solos avec un art très allusif de la mise en scène. Troué de fusées d’arpèges, pailleté de fulgurances rythmiques, son jeu sait aussi se nacrer d’irisations harmoniques inouïes. Avec l’énergie d’un jeune homme, Ahmad Jamal impose son style flamboyant fait de suspensions et de réitérations contrôlées. En maître du suspense. »

Pascal Anquetil

Dolphin Dance. Ahmad Jamal

George Russell

Le doux gourou du jazz modal…

Sur scène, cet inlassable « passeur » du jazz moderne, ce philosophe du swing « vertical », était vraiment fascinant. Sa présence irradiait de bonheur, sa démarche était souple et chaloupée, son visage toujours illuminé d’un sourire intense, malicieux, tendrement intelligent. Voir George Russell diriger son orchestre était un spectacle jubilatoire. Cet homme de méthode avait des gestes de swing. D’un battement de mains ou plutôt d’ailes, il savait galvaniser ses musiciens par son seul magnétisme. De ses deux mains ouvertes, il attirait, repoussait, façonnait la matière sonore que lui renvoyait l’orchestre. Tel un danseur, il mimait et accompagnait dans l’espace l’évolution spiralée de sa musique ascensionnelle pour mieux sculpter ses métamorphoses et contrôler ses tourbillons. Impressionnant ! 

George russell
George Russell

À près de 80 ans, il n’arrivait décidément pas à faire son âge. Sa musique non plus. Depuis sa composition, Cubana Be Cubana Bop, premier acte de fiançailles de la musique afro-américaine et de la musique afro-cubaine, écrite en 1947 pour le grand orchestre de Dizzy Gillespie, jusqu’à son dernier album The 80th Birthday Concert enregistré en 2003, toute son œuvre dégage une énergie euphorisante, une force d’idées et d’émotions si évidente qu’on s’étonne qu’elle soit restée si longtemps méconnue.

Ignorée, marginalisée, sa musique fut aussi violemment rejetée. On se souvient d’un concert salle Pleyel en 1964, en première partie du quintette de Miles Davis, qui provoqua, sous les sifflets d’une partie du public, une véritable bataille d’Hernani. Aujourd’hui la cause est entendue. George Russell est célébré comme l’un des créateurs qui ont changé l’écriture du jazz, l’art d’en modeler les formes. Avec cette manière si singulière de les empiler par strates complexes les unes sur les autres avec une joyeuse minutie. Comment le définir sans le réduire ? Il était tout à la fois batteur, pianiste, chef d’orchestre, compositeur, théoricien, gourou. « Je ne suis pas un professeur. Je suis un preacher » aimait-il dire de sa voix douce et traînante, légèrement acidulé.

Tout jeune, Russell apprend la batterie. Engagé par Benny Carter, il est remplacé par Max Roach. « En l’écoutant, j’ai compris que je devais arrêter la batterie ». Il débarque à New York en 1945 avec cinq dollars en poche. Introduit par Max Roach auprès de tous les jeunes boppers, il fréquente assidûment l’appartement de Gil Evans où s’invente le jazz du futur. Alors qu’il allait être engagé par le « dieu » Charlie Parker, une tuberculose le contraint à l’isolement. Hospitalisé pendant quinze mois, il profite de son immobilisation pour se lancer dans une recherche théorique. Ses résultats favoriseront l’avènement du jazz modal. Ils seront publiés en 1953 sous le titre « Concept lydien chromatique d’organisation tonale », ambitieux système d’écriture qui conjugue la rigueur diamantine du swing avec la plus totale liberté d’improvisation. « La liberté sans la logique, aimait-il à dire, ce n’est que le chaos ». 

George russell
George Russell

En 1956, il enregistre pour RCA le premier album sous son nom « Jazz Workshop » avec Art Farmer et un pianiste alors inconnu, Bill Evans. Quand son ami Miles Davis lui demanda de lui recommander un pianiste, il lui présenta ce jeune timide introverti. Un an plus tard, cette rencontre donnera naissance à « Kind of Blue ». C’est dans ce chef-d’œuvre que l’on trouve « So What ». C’est pour Russell « le solo de trompette le plus lyrique de tout le XXe siècle, la première improvisation modale consciente d’elle-même ». En 1987, à la tête de son Living Time Orchestra, il mettra superbement en scène ce canonique solo de Miles.

Dégoûté par le trop peu d’écho que sa musique et son enseignement rencontrent dans son propre pays, George Russell fuit en 1964 en Scandinavie. C’est là qu’il pose les premières bases théoriques d’un nouveau concept « vertical form », système sophistiqué d’organisation polyrythmique qui irradiera jusqu’au bout toute sa musique. En Suède, il enregistre en 1968 avec Jan Garbarek et Terje Rypdal « Electronica Sonata for Souls Loved by Nature », première tentative de fusion entre bandes électroniques et grand orchestre. En 1969, il retournera aux Etats-Unis pour enseigner au New England Conservatory de Boston. Sa fracassante résurgence en 1978 sur la scène du Village Vanguard à la tête d’un big band composé de jeunes musiciens ravive les passions et relance sa carrière. Il était temps qu’on reconnaisse enfin le génie de ce magicien du concept lydien, l’artificier qui alluma en pionnier la mèche du jazz modal.

Pascal Anquetil

Concerto For Billy The Kid. George Russell

Les génies décisifs : Thelonious Monk

Pascal Anquetil

Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil

THELONIOUS MONK : L’explorateur du silence

Thelonious Monk : 10 octobre 1917 à Rocky Mount (Caroline du Nord) – 17 février 1982 à Weehawken  (New Jersey)

Phénomène d’identification ou signe d’une incontournable prédestination ? Mystère. « Misterioso ». En tout cas rarement un homme aura autant ressemblé à son nom : Thelonious « Sphere »  Monk. Avec un tel état civil, il était fatal qu’il devienne ce qu’il fut : « Mad Monk » comme l’avaient surnommé des journalistes américains. Le moine fou, l’anachorète du piano jazz, l’architecte du silence qui poussa la folie de son exploration jusqu’à son ultime terme : une petite chambre que lui offrit dans sa grande maison  du New Jersey la « jazz baroness » Nica de Koenigswatrer. C’est là qu’à partir de 1976 il se retira pour se murer à jamais en lui-même.

Thelonious Monk
Thelonious Monk

Comment s’empêcher aujourd’hui d’interroger sa vie et de mesurer son oeuvre à l’aune de ce silence ? Thelonious n’avait que deux passions :  le lit et le piano, deux espaces réservés aux rêves. Deux ruses pour apprivoiser le silence. Quand il jouait sur scène, il n’était pas rare de le voir s’arracher brutalement de son piano  pour sautiller sur place et exécuter, tel un derviche tourneur, quelques rotations sur lui-même. Dès qu’il retrouvait son instrument, on pouvait voir naître sur son visage une espèce d’extase. L’oeil rivé sur son clavier, les longs doigts tendus à l’horizontale, comme des baguettes, suspendus au-dessus des touches, toujours encombrés de deux énormes bagues qui le gênaient mais dont il avait besoin, il semblait questionner l’ivoire du piano. « Il m’arrive souvent d’hésiter entre deux notes avant de me décider. » Et, quand les doigts s’abattaient sur les touches, que les accords tombaient, abrupts, pour provoquer d’imprévisibles collisions, vous saviez d’évidence que c’était les seules notes possibles, finalement moins nombreuses que celles qu’on croyait entendre. Tout cela en raison de sa prodigieuse science des harmoniques.

À un journaliste qui lui demandait ce qu’il avait ressenti au contact de Monk et ce qui se passait quand il partait ailleurs, très loin, John Coltrane répondit simplement : « La vérité ». La première vérité de Monk, c’était le son. Ce son était si puissant, si impérieux qu’il transcendait tous les styles, tous les genres et aussi, tous les pianos, aussi pourris fussent-ils. Jouant sur les volumes, les contrastes et les lumières, il traitait le son comme le marbre ou le granite. Il le sculptait toujours à sa manière unique grâce à son traitement rythmique, fondé sur le discontinu (les infimes intervalles, les décalages asymétriques), mais aussi harmonique, basé sur son génie de la dissonance.

Musique paradoxale, inclassable, inassimilable tant elle est différente, il faut pour tenter de la décrire faire  appel à cette figure de style qu’est l’oxymore : l’union des contraires. La musique de Monk est dans le même mouvement  sereine et angoissante, fluide et minérale, ronde et ascétique, virile et fragile, drôle et austère, troublante et apaisante, énigmatique et évidente. L’une des plus belles compositions de Thelonious ne s’intitule-t-elle « Ugly Beauty » ? La beauté laide ! 

Musicalement, Monk demeure une énigme. Comme un météore, il a chu sur la scène new-yorkaise du jazz, à l’aube du bebop, au début des années 40, avec un style déjà presque accompli, comme si, sans avoir vraiment à chercher, il l’avait tout de suite trouvé. « J’ai toujours fait ce qui me semblait bon sans me soucier de ce qu’on voulait que je joue. » Ce mathématicien des notes n’était pas un calculateur. Toute sa vie, il ignora l’idée même de compromis. À la concession, il préféra la concision. Son exigence incorruptible, sa farouche indépendance expliquent le caractère si singulier et irréductible de sa musique. Sans origine évidente (le stride, le piano harlémite, Duke ?) mais aussi sans descendance directe (même si son influence est aujourd’hui immense), son monde reste inimitable.

Personne ne sait comme lui l’art de choisir les deux notes qui suggèrent l’accord complet, calculer l’exacte densité d’une dissonance, la longueur d’un son, le poids d’un silence, « Le son qui fait le plus de bruit, dit-il, c’est encore le silence. ». Laconique et lacunaire, sa musique avance, titube, s’effondre tout à coup dans un précipice de silence pour resurgir ailleurs, là où précisément on ne l’attend plus. C’est toujours son sens infaillible de la mise en place qui le sauve de la chute. Monk a une batterie dans la tête. Ce qui lui permet quand il joue en solitaire d’être un fulgurant dispensateur de swing. « Straight, No Chaser »

Sa carrière discographique s’étend sur seulement vingt-cinq ans, des années Blue Note et sa dernière apparition au sein des « Giants of Jazz » (1971). Son oeuvre compte à peine une soixantaine de compositions personnelles, suite de sublimes ritournelles, toutes savantes et obsédantes, aux mélodies infectieuses et aux titres insolites. L’extraordinaire dans la musique de ce magistral marginal est qu’il est impossible, au-delà de son inquiétante étrangeté, d’y déceler la moindre trace de démence. Quand on lui reprochait ses solos « bizarres », il avouait ne pas comprendre. « Tout ce que je joue est parfaitement logique ». Logique de la forme et du rythme, logique du plaisir et de l’instant. Et pourtant, on le sent bien, la folie est toujours là. Elle guide tout, borde tout. Elle mène le jeu en silence. Jusqu’au final, son ultime avant la mort. « Round about midnight »

Trinckle Tinkle. Thelonious Monk

A lire : Les excellentes parutions et travaux de Laurent de Wilde

Des partitions du Monet de Monk (ré orchestrées pour Onztet par Stan Laferrière)

Des audios…

La carte à jouer de Monk, dans le jeu de 7 familles de Docteur Jazz.

Les génies décisifs : Louis Armstrong

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Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil

LOUIS ARMSTRONG : Le grand fauve enroué du jazz universel

Louis Armstrong : 4 août 1901 à la Nouvelle-Orléans – 8 juillet 1971 à New York

Et si un coup de pistolet tiré en l’air la nuit du Nouvel An 1913, dans les rues de la Nouvelle-Orléans, avait tout simplement décidé de l’avenir du jazz ? Pour ce geste, un gamin de douze ans fut envoyé dans une institution à mi-chemin entre l’orphelinat et la maison de correction. C’est là, grâce aux leçons d’un certain Peter Davis, que Louis s’initia à la musique sur un cornet cabossé. Sans ce coup de revolver à blanc, que serait devenue la musique noire ? On en frémit rétrospectivement

louis Armstrong
Louis Armstrong

À l’orée du siècle, le surgissement d’Armstrong sur la scène naissante du jazz  a opéré une révolution aussi décisive que celle qui sera plus tard ouverte par Charlie Parker, puis John Coltrane. Quand Louis débarque en 1922 à Chicago, les jeux étaient loin d’être faits. Le jazz encore adolescent hésitait entre deux tentations : la solution « symphonique », rococo et mielleuse, pompeusement orchestrée façon Paul Whiteman (qui s’était autoproclamé « King of jazz ») et la réponse « hot » avec sa joyeuse polyphonie spontanée et un peu brouillonne, façon King Oliver. À la tête de son Hot Five, puis Hot Seven, en quelques éclats de cornet, puis de trompette, Louis règle très vite le dilemme. Il impose « sa » voix dans toute sa superbe singularité. Il « invente » le solo et le soliste, trouve des formes neuves de l’improvisation, enfin délivrée du carcan collectif. 

C’est à Louis que le jazz doit d’avoir atteint à l’universel. Improbable alchimiste qui transforma sans le savoir le cuivre en or, Armstrong fut d’abord un explorateur du son. Son premier génie, ce fut de donner à chaque note une attaque, puissante et tranchante, mais aussi une altération, une durée, une hauteur et une intensité qui en font à chaque fois un instantané explosif d’émotion. Sa sonorité, tout à la fois dure et pure, avec ses vertigineuses ascensions dans l’aigu, ouvre, découvre tout à coup un nouveau monde.

Comme tous les géants du jazz, Satchmo s’impose aussi comme un maître du silence, cet instant d’espérance qui n’est pas du vide, mais toujours, en suspens, la promesse d’un supplément de musique. En trouvant sans chercher une certaine façon de poser les notes sur les temps, en déroulant des phrases idéalement équilibrées, jamais trop longues, jamais trop courtes, en improvisant des découpages rigoureux, il a été le premier jazzman à doter ses solos d’une logique et d’une architecture irréfutables. Doué d’un sens naturel de la mise en place, il fut enfin l’inventeur du « swing ». Avant lui, tout le monde jouait « raide » ;  avec lui, tous les musiciens jouaient mieux. « À la trompette, a dit un jour Miles Davis, on ne peut rien jouer qui ne vienne de lui, pas même les trucs modernes ».

Rarement artiste, sorti d’un misérable ghetto, aura autant pesé sur la musique de son siècle et son avenir. Tout ce qu’il joue brille d’une allégresse solaire. Tout ce qu’il chante de sa voix éraillée, rocailleuse, voilée d’un halo de chaleur, dit avec une totale sincérité tous les émois du cœur. Avec Louis, c’est l’homme qui souffle et qui chante, mais c’est toujours  la musique qui parle et qui triomphe. Armstrong sait comme personne colorer une note d’un vibrato poignant, l’attendrir d’inflexions douces et la hisser aux cimes du sublime. La force d’Armstrong est d’avoir su s’élever tout seul au-dessus des modes et des formes, renverser la barrière des styles pour réaliser la perfection d’une musique nouvelle qui va incendier tout le siècle.

louis Armstrong
Louis Armstrong

Si Louis Armstrong fut un authentique révolutionnaire, il ne fut jamais en revanche un révolté. Paradoxe : celui qui fut le premier « jazz messenger » ne se considérait pas comme un « jazzman », encore moins un créateur ou un précurseur, mais comme un simple « entertainer », dévoré par l’inextinguible besoin de plaire. Jamais sa joie de vivre ne l’empêcha d’être tout au long de sa carrière fidèle à une certaine idée, presque austère, du  professionnalisme. Pourquoi ? Sa surprenante définition du jazz en fait foi : « gagner ma vie ». 

Mais l’important chez lui est ailleurs. Jamais cet « amuseur public » ne s’est  une seule fois autorisé à tricher ou plaisanter avec la musique et ses enjeux  artistiques. Parce que sa grande passion fut toujours le public, « la chose la plus importante pour laquelle on puisse vivre. On m’accuse souvent d’être un  clown, répondra-t-il à ceux qui lui reprochaient ses grimaces, ses yeux qui roulent et son « oncle-tomisme ». Mais  c’est merveilleux un clown. Rendre les gens heureux, les entendre applaudir, c’est cela le vrai bonheur. » Et le public lui rendit son amour au centuple en faisant à cet ambassadeur du swing, sans la moindre éclipse en un demi-siècle, toujours la même fête.

Louis Armstrong, génie malgré lui ? Sans doute. Mais c’est à « ce grand fauve enroué » (Henri Guillemin) qui, entre deux éclats de rire, passa sa vie à jongler avec les étoiles que l’on doit que cette rustique musique folklorique néo-orléanaise ait réussi si vite à devenir planétaire. 

Louis Armstrong Hot Seven. 1927 Struttin’ With Some Barbecue

La carte de Louis Armstrong dans le jeu de 7 familles !

Les génies décisifs : Duke Ellington

pascal anquetil

Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil

Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).

DUKE ELLINGTON : L’architecte de la Great Black Music

Duke Ellington : 29 avril 1899 à Washington DC – 27 mai 1974 à  New York

À un journaliste obséquieux qui ne cessait de le qualifier de « cinéaste génial », Orson Welles eut cette réponse définitive : « Les vrais génies du XX° siècle  ne sont pas des cinéastes, ni des peintres, des savants ou des écrivains. Ce sont des musiciens de jazz, comme Duke Ellington. » Oui, sans aucun doute, Duke fut un génie. S’il n’a inventé ni le jazz ni le grand orchestre, on lui doit d’avoir porté l’un et l’autre à un degré d’incandescence créatrice exceptionnel. « Je pense, a dit Miles, que tous les musiciens de jazz devraient se réunir un certain jour de l’année et s’agenouiller ensemble pour rendre hommage à Duke ». 

Pourquoi serait-il juste de célébrer chaque année un tel homme ? Parce qu’Ellington incarne à lui seul un siècle de jazz. Mieux encore, son œuvre immense, irrémédiablement moderne, est essentielle au jazz. Plus qu’aucune autre, elle représente, au sens esthétique mais  aussi diplomatique, le génie et la beauté inépuisables de la musique afro-américaine. Fils d’un majordome à la Maison-Blanche, petit-fils d’un mulâtre né en esclavage, Duke s’est imposé comme « le » musicien américain du siècle, même si certains lui préfèrent Aaron Copland ou Charles Ives. À l’instar de Gershwin, il est le pivot de l’identité américaine,  tout en s’affirmant avec fierté comme l’héritier d’une culture noire douloureusement enracinée dans l’obscurité de la mémoire. « Je veux faire la musique  du Noir américain », telle fut son ambition. 

Duke Ellington
Duke Ellington

Ce dandy charismatique fut un grand séducteur. Mais cet homme à femmes n’aima vraiment d’une passion physique inépuisable que la musique. « Music is my Mistress », tel est le titre de ses mémoires. D’une élégance souvent tapageuse, d’une courtoisie un peu lointaine, ce parfait gentleman avec ce sourire de Bouddha accroché à ses lèvres, manifesta un calme toujours olympien face aux vicissitudes de la vie infernale de chef d’orchestre. Parrain bienveillant, il sut, sans jamais hausser le ton, imposer respect et autorité à cette bande de clochards célestes et d’ivrognes invétérés qu’était son big band. « Le pianiste de l’orchestre » (comme il se présentait sur scène), était un meneur d’hommes très distingué. Quelques que soient ses frasques, il répugnait à congédier un musicien qu’il avait  lui-même choisi. Quand ce dernier souhaitait quitter quand même l’orchestre, il se contentait de dire : « il reviendra ». Et de fait, il revenait presque toujours. 

Son art savant de la maïeutique fut de révéler à eux-mêmes tous ses musiciens, ses « prime done » comme il s’amusait à les appeler. Son génie fut aussi d’accepter de se laisser construire par eux. Entre le maître et ses compagnons, l’échange fut incessant. Comme personne, il savait réveiller leur personnalité profonde, leur parole la plus singulière. Qu’il s’agisse de Johnny Hodges avec sa tête de condamné à mort quand il s’avançait sur scène pour délivrer le plus suave des solos. Ou de Paul Gonsalves qui titubait jusqu’au micro pour enchaîner vingt-sept chorus de feu et de folie, comme il le fit à Newport en 1958. C’est par tendresse pour ses chers solistes qu’il aimait tant leur écrire des compositions sur mesure. « Si vous prétendez composer pour un musicien, disait-il, vous devez tout savoir de lui. Jusqu’à sa façon de jouer au poker. »

Ceci explique que devenir « ellingtonien », c’était toujours pour un musicien l’assurance d’atteindre sa plénitude. Ceci explique l’étonnante fraternité des pupitres, magnifique et trop rare modèle de démocratie réalisée. Ceci explique enfin la sonorité unique de l’ensemble ducal. Quelles que soient les époques, on retrouve toujours la même griffe sonore, la même identité musicale, un secret aujourd’hui à jamais perdu depuis la mort du Maître. Le véritable exploit du Duke Ellington Orchestra, c’est d’avoir été pendant plus de cinquante ans tout à la fois l’œuvre, l’atelier et l’artiste lui-même.

Duke Ellington billy Stayhorn
Duke et Billy Strayhorn

Compositeur  prolifique et infatigable (plus de deux mille œuvres à son actif !), artificier du blues essentiel, mélodiste hors pair, il fut aussi, on ne le dit pas assez, un immense pianiste. Formé à Washington à l’école du ragtime, dès son arrivée en 1922 à New York, cet enfant du stride s’est nourri de l’influence des  grands maîtres du piano harlémite. Pas de doute, Duke est l’un des grands poètes du clavier bien coloré. Ses audaces harmoniques et rythmiques n’ont rien à envier à celles de Thelonious Monk ou de Cecil Taylor. Style musclé et chaloupé, toucher percussif, puissant mais jamais violent, sonorité ronde et profonde, maîtrise des dissonances, science du jeu en pédales, Duke est décidément le plus moderne des pianistes. Toute sa carrière, il dirigera depuis le clavier, jonglant avec les notes pour que sa musique virevolte sans cesse du piano aux pupitres.

Le génie ducal et son mystère, c’est d’avoir su donner cet élan créatif perpétuel dans le cadre obligé d’un orchestre de revue, longtemps voué à la danse, en se mettant toujours en situation de danger et de liberté. Luxuriance des arrangements, alchimie des alliages sonores et des dosages de timbres, richesse inégalée du développement rythmique, sens inouï de la dramaturgie musicale (ses « suites » en font foi), la musique de Duke s’écoute et se goûte comme une variation obsessionnelle sur la naissance de la lumière et de la couleur. Du style « jungle » de ses débuts, à l’exotisme voluptueusement sublimé, jusqu’à la sérénité des « Concerts Sacrés » de la fin de sa vie, se dessine une courbe idéale, sans le moindre hiatus ni faiblesse. Avec comme seul credo : « It Don’t Mean AThing If It Ain’t Got That Swing ».

Tattoed Bride. Duke Ellington 1951 (Masterpieces)

A lire également : « Les pianistes oubliés »

Les génies décisifs : Django Reinhardt

pascal anquetil

Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil

Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).

DJANGO REINHARDT : L’étoile filante dans le grand bleu des « Nuages »

Django Reinhardt : 23 janvier 1910 à Liberchies (Belgique) – 16 mai 1953 à Samois/Seine

À une femme naïve qui s’étonnait qu’il ne sache pas lire la musique, Django répondit pince-sans-rire : « Pourquoi ? Cela s’entend ? »  Et d’ajouter avec superbe : « Je ne connais peut-être pas la musique, mais la musique, elle, me connaît. ». Toute sa vie, toute sa musique le prouve avec éclat.Au commencement, il y a Django. Dans la langue des Manouches, ce prénom rare signifie : « je réveille ». Explorateur d’un  monde nouveau et inventeur d’un langage devenu l’expression identitaire de toute une communauté, Django Reinhardt, c’est d’abord cet « accident génial » (selon les mots de Franck Ténot) dû à la collision improbable de deux trajectoires : une histoire et un destin, une musique jeune venue d’outre-Atlantique et un artiste neuf issu d’un peuple nomade. De cette rencontre naîtra au début des années 30 ce que l’on a d’abord appelé « l’école tsigane du jazz » avant de devenir aujourd’hui le jazz manouche. 

django Reinhardt
Django Reinhardt

Manouche par le sang et Français par le cœur, fantasque, extravagant et imprévisible, célèbre par ses foucades, absences et retards, joueur et grand seigneur, Django fut d’emblée ce génie lumineux, le premier « guitar hero » de tous les temps et sur tous les temps. Un géant dans le siècle. Génial, parce qu’inexplicable. Magique par sa manière unique de marier avec désinvolture les contraires : le charme et la violence, la volubilité et l’économie, la rigueur rythmique et la fantaisie mélodique. Il y a un « son Django », immédiatement reconnaissable, que Cocteau appela « cette guitare à voix humaine ».Une voix si forte, si présente qu’elle reste toujours un mystère. 

La musique de Django fut tout de suite nouvelle et sera jusqu’à sa mort toujours renouvelée. Fruit d’une patiente évolution, d’une perpétuelle remise en question du guitariste par lui-même, elle semble naître du plus souverain dédain pour tout ce qui a pu la précéder. Elle invente dans l’instant sa propre légitimité en refusant tous les pièges de la réminiscence. Toujours se surprendre, jamais se répéter, telle fut sa règle d’airain.

L’ironie de l’histoire a voulu que ce grand libérateur soit trop souvent célébré par des partisans de la servilité. Dans la famille des « héritiers », on trouve tous les cas de figure : les épigones plagiaires, les revivalistes intégristes, les « copycats » (comme disait Lester Young ) chez qui le culte de la répétition va toujours de pair avec la répétition du culte. Heureusement, aujourd’hui le risque de « folklorisation ethnique » du jazz gitan semble enfin évité par tous ces guitaristes (principalement Biréli Lagrene) qui préfèrent la référence à la révérence, l’évolution à la dévotion. Tous ces « disciples » indisciplinés sont pour beaucoup dans le retour de flamme du jazz manouche. Comme l’a écrit Cioran : « Peuple authentiquement élu, les Tsiganes ne portent la responsabilité d’aucun événement ni d’aucune institution ; ils ont triomphé de la terre par leur seul souci de n’y rien fonder. » À l’exception de cette « invention » imprévisible, le seul apport vraiment original que la vielle Europe ait offert au jazz : la musique de Django.

How High The Moon. Django Reinhardt 1949 Rome

Les génies décisifs : Charlie Parker

Pascal Anquetil

Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil

Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).

CHARLIE PARKER : L’Oiseau du feu du Bebop

Charlie Parker : 29 août 1920 à Kansas City – 12 mars 1955 à New York 

« Bird lives ». Tel est le graffiti qui fleurit sur les murs de New York en mars 1959 dans les jours qui suivirent la mort de Charlie Parker. Intuition prophétique pour affirmer que sa musique continuerait longtemps à incendier, bouleverser, fasciner, terroriser, paniquer, inspirer les générations à venir. Plus de 50 ans après sa disparition, sans aucun doute, « Bird lives ». En osant tous les débordements, en usant de tous les excès, Parker a réussi à gagner aujourd’hui une jeunesse éternelle, universelle. 

Son surnom de Bird  n’est pas, comme on pourrait le croire, une métaphore ornithologique heureuse, inventée après coup pour caractériser la dimension  aérienne de son jeu. Plus prosaïquement, il vient du jargon militaire. Quand Charlie était à l’armée, on l’appelait « yardbird », le « bleu », le  bidasse condamné aux travaux obligés de balayage de la caserne. Le génie de Parker, c’est d’avoir su retourner ce sobriquet humiliant en titre de noblesse ; mieux, le transformer en ligne de vie : cet autodidacte et infatigable travailleur, ce clochard pas toujours céleste deviendra cet oiseau capricieux et imprévisible qui repoussera avec une déraison rieuse tout le champs des possibles pour réinventer l’avenir du jazz, bien au-delà du seul be-bop. Que les choses soient claires : Charlie Parker est le plus fulgurant improvisateur de l’histoire du jazz, Improviser, c’est pour lui explorer, exploiter et trouver, dans l’espace d’un seul instant, du neuf et de l’inouï en un geste radical, toujours recommencé de création spontanée. 

Charlie Parker
Charlie Parker

Mais en quoi Parker est-il vraiment unique et innovateur ? Par un souffle magique et tragique, un sens du blues immense et inconsolable. Mais aussi par l’acidité du son d’alto que l’on reconnaît à sa première note, sonorité débordante d’énergie, coupante comme du silex sur les tempos ultra rapides. Par la diversité prodigieuse de ses accentuations, par la précision de son placement de notes à l’intérieur d’une mesure, dans le déploiement d’une pensée mélodique en mouvement perpétuel. Par la rigueur de son phrasé qui, même saturé de notes, s’exprime en toute limpidité.

Il faut ne pas hésiter à le répéter : Bird est génial partout et tout le temps, quels que soient ses partenaires et environnements. Il ouvre le jazz à la polytonalité et libère l’improvisation en génie de la paraphrase. En avance sur les conceptions harmoniques et rythmiques de son époque, il  s’affirme à jamais par l’urgence vitale et la puissance expressive de son cri. « Le chant du rossignol en sang », selon la belle formule de Marc-Edouard Nabe. Conscient de son génie, mais de plus en plus amer de ne pas être vraiment compris, il conspirera très tôt contre lui-même avec beaucoup d’acharnement et choisira en toute lucidité suicidaire de brûler ses ailes de géant. Le monde n’était pas assez large pour recevoir son trop plein d’énergie créatrice.

Tout ce qu’il joua, à partir de 22 ans, quand il quitta Kansas City pour «  monter » à New York, fut marqué par la grâce. Quand ce démiurge improvise sur un standard pour le métamorphoser aussitôt, on se demande toujours comment on aurait pu jouer ce morceau autrement. Il nous fait à chaque fois croire que ce qu’il joue est simple, alors que c’est d’une incroyable complexité. Vitesse prodigieuse et logique parfaite des enchaînement des idées, tout est déjà en place pour que jaillissent les étincelles de son inépuisable intuition. Grâce à sa propre méthode de partition intérieure, il sait et entend ce qu’il va jouer sans bouger un seul doigt.

Avec son saxophone, Parker a entretenu toute sa vie une relation très particulière, détachée de tout fétichisme. Être musicien était pour lui bien autre chose que d’être instrumentiste. Son alto, il ne cessait de l’oublier, le perdre, le mettre au clou pour s’acheter sa dose d’héroïne. Combien de fois s’est-il présenté à un concert ou à une séance d’enregistrement sans le moindre instrument. Il fallait alors en emprunter en catastrophe Et, à chaque fois, le même miracle se réalisait : le son était toujours le même.

Force de la nature, ce champion hors catégorie de l’intempérance et de l’abus  était d’une résistance physique phénoménale. Cet ogre dévora la vie avec une violence d’appétit démesurée. Mais le colosse avait des pieds d’argile. Comme l’a dit son alter ego et ami Dizzy Gillespie : « Il a été trop fragile pour durer. C’est terrible d’être un Noir dans cette société. Si vous laissez toutes pressions et oppressions vous atteindre, elles vous entraîneront à la dérive, et vous y laisserez votre peau ».

Ce qu’il fit le 12 mars 1955, en succombant à une hémorragie foudroyante, à New York, dans une suite du Stanhope Hotel où logeait la baronne Nica de Koenigswater. Le médecin, venu constater son décès, estima l’âge de Parker autour de 55 ans. Il n’avait pas encore 35 ans ! À l’instant exact de sa mort, dans un éclat de rire en regardant une émission de télévision, aux dires de Pannonica, il y eut dans le ciel de Manhattan un énorme coup de tonnerre. À l’annonce de sa disparition, tous les musiciens  avaient compris qu’une aventure s’était belle et bien terminée. Celle du bop, météore incandescent qui bouleversa totalement  le paysage du jazz. 

Confirmation. Charlie Parker

La carte du jeu de 7 familles sur Charlie Parker

IN A MELLOW TONE – MELLOWTONE 2001 : Exercice de composition et d’arrangement

Déstructuration et re composition d’un standard

2000 : La gifle !

Je vous livre ici une expérience qui en 2000, a quelque peu chamboulé ma vie d’arrangeur et d’orchestrateur. J’assistais cette année-là, invité par François Théberge au CNSM de Paris, à un master class du compositeur pianiste et tromboniste à pistons Bob Brookmeyer. Il était venu faire jouer sa musique au big band du conservatoire. 

A l’écoute de son « King Porter 94 », arrangement original sur le célèbre « King Porter Stomp » de Jelly Roll Morton (composé en 1909 et enregistré la première fois en 1923), et des explications qu’il donna sur la façon dont il avait construit un nouveau morceau à partir de quelques séquences du morceau original, j’ai tout simplement été bouleversé… 

King Porter Stomp. Jelly Roll Morton 1926
K.P ’94. Bob Brookmeyer

J’ai compris tellement de choses ce jour-là, et la courte, mais très riche relation épistolaire que nous avons entretenue par la suite, m’a tellement apporté, que j’avais envie de vous faire partager cette expérience et le travail de fond sur mes concepts d’écriture, qui en a découlé …

Après avoir digéré un peu le choc du master class, je décide donc, au prétexte d’exercice, de m’atteler à un travail similaire à celui que Bob avait effectué avec King Porter Stomp.

Au boulot !

Mon choix se porte sur un morceau simple et archi rabâché : « In A Mellow Tone », morceau que j’ai déjà à l’époque, arrangé des dizaines de fois…. Cette mélodie composée par Duke Ellington en 1939, est en fait un riff qui reprend les harmonies de « Rose room », un standard composé en 1917 par Art Hickman & Harry Williams.

Je commence alors par ré écouter de multiples versions, pour finir par extraire 3 motifs à partir desquels je vais travailler. Ces motifs vont servir de base à mon travail. Ils seront récurrents, développés, et constitueront le lien entre le morceau de Duke et ma composition.

Une chose sur laquelle avait insisté Bob, c’est que pour être sincère lorsque l’on compose ou arrange, il faut travailler le plus possible en faisant abstraction de la théorie, en essayant d’intérioriser ses idées et de les développer au maximum. Il avait aussi expliqué qu’il écrivait de façon « Impressionniste », langage qui avait tout de suite résonné en moi, qui n’avais jamais pris de cours d’arrangement… Je considère donc le travail que je m’impose alors, comme une sorte de réminiscence consciente et organisée, au sein de laquelle je vais tenter d’insérer mes idées mélodiques et harmoniques… Le boulot s’annonce colossal, inédit et aventureux pour moi à l’époque, mais je suis ultra motivé, galvanisé même… 

Je décide de donner le titre de : « MELLOWTONE 2001 » 

Le morceau sera enregistré par le « Vintage Orchestra » en 2005, dans l’album « Weatherman ».

Nomenclature de l’orchestre : « Big band »

5 saxophones : 1 soprano, 1 alto, 2 ténors, 1 baryton.

4 trompettes.

4 trombones : 2 ténors, 1 complet et 1 basse

1 contrebasse.

1 piano. 1 guitare electrique.

1 batterie.

Idées/forme/plan 

Le choix des motifs (souvenez-vous, il s’agit d’un riff, donc de séquences très courtes) s’est porté sur :

Motif 1 (M1) : La première phrase du thème de Duke, utilisée en entier ou partiellement, avec ou sans le rythme original.

In a Mellow Tone. Motif 1
Motif 1

Motif 2 (M2) : La phrase de la dernière ligne du thème de Duke, utilisée avec les intervalles exacts ou légèrement différents, avec ou sans le rythme original.

In a Mellow Tone. Motif 2
Motif 2

Motif (M3) : L’intro du Duke, avec ou sans le rythme original.

In a Mellow Tone. Motif 3
Motif 3

Ces 3 motifs seront développés dans et reviendront après le tutti, dans la réexposition et la longue coda.

Je décide d’insérer un thème de plus ou moins 32 mesures (B) avec une progression de degrés qui pourrait faire penser (de près ou de loin) au thème d’origine. Celui-ci était un riff, j’imagine alors un riff (motif répété) chromatique. Les harmonies de ce thème serviront de support aux solos (Voir le thème et la grille plus bas).

Plan général

A :      Longue intro développée (M1M2)

A44 :   Inter

A72 :   Intro du Duke ré-harmonisée (M3)

B :    Thème de 32 mesures A.B.A.C (riff chromatique) B25 à B27: M2B29 à B31 : M1

B32 : Inter et citation de l’intro originale M3

C :    3 grilles de Solos de tp, avec des backgrounds sur les 16 dernières mesures

:   Long tutti cresh. Finissant ff. Transition : batterie solo

E :   Expo du thème original M1 cité de façon ré harmonisée, dans l’intégralité de ses 16 premières mesures (fills de batterie)

E17 : Mix du thème original M1 (tb’s/baryton) et du riff chromatique (thème B)

E26 : Coda. Paraphrase du riff chromatique, M3 et fin sur M1

Vous avez à votre disposition pour suivre cette étude :

  • Le morceau complet avec le score défilant et les indications de motifs et de lettrage, dans la vidéo ci-dessous. (Signalisation des motifs M1, M2, M3 en ROUGE, et des indications de lettres et numéros de mesures en JAUNE)
  • Le score complet en UT pour étude, en téléchargement gratuit ICI
  • L’audio simple complet du morceau (en dessous de la vidéo)
  • Un audio partiel entre chaque paragraphe explicatif.

MELOWTONE 2001. Stan LAFERRIERE/Vintage Orchestra. Audio complet

Construction, harmonisation et orchestration 

L’harmonisation générale du morceau tourne autour de voicings en quartes et secondes, d’accords de m7+5 (ou m7add b6), m7b9, de chromatismes (Mélodie et enchainements d’accords) et de pédales. 

Ces éléments harmoniques et mélodiques récurrents, créent le climat général de l’arrangement. Des lignes mélodiques « claires » (le thème, les inters et les tuttis) viennent apporter l’équilibre, et parfois, apaiser les tensions …

Intro : Cette très longue intro (85 mesures de A à B) développe les 3 motifs tirés du thème de Duke (M1M2M3). Le big band est utilisé un peu comme un orgue qui joue une sorte de choral autour des 3 motifs principaux, pour planter le décor en quelque sorte. Les instruments entrent tout d’abord en « canon » et en binômes (tp1 et 2/ ténor 1 et 2/ tb1 et 2/ tp4 et tb3/ tb4 et baryton), en utilisant la version la plus courte de M1. Ce motif est développé pendant 16 mesures, avec de longues tenues d’unissons, jusqu’à un carillon en triolets de noires (« tuilage » entres les sections) descendant sur 4 mesures, et remontant ensuite, harmonisé en quartes superposées.

Audio partiel 1. Intro

Après 8 mesures de transition de batterie, le M1 revient (en entier cette fois A31 et A41) avec les tp’s à l’unisson, soutenues par les tb’s et les saxes qui eux, n’utilisent que partiellement le motif.

Audio partiel 2

A44 est une transition où l’on entend les 13 soufflants en « paquets » pour la première fois depuis le début du morceau et ce, jusqu’à A60. Ce passage fait entendre de grosses nuances, en alternance de et de f (la tonalité du morceau s’installe en Db).

Audio partiel 3

A60 : passage où le M1 est à nouveau entendu très clairement (le voicing d’arrivée fait référence à un accord « fétiche » du langage de Duke : Eb79/11, qui fait entendre la tierce et la quarte en tension, la quarte étant la mélodie. Tout l’accord descend ensuite d’un demi-ton, sauf la mélodie, pour aboutir sur un D79/#11). 

Audio partiel 4

2 binômes (2tp’s/2 altos) se dégagent alors dans un moment de calme, pour faire entendre une première fois le M2 (en « questions/réponses » avec le reste de l’orchestre, pour aérer le discours). 

Audio partiel 5

Les 14 mesures entre A72 et A85 sonnent la fin de cette longue introduction. On cite ici dans une nuance ff et pratiquement « dans le texte » l’intro originale du Duke M3, en la ré-harmonisant sérieusement. D’abord les cuivres en paquets, puis le piano seul (la première voix suit le dessin du motif original, les voix du dessous évoluent chromatiquement), pour enfin entendre une dernière fois le M2.

Audio partiel 6

B : Thème original en forme de riff chromatique, sur la forme 32 mesures A.B.A.C (comme le thème de Duke)

mellowtone 2001
Audio partiel 7. Thème chromatique

Joué à l’unisson tp harmon/soprano/piano, ce thème utilise une progression d’accords qui n’est pas tout à fait étrangère à la grille d’origine.

L’orchestration de ce thème est assez simple ; des backgrounds de saxes et de tb’s viennent soutenir la mélodie jouée à l’unisson. Le piano joue seul la dernière ligne (B25).

B32 est une transition en clusters assez tendus, reprenant les chromatismes du thème et le M3. Une pédale de Ab sur 17 mesures, amène le solo de tp.

Audio partiel 8

est un long solo de tp de 3 x 32 mesures. Les 16 dernières mesures sont accompagnées par un background de tb’s harmonisés à 4 voix en close voicings dans le médium. Le tb basse s’écarte à C59 pour faire entendre des fondamentales, les 3 autres jouant alors plutôt en intervalles de quartes.

Audio partiel 9. Dernier solo + backgrounds

D est un tutti de 35 mesures qui commence sur une nuance douce (la rythmique joue « in 2 » à la blanche, pour installer un climat plus tranquille). Les tp’s jouent à l’unisson, soutenues par des backgrounds de tb’s et de saxes (la tp4 lâche parfois l’unisson pour rejoindre le background ou jouer à l’unisson avec le soprano).

Ce tutti monte en puissance depuis le début jusqu’à la séquence de D25.

Audio partiel 10

Sur D25, j’utilise de grosses quintes en pédale (les tb’s, le baryton et la basse) sur lesquelles se superpose la mélodie jouée à 3 voix parallèles par les 4 tp’s doublées par 4 saxes (une quarte et une seconde majeure, et lead doublé à l’octave inférieure). Ce système, que j’appelle de façon imagée : « gladiator » ou « berger bulgare », termine ce tutti en ramenant decrescendo la nuance à un piano.

Audio partiel 11. Tutti « Gladiator »

Une transition de 8 mesures de batterie amène à la réexposition du thème.

E : Les 16 mesures de et E9 sont une citation légèrement extrapolée et ré harmonisée des 16 premières mesures du thème original de Duke Ellington. 3 tp’s jouent le thème à l’unisson avec un back de 3 tb’s en quartes. Le tout étant doublé par le soprano, l’alto et les 2 ténors. A E10 le voicing est gonflé par la tp4, le tb basse et le baryton. 

Audio partiel 12

E17 est une sorte de synthèse et de justification de tout ce qui a été énoncé précédemment dans le morceau. Je superpose ici le thème de Duke (tb’s et baryton à l’unisson) sur le thème chromatique de B.

Audio partiel 13

E26 est une coda. Le principe d’orchestration reste le même ; 3 ou 4 tp’s à l’unisson doublées par le soprano avec un background. On cite le thème chromatique pour finir sur l’intro de Duke (M3) et clore le morceau avec M1 qui est en quelque sorte l’argument principal de cet arrangement. L’accord final est un empilage de quartes sur basse de Db.

Audio partiel 14

L’emploi du piano et de la guitare

La guitare est clairement utilisée pour doubler des parties de lead, et ne joue jamais « en dehors » de la section. Dans l’intro par exemple, elle soutient toutes les entrées en « canon » et en assure donc le « liant » et l’homogénéité. Elle est discrète, mais vient apporter une enveloppe très intéressante, notamment lorsqu’elle double les trompettes. Elle intervient uniquement de manière monophonique. 

Le piano quant à lui, double des parties de façon monophonique (parfois avec la guitare d’ailleurs), mais peut également doubler des parties harmonisées, comme les saxes à A32. Il va aussi jouer des parties en solo comme à A76 ou B25, et assurera l’accompagnement du solo de trompette.

L’emploi de l’unisson 

Beaucoup de parties sont jouées à l’unisson dans cette orchestration. Entre instruments de même section (au début de l’introduction par exemple), entre le lead trompette et le lead alto (toute la partie à A55), entre la Tp4 sourdine harmon, le soprano, le piano et la guitare (sur le thème de B), entre le Tb basse, le piano et la contrebasse (B41), parfois même entre des voix intermédiaires qui prennent le relais de la mélodie (Tp2 et Alto2 à B46).

L’emploi des sections

On constate ici que les sections jouent rarement au complet en homorythmie. Ces sections sont fréquemment disloquées, notamment pour former des binômes avec des instruments des autres sections. Ici, on est loin du « big shout » classique. J’utilise plusieurs fois l’effet « carillon » ou « canon » en formant une fois encore des binômes.

L’emploi des nuances

Les nuances donnent vie à la musique. Bob me disait : « Les nuances dans un morceau, c’est comme un électrocardiogramme, ça doit monter et descendre. S’il n’y a pas de nuances, c’est que le morceau est sans vie, qu’il est mort » 

Le présent morceau fait entendre de multiples nuances, du pp au ff, parfois on passe de l’un à l’autre très rapidement comme à A44. Parfois le crescendo s’opère sur plus de 30 mesures, comme de D à D25. Souvent, les nuances sont plus ou moins naturelles, car imposées par la hauteur du son. Une phrase « montante » va souvent générer une nuance crescendo, une phrase « descendante », un decrescendo…

Conclusion

Voilà ce que je pouvais dire sommairement 22 ans après, sur ce travail qui a considérablement enrichi mon vocabulaire et qui m’a ouvert de nouvelles voies !… J’ai beaucoup progressé depuis, grace à l’écriture de cette composition (et des nombreux exercices d’écriture que je m’impose régulièrement depuis 1980), notamment sur le développement des idées, l’intériorisation des couleurs et des lignes (je n’ai qu’un oreille « relative » et pas « absolue »). Je ne renie pas « artistiquement » ce morceau pour autant.

J’ai tout naturellement dédié cette composition à Duke Ellington, une de mes références absolues en matière d’écriture et d’orchestration, et à Bob Brookmeyer, qui a été un révélateur, et reste un de mes mentors … 

Stan Laferrière

Vous pouvez écouter le CD complet ICI

Toutes les partitions du CD sont disponibles dans la boutique

Brouillon de travail
Brouillon de travail

Orchestration : Les effets

L’orchestration jazz et les effets

On peut sans aucun doute, attribuer la provenance d’un certain nombre d’effets produits par les instruments (notamment les cuivres et les anches), à la musique de jazz. 

Les chants des esclaves, worksongs et gospels, faisaient entendre une plainte et traduisaient souvent la peine, la misère. La première « blue note » (une tierce mineure jouée ou chantée sur un accord majeur) est vraisemblablement à l’origine de ce lexique purement jazz, et en tous cas du « bend », car elle est très souvent jouée ou chantée avec une inflexion notoire. Cette « blue note » crée une ambiguïté tonale, renforcée par l’inflexion. Plutôt employé par les saxophones qui veulent imiter les inflexions de la voix, on entendra le bend joué plus tard de façon appuyée et rarement sans inflexion, par des trompettistes et des trombonistes.

Bend et Fall. Bob Brookmeyer

Le « Bend »

Cet effet « bend » (on joue la note en l’attaquant par dessous et non de façon franche) sera très vite employé sur d’autres notes que les « blue notes » et notamment par les saxophonistes (Johnny Hodges chez Duke Ellington) et même par des sections entières (Marshal Royal, lead alto chez Count Basie par exemple).

La sourdine plunger avec le mouvement fermé/ouvert « wa », peut imiter cet effet (voir article sur les sourdines).

Bend et Vibrato. Johnny Hodges chez Duke Ellington
Bend. Marshal Royal chez Count Basie

Le « Growl »

Parmi les effets « primaires » du jazz, il s’en trouve un qu’affectionne particulièrement Duke Ellington dans sa période « jungle » des années 25/30, mais qui est déjà utilisé dans le style New-Orleans, il s’agit du « growl ».

Le « growl » suggère un grognement. On le fait en utilisant la technique du soufflé-chanté (moduler sa voix en contractant les muscles de la gorge en même temps que l’on souffle dans son instrument).

Il ne faut pas confondre le Growl avec le Flatterzunge (abrégé « flat » sur les partitions) qui résulte d’un martèlement de la langue entre les dents et le palais (un peu comme lorsqu’on roule les r) pendant le jeu, ou encore le double-son, utilisé dans la musique contemporaine, pour lequel l’instrumentiste chante une note en voix de gorge tout en continuant à en jouer une autre.

Le Growl est utilisé par les cuivres, les bois et le saxophone. Quelques illustres exemples dans le jazz : Cootie Williams (Tp) Earl Bostik (Alto sax).

Growl. Cootie Williams (Tp)
Growl. Earl Bostik (Sax)

Cet effet est rarement utilisé par des sections entières, mais plutôt par des solistes.


Le « Glissando »

Le glissando ou glissato (du français « glisser ») est un terme d’origine Italienne qui désigne soit un glissement continu d’une note à une autre, soit le passage d’une note à l’autre par un groupe de notes intermédiaires.

Il consiste dans l’élévation ou l’abaissement constant et progressif de la hauteur d’un son, obtenu de diverses manières selon les instruments.

Le glissando proprement dit est celui que peut produire la voix humaine, un instrument à cordes comme le violon (en faisant glisser le doigt sur une corde) ou le  trombone à coulisse ; dans ce cas on ne perçoit pas le passage entre les notes parce que la transition se fait sans discontinuité. On parle alors de « portamento » ou « dégueulando ».

Le terme s’applique également à des effets avoisinants comme ceux réalisables par les instruments à clavier, la plupart des cuivres, et les instruments à cordes pincées.

Pour les cuivres, glissato indique souvent l’exécution de la série des notes harmoniques exécutables sans changer de position.

Le trombone, grâce à sa coulisse, peut effectuer aisément un véritable glissato. Une des difficultés majeures pour les trombonistes est justement d’éviter les glissati entre les notes (le staccato/legato est en effet difficile à réaliser dans la rapidité). L’effet de glissando est maximal au trombone, dans l’intervalle qui sépare la première de la septième position.

Le cor peut obtenir un effet de glissato efficace grâce à l’action combinée de la main et des lèvres.

Chez les bois, l’exécution instrumentale de la musique du vingtième siècle a exploré la possibilité du glissando sur pratiquement tous les instruments de la famille.

Sur les instruments les plus petits, ( Hautbois, clarinette), le fait que l’instrumentiste utilise directement la pulpe des doigts pour boucher les trous rend possible le véritable glissato, obtenu en découvrant graduellement et successivement la superficie de chaque trou ; pour la flûte, c’est également possible pour les modèles dont les clés sont percées.

Sur le saxophone, dont les trous sont ouverts et fermés en actionnant des clés, il est toutefois possible de « glisser » sur l’intervalle qui sépare deux notes en modifiant la position des lèvres, ce qui, combiné avec l’action des mains, permet d’obtenir un effet très semblable au véritable glissato. Certains saxophonistes parviennent toutefois à s’affranchir de cette difficulté technique en « glissant » sur plus de notes par une technique combinée des doigts, des lèvres et de la gorge

Le glissando le plus célèbre est sans doute celui que joue la clarinette au début de la Rhapsody in Blue de G.Gershwin (Rappelons toutefois qu’à l’origine, Gershwin avait écrit une gamme chromatique). 

Glissando. Rhapsody in Blue

Le « Subtone »

L’effet « subtone » quant à lui, est réservé aux anches (saxophones et clarinettes). C’est un effet de souffle, plutôt dans le registre grave de l’instrument et dans une nuance piano. Le son subtone est le contraire du son timbré. En jazz classique il est souvent associé au vibrato, Ben Webster, Stan Getz et Paul Desmond (entre autres) jouant eux de façon plutôt détimbrée. (Subtone : Les saxes ténors dans « For Lena & Lenie » de Quincy Jones).

Subtone/Vibrato. Ben Webster
Subtone. Stan Getz
Subtone. Paul Desmond
Subtone. Quicy Jones

Le « Vibrato »

Le « vibrato » est une modulation périodique du son d’une note. La nature de cette modulation dépend de la nature de l’instrument et de la technique qu’utilise le musicien.

L’effet vibrato est le premier effet à avoir été créé de manière électronique. Il consiste à prendre le signal de l’instrument et de varier rapidement sa fréquence. En d’autres termes, on fait varier la hauteur du son autour de sa tonalité.

Dans le chant, l’intensité n’est en général pas maintenue constante et la modulation périodique concerne à la fois la hauteur et l’intensité, dans des proportions variables selon la technique. Pour les instruments à vent, la modulation périodique est obtenue par le diaphragme, mais concerne cependant davantage l’intensité que la hauteur. 

Comme tous les effets de nuance, le vibrato apporte une expressivité particulière selon la façon dont il est effectué : rapidement ou lentement, de façon fluide ou saccadée. En jazz, principalement utilisé dans les styles traditionnels (Sidney Bechet, Harry James), son utilisation s’est peu à peu raréfiée avec les styles plus modernes. Il s’agit essentiellement d’un effet de soliste, car il ne supporte pas bien « l’harmonisation » et notamment l’harmonisation « tendue » à partir des années 50/60. Dans les sections de big bands des années 30 et 40, le vibrato est cependant assez répandu, et plus particulièrement dans la section de saxophones.

Vibrato. Sidney Bechet (Sax)
Vibrato. Harry James (Tp)

Le « Fall », le « Shake »

Le « fall » (tomber) et le « shake » (secouer), sont des effets plutôt utilisés en sections dans les big bands. Harry Edison à la Tp utilise cependant le fall dans le « Sweet Lorraine » avec Nat King Cole dans l’album « After Midnight ».

Fall. Harry Edison (Tp)

Le « fall » peut être court (« short ») ou long (« long »), c’est un glissando descendant, « lâché », sans note d’arrivée.

Fall (long) Marty Paich

Le « shake » ne doit pas se confondre avec un trille, il est produit par un effet de lèvres et parfois en secouant l’instrument.

Shake. Count Basie

Le « Half valve »

Il existe un autre effet qui concerne uniquement les instruments à pistons. Il s’agit du « half valve ». L’instrumentiste abaisse les pistons à mi-course (Rex Stewart « Swing Baby Swing » à 9 ‘’ et à 46’’, Glenn Miller « Saint Louis Blues March »).

Half valve (à 9″ et à 46″). Rex Stewart (Tp)
Half valve. Glenn Miller

Tous ces effets peuvent évidemment être utilisés dans l’écriture, dans le cadre d’un arrangement par exemple… Voici comment on peut les noter sur la partition :

La plupart des effets sont « cumulables » dans la même phrase, et parfois sur la même note …

Dans ce solo de 1938, le trompettiste Cootie Williams utilise à peu près tous les effets cités ! Bend, shake, growl, vibrato, fall…

Effets multiples. Cootie Williams

En musique contemporaine, comme en jazz actuel, beaucoup d’effets sont utilisés. 

Voici un exemple parmi tant d’autres, avec ce morceau très original et intéressant, tant au niveau des textures et mariages de sons (voir l’article sur l’orchestration), que sur la gestion des effets, et notamment des effets de groupe.

Allez ! Je vous laisse découvrir … Il y en a un peu partout, c’est très riche ! Il est tiré de l’album de Kenny Werner« Naked In The Cosmos” et interprété par le merveilleux Brussel Jazz Orchestra.

Effets et textures multiples. Kenny Werner « Naked In The Cosmos »

Orchestration : Les sourdines

La sourdine : un accessoire indispensable pour l’orchestrateur

La sourdine doit être considérée par l’orchestrateur, comme un élément ou plutôt un « colorant » très important. Bien utilisées, les nombreuses variétés de sourdines multiplient le nombre de possibilités de mariages sonores au sein de l’orchestre. Mariés à un saxophone ou à une flûte par exemple, une trompette ou un trombone équipés d’une sourdine, vont permettre de simuler d’autres instruments (ceux que l’on a rarement dans les orchestres de jazz, comme le hautbois, le basson ou le violon, le violoncelle). Voir l’article sur l’orchestration.

L’utilisation des sourdines semble s’être un peu perdue chez les arrangeurs de la nouvelle génération… Manque de connaissance ? Les sonorités leurs semblent-elles désuètes et datées, faisant trop référence à la « swing era » ? 

Pourtant, de grands « maîtres » actuels de l’écriture jazz les utilisent avec brio, mais encore faut-il bien connaître leurs spécificités et avoir leurs différents sons dans l’oreille …

Les sourdines sont utilisées en Jazz pour la trompette et le trombone (il en existe aussi pour tubas et saxhorns).

L’effet musical produit est double. Il consiste à modifier le son, mais également son intensité, ou volume sonore. Ces deux effets sont indissociables, agir sur le timbre revenant à agir sur le volume sonore. Il en est de même lorsque l’on passe d’un jeu d’intensité fort, à un pianissimo : voulant modifier le volume, on modifie aussi le timbre.

L’utilisation des sourdines étend donc la gamme de sonorités et de possibilités expressives de l’instrument.

Les sourdines ne doivent pas, en principe, modifier la justesse et la réponse de l’instrument. Cependant, dans la grande variété de modèles, il en existe certaines, qui par leur forme, volume, fermeture du pavillon ou leur matériau, perturbent partiellement (sur une note, un registre ou plus) la justesse et la réponse de l’instrument.

Petit rappel historique

L’utilisation de la sourdine (pour la trompette) remonte au début du XVIIème siècle. Martin Mersenne dans son harmonie universelle de 1636, en donne la description : « la sourdine est ordinairement faite d’un morceau de bois que l’on met dans le pavillon de la trompette, afin qu’elle la bouche tellement qu’elle en diminue et en assourdisse le son ».

Si Mersenne ne mentionne pas l’effet sur la justesse de l’instrument d’une telle sourdine, on trouve cependant dans la littérature musicale de l’époque des avertissements sur les précautions à prendre lors de son emploi. Monteverdi dans la toccata qui précède le prologue de son opéra « Orphéo » (1607) précise que : « si l’on désire que les trompettes jouent avec sourdines, la toccata devra être jouée un ton plus haut »

Ce n’est que bien plus tard, dans les partitions de Mozart, que l’on retrouve l’utilisation de la sourdine pour les trompettes.

Debussy et Wagner ont souvent fait usage de la coloration sonore bien particulière du cor et de la trompette avec sourdine. Après eux, l’utilisation de la sourdine pour le trombone et le tuba s’est répandue : Don Quichotte de Richard Strauss, le Mandarin merveilleux de Bartok ou Petrouchka de Stravinski en sont quelques exemples. Au début du XXème siècle, l’école de Vienne (Webern en tête) fait grand usage des cuivres en sourdine.

A partir des années vingt, le développement du Jazz a donné un nouvel élan à la recherche de nouveaux timbres. Ainsi la trompette et le trombone ont été le terrain de multiples essais de modification du timbre avec des objets de toutes sortes.

Les principaux modèles de sourdines utilisées en jazz aujourd’hui 

Straight mute

La sourdine sèche « Straight mute » ou « Carotte », est la plus utilisée dans tous les genres de musique. En musique classique, si le type de sourdine n’est pas mentionné, c’est celle qu’on doit utiliser. On en trouve en métal, en fibres ou en plastique, de forme droite ou évasée.

straight mute
Pixie – Straight mute

Le son varie énormément d’un modèle à l’autre et dans les grandes formations de jazz ou de variétés, on impose souvent un modèle unique à tout le pupitre de trompettes. Il faut souvent ajuster l’épaisseur des cales en liège avec du papier de verre de façon à obtenir le meilleur compromis entre son et justesse. La sourdine « Pixie » est plus oblongue et dépasse à peine du pavillon, pour être jouée avec un Plunger.

Straight mute. Bois, carton
Straight mute. Métal
Pixie avec Plunger

Wa-wah – Harmon

La sourdine « Wa-wah » offre une variété de sons selon la position du tube coulissant.

harmon mute
Wa-Wah – Harmon mute

Enfoncé, c’est la « Wa-wah » classique (noté « Wa-wah » sur la partition). On la fait « parler » en déplaçant la main devant l’orifice du tube (de la voyelle u-oo à la voyelle a-aa, d’où le nom de « Wa-wah »).

Wa wah avec le tube et la main

Tiré (noté « fully extended » sur la partition), c’est le son est plus fermé.

Enlevé « without tube » (noté « Harmon » sur la partition), la sourdine devient une « Harmon mute », popularisée entre autres, par Harry « Sweet » Edison & Miles Davis. 

Harmon mute (Wa-wah sans le tube)
Harry Edison « Sweet Lorraine » Harmon mute
Miles Davis « On A Green Dolphin Street » Harmon mute
Count Basie « Duet » Wah Wa

Cette sourdine s’utilise quelque fois en orchestre classique, par exemple dans le solo de « Rhapsody in Blue » de George Gershwin, et les compositeurs contemporains en font un usage fréquent. 

Wa-wah « Rapsody in Blue »
Gil Evans « Davenport Blues » Harmon mute à 1’50 »

Cup mute

La sourdine Bol « Cup mute » produit un son particulièrement doux. La fixation du bol doit permettre de régler la distance du bord du bol au pavillon de la trompette, qui doit être d’environ un centimètre. Souvent, cette sourdine est prévue pour être aussi utilisée comme sourdine sèche en enlevant le bol, mais la qualité (justesse et sonorité) est généralement inférieure à celle d’une vraie sourdine sèche. 

cup mute
Bol ou Cup mute
Cup mute en carton
Cup mute en métal
Count Basie « Jive At Five » Cup mute

Robinson

La sourdine « Robinson » est une variante avec du coton dans le bol pour adoucir encore plus le son. Elle n’est plus fabriquée mais on peut en faire une soi-même.


Plunger

La sourdine « Plunger », utilisé dans le jazz New-Orleans et dixieland, était à l’origine une ventouse en caoutchouc de plombier destinée à déboucher les éviers. 

plunger
Plunger mute – Tuxedo Plunger – Hat
Plunger en caoutchouc

On la déplace en jouant pour alterner les sons ouverts (notés « o » sur la partition) et bouchés (notés « + » sur la partition). Lorsque l’on fait un mouvement rapide de « fermé » à « ouvert » on note : « wa » sur la partition. 

Glenn Miller « Tuxedo Junction » Plunger
Duke Ellington « Tuxedo Junction » Plunger
Quincy Jones « Tuxedo Junction » Plunger et Straight

On utilise aussi quelquefois le Plunger associé à la sourdine sèche (« Pixie » plus courte) pour des effets « jungle » à la Bubber Miley (cornettiste de l’orchestre de Duke Ellington dans les années 20).

Bubber Miley « The Mooche » Plunger avec Straight mute

Dans les grands orchestres de danse des années 30 et 40, on utilisait le « Tuxedo Plunger », identique au plunger mais fabriqué en carton, et aussi la « Derby mute », sorte de chapeau melon en aluminium quelques fois garni de matériau absorbant, que toute la section de trompettes faisait aller et venir devant le pavillon dans un geste ample et synchronisé, très spectaculaire.


Bucket – Velvet

La « Bucket mute » et la « Velvet mute » s’utilisent en big band pour atténuer la brillance du son de la trompette (résultant de l’utilisation d’embouchures très relevées à queue étroite) pour certains passages musicaux, ou comme alternative au bugle.

bucket mute
Bucket mute – Velvet mute

Ces deux sourdines sont formées d’un récipient cylindrique contenant du coton ou une autre fibre absorbante, qui se place devant le pavillon et amortit les harmoniques aiguës. La « Bucket » modifie plus le son que la « Velvet » car elle se fixe dans le pavillon comme une sourdine sèche, réduisant sa section efficace, tandis que la « Velvet », accrochée par trois clips au bord du pavillon, n’a pas d’effet sur les graves de la trompette.

Bucket-Velvet mute

A noter que l’on peut simuler le son de la velvet en jouant le pavillon dans le pupitre, noté : « in stand » sur la partition, ou, comme dans les big bands des années 40, dans un chapeau en carton posé sur un stand à côté de l’instrumentiste (« in hat »).

Il existe aussi des « Bérets » en feutrine (plutôt pour les trombones), beaucoup moins encombrant qu’une « Velvet » et assez efficaces…


Solotone – Cleartone

La sourdine « Solotone » ou « Cleartone » est une sorte d’hybride entre la sourdine Sèche et la sourdine Harmon. Cette sourdine était souvent utilisée dans les orchestres swing des années 1930-1940 et on trouve encore des arrangements qui la demandent. Le son est voisin de celui d’une Wa-wah ouverte (sans mettre la main devant).

solotone mute
Solotone ou Cleartone mute
Solotone-Cleartone mute

Juste pour le fun : il existe un système de sourdine incorporée à l’instrument du cornet « à écho » dans lequel un quatrième piston dévie la colonne d’air vers un second pavillon de forme quasi fermée. Ce dispositif ingénieux permet de passer instantanément du son ouvert au son bouché. On a même construit des trompettes à écho sur le même principe. 

cornet à écho
Cornet à « écho »

Les sourdines altèrent la justesse de l’instrument (quel que soit le modèle de la sourdine) le diapason monte plus ou moins selon le modèle, il est donc important de se ré- accorder. Cet aléa est donc à prendre en compte pour l’arrangeur, notamment, il doit laisser du temps à l’instrumentiste pour mettre ou enlever sa sourdine et s’accorder entre un passage joué « ouvert » et un passage joué avec sourdine. Lorsque l’on souhaite que l’instrumentiste enlève sa sourdine, on note « open » sur la partition.

Globalement de nos jours, vous pouvez utiliser sans problème dans vos orchestrations : Straight, Cup, Harmon (pour les trompettes). Straight et Cup (pour les trombones). Tout instrumentiste « professionnel » se doit d’avoir ces sourdines dans sa boite. Il arrive que certaines formations investissent dans un jeu complet de sourdines d’orchestre. C’est encore mieux ! Car tout le monde joue alors avec le même modèle, ce qui favorise considérablement l’homogénéité du son des sections.

Set « indispensable « 
sourdines jazz

Merci à Michel Bonnet pour son aide précieuse et les petits extraits en solo …

Les génies décisifs : Bill Evans

pascal anquetil

Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil

Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).

Bill EVANS : Le soleil noir de la mélancolie.

Bill Evans :

16 août 1929 à Plainfield – 15 septembre 1980 à New York

Il est de beaux dimanches comme ce 25 juin 1961. Un dimanche en cinq manches (deux sets l’après midi et trois sets en soirée) au Village Vanguard de New York. En une époque particulièrement turbulente, trois hommes, Bill Evans, Paul Motian et un jeune fauve de la contrebasse, âgé d’à peine 23 ans, Scott LaFaro, réalisent ce jour-là le miracle de suspendre le temps, d’apprivoiser la beauté pure et de poser en des termes neufs la problématique de l’échange musical. En un merveilleux ménage à trois, ils inventent un nouveau mode de circulation des énergies et des inconscients. Ce miracle fut de courte durée. Dix jours après, LaFaro se tuait en voiture, laissant Bill anéanti. Il devint, comme Nerval « le veuf, le ténébreux, l’inconsolé. »

« Le soleil noir de la Mélancolie » ne cessa plus depuis lors d’éclairer sa musique, mystérieuse, hypersensible, lyriquement grave. Déjà accro à l’héroïne depuis sa fréquentation de Philly Jo Jones dans le quintette de Miles Davis, époque « Kind of Blue », sa vie devint, comme l’a écrit son ami écrivain Gene Lees « le plus long suicide que toute l’histoire du jazz ait connu ». Après la musique, la drogue sera jusqu’à la fin sa seconde et impitoyable maîtresse. Les dernières années, il passera à la cocaïne, ce qui aura pour effet d’accélérer toute sa musique et de redresser sa position face au piano, lui si longtemps recroquevillé sur son clavier, dos voûté pour mieux se rapprocher au plus près du son.

Bill Evans
Bill Evans

Rien de ce que joue ce poète de la confidence, têtu chercheur des lointains intérieurs, ne laisse tranquille, indifférent. Tant l’émotion qu’elle suscite est d’emblée bouleversante. Créateur d’une esthétique plutôt qu’un style, le plus européen des musiciens américains  (il connaît très bien la musique classique, française comme russe) marque un point focal dans l’histoire du piano jazz. Avec lui, il y a un avant et un après. Tout le piano moderne vient de là et de lui. Pour son premier disque, sous son nom, publié en 1957, à  l’âge de 27 ans, Bill Evans avait choisi un titre très clair: « New Jazz Conceptions ». Avec lui, il s‘agit, immédiatement, de l’invention d’un espace neuf, celui de l’intériorité absolue, que nul n’avait exploré avant lui. Il trouve une nouvelle esthétique du trio qui bouleverse la formule académique « piano basse batterie ». Dans son monde, à partir de 1960, les rôles sont reformulés et le triangle devient enfin équilatéral. La basse s’insinue sensuellement dans toutes les harmonies pour faire jeu égal avec le piano. La batterie ou, plus justement, la percussion rythmique, renvoie leur dialogue à toute sa délicatesse. D’où ce miracle d’équilibre où chacun des partenaires s’émancipe de l’autre en toute liberté, pour mieux laisser « la » musique s’éclore et s’épanouir.

Ce qui fascine dans son jeu, c’est d’abord son toucher tout en nuances et en vibration intime, riche d’un usage très raffiné de la résonance « Le piano, dira-t-il, est pour moi du cristal qui chante et qui produit de l’impalpable : un son qui s’étire dans l’air comme un rond de fumée. » Bill Evans fut tout à la fois un  mélodiste d’exception, un coloriste de l’harmonie et un rythmicien hors pair grâce à son sens aigu de la pulsation intérieure et sa science des timbres, de la dynamique et du swing…au-delà du swing. « Bill Evans jouait dans les souterrains du rythme, dira Miles Davis. C’est ce que j’aimais le plus en lui. » Par l’allégement de son jeu de main gauche, il fait chanter l’harmonie comme personne avant lui, imposant  ainsi une autre forme, discrète, secrète, pudique, jamais tapageuse ni narcissique, du lyrisme

Il est aussi de beaux lundis, comme ce 26 novembre 1979 à Paris, à l’Espace Cardin archi-comble. Avec deux jeunes complices d’exception, Marc Johnson à la contrebasse et Joe LaBarbera à la batterie, Bill retrouve le plus beau trio qu’il ait réuni depuis celui formé par Paul Motian et Scott LaFaro. Quand un homme sait qu’il va mourir, il se produit souvent un  phénomène qu’on appelle « l’embellie ». Une mystérieuse cure de jouvence qui se traduit par une phénoménale fureur de vivre, l’urgence absolue d’aller à l’essentiel, la quête effrénée de la perfection dans laquelle il épuisera ses dernières forces. Comme si c’était la dernière fois. Et ce fut bien pour lui son dernier concert à Paris. Tout se joue, alors, dans la brûlure de l’instant. La mort rôde partout, c’est sûr, mais reste pourtant si lointaine, si impossible. Conséquence : jamais Bill Evans n’a été aussi grand, libre et lyrique qu’en ce soir d’automne à Paris. L’instant le plus magique du concert fut cette invraisemblable introduction fleuve (plus de 6 minutes 30 !) de Nardis, tout en variations en quintes, tout en rigueur et liberté contrôlées. Soudainement, le cliquetis des photographes cessa. Chaque spectateur retint sa respiration devant l’évidence éblouie de vivre ensemble un moment unique de pure musique. Dix mois plus tard, à bout de force, il mourut brutalement d’un ulcère perforant. Comme Charlie Parker.

Peri’s Scope. Bill Evans trio

Quelques notions de base pour gérer l’orchestration…

Timbres, volumes, combinaisons de sons, spatialisation, tessitures, intervalles.

orchestration

En matière d’arrangement jazz, je dis souvent que ce métier en implique 2. On parle en effet souvent d’harmonisation (1er métier), mais moins souvent d’orchestration (2ème métier) : Le choix des instruments et des mariages de timbres… 

Un peu comme sur la palette du peintre : Les instruments constituent les couleurs primaires, et les mariages que l’on peut faire entre eux, sont autant de couleurs personnelles qui font l’identité de l’artiste…

L’équilibre d’un ensemble est très fragile et sensible aux différents timbres et volumes des instruments qui le composent. 

La gestion des timbres, des volumes sonores et des nuances est extrêmement importante pour une bonne tenue de l’orchestration. 

Le problème se pose de fait beaucoup moins pour un ensemble d’instruments appartenant à la même famille, et qui auront donc plus ou moins le même timbre ou la même intonation (Ensembles de Tb’s, Tp’s, Saxophones, ensembles de bois, ensembles de cuivres).

Attention cependant aux saxophones ! Les deux tonalités de Sib pour le soprano, le ténor et le basse et Mib pour l’alto et le baryton, peuvent constituer un obstacle à la justesse d’un unisson. Méfiance également et toujours pour les saxes : plus ils sont petits, moins ils sont justes ! 

Selon que l’on distribue (pour un même arrangement ou voicing) les voix à tel ou tel instrument, la couleur de l’accord peut s’en trouver complètement changée. Par exemple, une note que l’on veut faire ressortir dans un accord, devra être jouée par un instrument qui est capable de la faire ressortir. Soit parce qu’il a un volume suffisant à la tessiture voulue, soit parce que son timbre est particulier, ou encore, qu’il est utilisé à contre-emploi dans un registre inhabituel (comme chez Ellington « Hersay Or Orson wells » Deep South Suite, où le sax baryton joue dans le suraigu).

Extrait « Hesay Or Orson Wells » (B.Strayhorn) tiré de la Deep South Suite de Duke Ellington

D’où l’importance de connaître parfaitement les instruments pour lesquels on écrit (voir tableau des tessitures). 

Les familles d’instruments dans le jazz

Deux grandes familles de « soufflants » dans un big band ou un médium band de jazz :

Les cuivres et les anches. La flûte est occasionnellement jouée par les saxophonistes, et les anches doubles (hautbois, cor Anglais et basson) sont très peu utilisées (dommage…)

Les cuivres (trompettes et trombones, voire les cors et tubas) sont des instruments brillants et sonores (les nuances pp et ppp sont cependant bien entendu réalisables). Ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est l’enveloppe du son et la façon dont il est émis et diffusé. Acoustiquement parlant, les trompettes, mais surtout les trombones, « arrosent ». La note est jouée et aussitôt se diffuse dans l’espace.

Les anches (saxophones et clarinettes) sont plus « précis » dans l’émission du son, et diffusent ou « arrosent » moins.

Ce n’est pas un hasard si les quintets de jazz les plus célèbres sont composés d’un cuivre et d’une anche (pour permettre des unissons alliant une large diffusion du son et sa précision d’émission). Charlie Parker & Dizzy Gillespie. Lee Morgan & Benny Golson, Miles Davis & John Coltrane etc…

Dans la réalité, comment utiliser ces instruments ?

Si on considère que l’on connaît la tessiture de chaque instrument, il faut aussi en connaître les points forts et les points faibles, ce qui est « jouable » et ce qui ne l’est pas. 

Le saxophone ténor par exemple, peut sonner formidablement dans l’aigu voire le suraigu. 

La clarinette, très boisée et sonore dans le bas de la tessiture, possède une série de notes « faibles » du Mi (première ligne) au La bémol (en ut) et se révèle très puissante dans l’aigu et le suraigu. De plus elle possède une fourche, au La 2ème interligne (clé d’octave qui transpose en réalité à la douzième) qui rend les sauts d’octaves ainsi que certains traits, difficiles à exécuter.

Le trombone avec son système de positions et sa coulisse, possède lui aussi un handicap dans la vélocité. 3 passages dans le médium grave, entre le La 1er interligne et le Do, nécessitent un grand mouvement de coulisse (de 48 à 57 cm). (Voir tableau plus bas).

On a compris qu’il fallait choisir avec soin les instruments auxquels on attribue une voix ou une autre, en fonction de la couleur ou du climat désiré de la hauteur de la note ou du voicing et de la rapidité du trait. Le principe s’applique pour deux voix comme pour dix.

En ce qui concerne les unissons, il y a quelques pièges à éviter :

Les trompettes à l’unisson dans l’aigu, c’est possible, mais pas très joli. Jamais 4 à l’unisson dans l’aigu, mais 2 ou 3 en haut et une qui double à l’octave grave, pour donner de l’épaisseur et éviter le « phasing ».

Un unisson de trombone se fait à 3 ; à 2 il est faible, ou alors on le double avec 2 saxes ténors.

Le vibraphone, la guitare (électrique ou électro-acoustique) ou le piano peuvent être utilisés au sein de la section de soufflants, pour créer un effet, un renfort du lead. Le piano, dans le grave, peut également venir « préciser » une contrebasse. De même, un unisson guitare/piano, sax soprano/piano, guitare/bugle, vibraphone/flûte (par exemple) peut se révéler très efficace. 

En ce qui concerne les sourdines, très utiles pour colorer, un article vous tend les bras ….

Les mariages et combinaisons d’instruments 

Lorsqu’en Big Band, on écrit en « paquets » (« Big Shout »), les mariages sont en quelque sorte imposés. Il n’en va pas de même lorsqu’on écrit à 3, 4, 5 ou 6 soufflants. Pour être équilibré, votre voicing doit être joué avec des instruments de même volume (ou approchant). En clair, une flûte, une clarinette dans le médium, entourée de trompettes, trombones ou saxophones, aura peu de chances de se faire entendre (A moins que ce ne soit une volonté délibérée). La flûte ou la clarinette en question pourra tirer son épingle du jeu, si vous lui faites jouer le lead dans l’aigu ou le médium aigu et encore mieux, si elle est doublée par une guitare ou un piano, voire une trompette bouchée… 

Si vous écrivez pour un ensemble qui comporte des instruments au volume « naturel » disparate, choisissez avec soin le registre dans lequel vous allez les utiliser, en fonction des variations de nuances (du pp au ff) désirées…

Le problème se pose souvent de savoir, à tessiture égale, quel instrument employer, pour jouer quelle voix… Ici, à tempérament et volume égal, c’est affaire de goût. Personnellement, à quatre voix par exemple, avec Tp, Tb, Alto, Ténor, je préfère toujours mettre le Tb en bas et le ténor au-dessus…  Le Tb est plus « épais » et consistant dans le grave. Cette formule (Tp,Tb, Alto, Ténor) permet pas mal de combinaisons, et notamment d’avoir le lead dans l’aigu, soit à la Tp, soit à l’alto.

La formule « 4 soufflants » a toujours attiré les arrangeurs… Voici quelques exemples, avec des instrumentations différentes.

Clifford Brown. « Daahoud » Tp, valve Tb, Tenor, Baritone
Don Grolnick. « Heart Of Darkness » Tp, Tb, Tenor, Bass Clarinet
Horace Silver. « The Lady Of Johannesburg » Tp, Tb, Tenor, Baritone
Oliver Nelson. « Stolen Moments » Tp, Alto, Tenor, Baritone

Sauf pour doubler un lead (parfois à l’octave inférieure ou supérieure), on ne double jamais une voix sans doubler les autres voix, sous peine de déséquilibrer l’ensemble du voicing.

Que faire lorsqu’on a un orchestre de jazz et qu’on veut entendre dans son arrangement, des instruments que l’on n’a pas dans l’ensemble pour lequel on écrit ?

Avec certains mariages, il est possible de créer artificiellement des instruments absents de l’orchestre…

Un unisson avec une trompette munie d’une sourdine harmon et un sax soprano donne un hautbois très honorable, de même qu’un trombone harmon et un ténor peuvent faire entendre un basson.

Un sax alto dans l’aigu et une flûte peuvent simuler le violon, un sax ténor et une trompette munie d’une sourdine cup : le violoncelle.

Dans le domaine de l’orchestration, à l’instar de la palette du peintre ou des épices pour le cuisinier, tous les mélanges sont possibles ou envisageables…Tout est question de dosages et de nuances, et les combinaisons sont infinies. 

La spatialisation du son

Un mot sur la spatialisation du son. 

La place au sein de l’orchestre, du ou des instruments que l’on veut mettre en valeur, est aussi très importante pour la compréhension de votre orchestration.

Un exemple : dans un big band, si on veut un unisson large, il vaut mieux le faire jouer par des musiciens éloignés les uns des autres, il sera mieux diffusé au sein de la masse sonore de l’orchestre et on aura une sensation de largeur de son (on crée en quelque sorte, une stéréo naturelle). A contrario, si l’on veut « pointer » vraiment cette ligne d’unisson et attirer l’oreille de l’auditeur dans un « coin de l’orchestre », on rapprochera les uns des autres, les musiciens qui jouent cet unisson.

Ce phénomène de spatialisation est important, et c’est notamment pour cela que dans la disposition des sections de saxes, de trombones et de trompettes dans le big band, on a coutume de placer le lead (1ère voix) au centre de la section, car c’est la voix qui attire le plus l’oreille, et qui fera entrer l’auditeur au cœur de l’orchestre.

Les tessitures

Règle d’or : Si vous ne connaissez pas l’instrumentiste, écrivez dans le registre usuel de l’instrument ! Cela vous évitera des déconvenues…

Voici les tessitures usuelles des principaux instruments des orchestres de jazz

tessitures big band
tessitures big band
tessitures big band

Le « Pain bénit » des arrangeurs : Les instruments ayant 3 ou 4 octaves de tessitures, et qui sonnent bien dans tous les registres. La clarinette (et clarinette basse), le corle bassonle saxophone ténor (qui peut étendre son registre avec le suraigu et l’utilisation d’harmoniques). Attention cependant, comme je le disais plus haut, aux notes « faibles » et à la « fourche » pour les clarinettes, et à la gestion du suraigu pour le sax ténor (La plupart des saxophonistes ténor peuvent jouer jusqu’au contre fa. Au-dessus, il faudra prendre en compte l’individu et connaître ses possibilités).

Les Intervalles

Ce que l’on peut faire et ne pas faire lorsque l’on orchestre …

Voici un tableau définissant la limite GRAVE à ne pas dépasser pour chaque intervalle, quels que soient les instruments. Cette règle peut être transgressée pour créer un effet, mais dans la majorité des cas, il convient de la respecter pour ne pas risquer que votre accord soit inaudible.

intervalles

J’espère que ces quelques conseils et « ficelles » vous permettront d’y voir plus clair, dans le monde parfois obscur de l’orchestration…

Harmonisation et ré harmonisation…

Comment donner une couleur « jazz » à une chanson ?

En jazz, lorsqu’on interprète ou que l’on arrange un standard, une chanson, il est bien rare que l’on utilise « texto » les harmonies (souvent simples) du compositeur… On va plus ou moins spontanément créer des tensions (harmoniques et rythmiques), pour emmener la mélodie originelle, vers un univers différent.

Prenons un exemple précis de « standard », et voyons comment (à l’aide des « outils jazz » que sont l’enrichissement, la substitution, la superposition et l’emprunt), nous pouvons faire évoluer une chanson toute simple, vers un morceau à la couleur résolument « Jazz ». Nous resterons pour cet article, dans un univers « tonal », qui mettra en évidence les mouvements de voix.

J’ai volontairement choisi un standard universellement connu, qui ne vient pas du jazz mais de la variété Française. Il est aujourd’hui tellement assimilé au jazz, qu’on en a pratiquement oublié son origine ! 

Les Feuilles Mortes / Autumn Leaves

La musique est de Joseph Kosma, et les paroles sont de Jacques Prévert. Ce morceau fut composé pour le ballet de Rolland Petit Le Rendez-vous (1945) et interprété par Yves Montand dans le film « les portes de la nuit » en 1946. C’est en 1949 qu’il devient un standard de jazz lorsque Johnny Mercer l’adapte en Anglais.

Tous les grands jazzmen l’ont enregistré sous le nom de »Autumn Leaves » (plusieurs centaines de versions…)

Il est donc intéressant de voir comment cette mélodie avec des accords simples, a pu se transformer en passant dans la « moulinette jazz ».

Il est écrit sur la forme 32 mesures AABC. 

Voici le morceau dans sa configuration pratiquement originelle (le Eb était absent de la version du créateur). Il s’agit d’un classique enchaînement de II/V/I. Les accords sont basiques : des m7, M7.

La mélodie et son harmonisation sont « tonales » :

II-V-I en Gm

II-V-I au relatif Bb

Emprunt au ton voisin Eb

Observez comme la voix supérieure de la main gauche fait office de « contre-chant » en utilisant les tierces et septièmes « pivots ». Comme je le disais dans l’article sur le contre-chant, cela va nous permettre de créer une ossature qui va faciliter l’ajout de voix supplémentaires…

autumn leaves
Autumn Leaves 1
Autumn Leaves 1

On peut tout d’abord commencer par utiliser le premier des « outils jazz » et enrichir les accords, sans changer fondamentalement les enchaînements de degrés. On ajoute alors aux accords de base, des « superstructures » (notes d’intervalles doublés, au-dessus de la septième) : neuvièmes, onzièmes, treizièmes, justes ou altérées. 

Cette action va permettre de donner aux voicings une teinte plus « jazz », de créer des tensions. Le deuxième effet intéressant qui résulte de l’ajout de ces superstructures, c’est que cela va faire apparaître des mouvements mélodiques à l’intérieur des voicings. Ces mouvements de voix vont alors former des contre-chants naturels… Mesures 2, 3, 4, mesures 17, 18, 19, 20, mesures 25, 26, par exemple.

A partir du moment où apparaissent des contre-chants naturellement formés par l’enrichissement des harmonies, on peut déjà parler d’une véritable harmonisation

autumn leaves
Autan Leaves 2
Autan Leaves 2

Nous allons à présent utiliser deux autres « outils jazz » : la substitution et la superposition de triades.

Voici un exemple de ce que cela peut donner. 

C’est un peu systématique, voire, tiré par les cheveux, j’en conviens, mais c’est pour forcer le trait.

On substitue le triton mesures 1, 3, 8, 9, 10, 11, 17, 19, 23, 31, 32.

On substitue la tierce Majeure à la tierce mineure mesures 25, 29.

On substitue la quarte mesure 20.

On superpose des triades à l’accord 7ème de base, mesures 6, 22 et 28.

On justifie un « retard » mesure 27 par la logique de la ligne de basse (cet accord peut aussi s’entendre comme un GM7. La quinte étant jouée à la mélodie, on peut considérer que l’on change juste le mode du Gm d’origine…)

autumn leaves
Autumn Leaves 3
Autumn Leaves 3

Enfin, comme dans l’exemple qui suit, on peut aussi emprunter (mesures 20 à 23) à une autre tonalité, s’évader un moment dans les broussailles puis revenir dans le chemin ! Cela peut amener à prendre de petites libertés avec la mélodie. Les emprunts les plus malins sont ceux qu’on ne voit pas venir et qui se font sans grandes cassures ou secousses. Dans le cas présent, l’accord de Db7/9sus mesure 20 (qui devrait être un Bb), apporte une transition, par l’intermédiaire de la note commune avec Bb, qui permet de faire moduler la mélodie et de glisser naturellement en A (II/V/I en A). Pour revenir à la tonalité originale ; le DO# tenu des mesures 23 et 24, offre la possibilité de glisser à nouveau dans la tonalité en bémol, par l’intermédiaire de notes communes entre A7sus et Bbm7+5 (Do# et Solb).

Voici donc ci-dessous, un exemple de ce que l’on peut faire en mélangeant l’emploi de tous les outils susnommés. 

Mesures 1 et 2 : On conserve le II/V/I en Bb, mais on substitue la tierce majeure sur le Do mineur. La mélodie jouant la tierce mineure, cela crée l’incertitude tonale (propre au mode « blues ») cette tierce mineure devient donc une #9 puisque l’on entend la tierce majeure en dessous. On opère dans le même temps un mouvement des voix intermédiaires : C713-b13 qui va sur 9ième de F79, puis b9.

Pour la deuxième ligne, je décide de ne pas faire un copier-coller, mais d’aller voir ailleurs : la mélodie ne change pas, mais je décrète que ce Mib n’est plus la tierce de l’accord, mais la 9ième (je fais ce que je veux c’est moi l’arrangeur !;-), ce qui induit un nouvel accord de C#m7/9. Je n’ai ensuite qu’à glisser et répéter l’opération puisque la phrase suivante est la même un ton en dessous. 

Mesure 13, je suis lassé de la couleur m7b5 redondante à cet endroit, je place donc une quinte juste qui « éclaircit » un peu. La résolution mesure 15 se fait cette fois à la « sixte Napolitaine », avant de revenir sur le premier degré.

La troisième ligne comme je le disais plus haut, va brièvement moduler (mesures 20 à 23), mais avant cela, elle commence sur un accord de D, comme prévu dans la grille originale, je décide cependant de changer la basse pour créer une tension. En fait bêtement, je place la b9 à la basse (Triade de D sur basse Eb). Cette basse va glisser sur un Ré (BbM7 basse ré, à la place de Gm7 d’origine, donc le relatif majeur), puis continue de glisser sur Db, cet accord de Db9sus et le suivant E7sus vont permettre de moduler en La.

Les mesures 25 et 26 font entendre un accord de D7-13-b9, qui descend par tierces mineures (comme la mélodie)

La résolution de la dernière ligne (mesures 31 & 32) se fait en passant par le VIIème degré. La mélodie (tonique) est donc successivement la 9ième de F7, la b9 de F#7 et la tonique de Gm.

autumn leaves
Autumn Leaves 4
Autumn Leaves 4

Il ne s’agit ici que de quelques exemples dans un esprit « tonal », mais vous l’aurez compris, lorsque l’on maîtrise ces outils jazz, on peut faire un peu ce que l’on veut : rester soft dans la ré harmonisation ou partir plus loin et même beaucoup plus loin… Surtout lorsque l’on ajoute des changements de rythme, des décalages, que l’on déstructure la forme etc… (Nous aborderons cela dans un autre article…).

Une notion importante à laquelle il faut toujours faire attention, sous peine de ne pas arriver à justifier votre audace et à convaincre l’auditeur, c’est la logique des voix, et le bon rapport entre la mélodie et la ligne de basse. C’est l’ossature, le squelette qui tient l’ensemble. 

Vous aussi, tentez votre propre ré harmonisation de ce thème. Vous pouvez comme dans les exemples, procéder par étapes en introduisant progressivement les « outils » énoncés.

Un petit tuto vidéo revient sur ces notions, et d’autres…

Stella By Starlight

Je vous livre un autre essai de ré harmonisation tonale de standard sur « Stella By Starlight »

Je ne change pas grand-chose en fait, la mélodie ne bouge pas, je ne module pas. Je colore, en changeant le tempérament des accords (je mets des m7 à la place des M7 et vice versa), en substituant, en modifiant les cadences attendues, j’ajoute des enchaînements de degrés, des marches harmoniques, toujours en maîtrisant le rapport ligne de basse/mélodie. Écoutez la mélodie seule avec la ligne de basse : on devine très bien ce qui se passe… 

Stella by starlight
Stella By Starlight
Version de Stella jouée « live » avec une harmonie…
Stella – Basse + mélodie

Enfin, pour terminer, voici un exemple de très bel arrangement (ré harmonisation et changement de structure rythmique), avec ce « What Is This Thing Called Love » du septet de Don Grolnick, pianiste et arrangeur de grand talent, disparu beaucoup trop tôt !…

What Is This Thing Called Love. Don Grolnick septet

Une formation à l’harmonie jazz est disponible sur le blog

Une vidéo qui regroupe les 4 versions d’Autumn Leaves décrites et expliquées ici…

Les génies décisifs : Miles Davis

Pascal Anquetil

Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil

Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).

Miles DAVIS : Le Picasso du jazz moderne

Miles Davis :

25 mai 1926, Alton (Illinois) – 28 septembre 1991, Santa Monica (Californie)

« Il faut que je change tout le temps. C’est comme une malédiction. » Et d’ajouter, faussement modeste, mais sûr de son génie : « J’ai juste infléchi le cours de la musique cinq ou six fois. Je crois que cela doit être cela. ». Et c’est vrai. Comme Picasso, il a traversé  toutes ses « périodes » en chamboulant à chaque fois le paysage du jazz. Le jazz ? C’était pour lui un mot-ghetto qu’il a toujours refusé de prononcer. Et pourtant ! Son extraordinaire aptitude à saisir l’air du temps, son don d’anticipation pour accompagner, voire précéder les mutations esthétiques offrent un énorme contraste avec son attachement profond aux sources mêmes de la musique afro-américaine. À savoir, le blues, d’abord et toujours.  «Le son noir de la musique » comme l’a toujours affirmé Miles. Ce « quelque chose de bleu qui paraissait une aile » comme l’a écrit Victor Hugo.

Cet éclaireur inquiet, quelque peu arrogant, constamment à l’affût des innovations, n’a jamais été pourtant un révolutionnaire. Le « Prince of Darkness » a eu le seul et exceptionnel génie de prendre la tête des révolutions qui se faisaient contre lui ou sans lui. En suivant toujours son idée, irréductible et intransigeante, de la musique. «  Quand je ne suis pas sur scène en train de jouer, le seul espace où je sois vraiment moi-même, je pense à la musique. Tout le temps. Je fais et je joue dans ma tête la musique que chaque jour exige. »

Miles Davis
Miles Davis

Cela se vérifie à chaque « période » de son parcours accidenté, mais toujours fidèle à ses convictions intérieures. Au départ, il est ce jeune bopper qui donne ses premiers coups d’ailes aux côtés du Bird en personne. D’emblée, il impose sa griffe, un son lisse, sans vibrato, venu d’ailleurs. « Une sonorité de dominicain : un gars qui reste dans le siècle, mais qui regarde ça avec sérénité », comme l’écrira Boris Vian, très tôt dans Jazz Hot, avec sa perspicacité habituelle. Rompant avec la fièvre du bebop, avec Gerry Mulligan, il signe l’acte de naissance du cool jazz. Rarement un orchestre aussi légendaire que celui de « Birth of the Cool » n’aura connu destin aussi éphémère. Et poutant, loin de la sophistication furieuse du jazz parkerien, il ouvre les voies d’une autre modernité. Un jazz de brume en opposition à un jazz de braise, un nuage de musique vaporeuse aux contours bien définis.

Quand le style West Coast s’impose, il va ailleurs participer à l’explosion du hard bop naissant. Quand ce dernier triomphe, avec la complicité de Gil Evans, il prend en 1958 le tournant du jazz modal. Pour Miles, ce n’est pas une révolution de plus : « Quand on travaille de façon modale, le défi, c’est de voir à quel point on peut devenir inventif sur le plan mélodique. » Premier coup d’éclat avec « Milestones » et apothéose en 1959 avec « Kind of Blue ». A-t-on jamais atteint pareille simplicité du geste créateur associé à un pareil aboutissement ? Cette musique sans âge sonne aujourd’hui aussi neuve qu’au premier jour. Bill Evans n’est pas pour rien dans la réalisation de ce chef-d’œuvre absolu où tout n’est que perfection, ordre et beauté.

Après le départ de Bill Evans et John Coltrane, Miles mettra du temps à retrouver le groupe de ses  rêves. Il le trouve enfin en 65 avec son « second quintet ». Quinte royale pour un jeu à haut risque. Avec Herbie Hancock, Wayne Shorter, Ron Carter et Tony Williams. Moyenne d’âge : 20 ans. Bousculé par de tels aiguillons, Miles peut s’aventurer dans la musique la plus libre. Mais quand la révolution free l’attaque de plein fouet, il choisit le contre-pied : fusionner, avant tout le monde, l’électricité et le jazz modal. Dans la fournaise du jazz rock, il finira par se brûler les ailes, le condamnant à s’éclipser au beau milieu des années 70. Mais,tel le phénix, il renaîtra à l’aube des années 80 pour s’imposer comme l’unique « star du jazz » que le jazz ait connu.

Comme le peintre catalan, Miles aura enchaîné ses « périodes » sans jamais se compromettre. En individualiste forcené, toujours  rapide pour dénicher les meilleurs musiciens pour le stimuler, il a réussi à réaliser, avec sa seule trompette, une synthèse éclatée, toujours recommencée mais superbement cohérente, de la musique de son temps. 

Mais, comme Orphée se retournant vers Eurydice, oubliant son farouche dédain des nostalgies, il commit la dernière année de son existence l’irréparable. À l’invitation de Quincy Jones, il accepta, pour la première fois de sa vie, de regarder en arrière et célébrer sa propre  histoire. Bref, il osa se rejouer. Par ce geste si contraire à sa nature, à 65 ans, ce musicien du souffle pur, mais au corps essoufflé, crucifié par tous ses excès, se trahissait lui-même. Il signait par la même son arrêt de mort. Ce qui ne manqua pas d’arriver en septembre 91.

Mais l’important est, bien sûr, ailleurs. Ce dandy canaille a pour l’éternité inventé un son unique. Mat, plein, rond et admirablement lustré dans le medium, déchirant et puissant dans l’aigu. Avec ou sans sourdine, on reconnaît Miles à la première note. Il aura finalement donné toute sa vérité au verbe « trompeter ». Un mot sans élégance ?  Pas sûr ! Le dictionnaire est formel : « se dit de l’aigle qui fait entendre son cri. » Le génie de Miles est d’avoir trouvé ce cri parcimonieux, elliptique, toujours lyrique. Sa grandeur, c’est d’avoir réussi à donner à sa trompette la présence sensuelle, le grain d’une voix, sans doute la plus émouvante du jazz.

Footprints. Miles Davis quintet 1967

Les génies décisifs : John Coltrane

Pascal Anquetil

Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil

Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).

John COLTRANE : la passion d’un géant

John Coltrane :

23 septembre 1926 à Hamlet (Caroline du Nord) – 17 juillet 1967 à l’hôpital d’Huntington (Long Island)

1960 fut pour Coltrane l’année du grand bond en avant. Lors d’un concert à l’Olympia, le 20 mars, à l’occasion de sa dernière tournée au sein du quintet de Miles Davis avec qui il venait d’enregistrer quelques mois plus tôt « Kind of Blue » et d’entrevoir les possibilités de l’improvisation modale, le saxophoniste s’illustra par de longs solos incendiaires, étirant ses phrases en coulées de lave dévastatrices. Le public qui le découvrait pour la première fois l’accueillit par une avalanche de huées et des jets de pièces de monnaie. Embarrassé, Franck Ténot, en coulisses, voulut le consoler en lui expliquant que les spectateurs parisiens, décidément trop conservateurs, n’étaient pas encore mûrs pour ses innovations. Il l’interrompit : «  Ils m’ont sifflé parce que je ne suis pas allé assez loin.. » Tout Coltrane est dans cette phrase.

Pour ce boulimique de musique, la maturation fut longue, l’apprentissage patient et forcené. Soit près d’une quinzaine d’années de travail obstiné auprès de Miles, Monk et les autres. Avant de se jeter à corps perdu dans l’autre monde qu’il pressent, il décide d’abord de dresser le bilan de toutes ses recherches sur le système harmonique du bebop. Ainsi, en avril 1960, il en tente la synthèse avec « Giant Steps ». Premier chef d’œuvre. Des générations de saxophonistes en perdront le sommeil. Coltrane aussi.

En octobre, il enregistre « My Favorite Things » à la tête du quartet qu’il désespérait de trouver et qui jusqu’en 1965 va porter le jazz à son point d’incandescence maximale. « Trane », comme on l’appelait, sait qu’il a trouvé « l’instrument » de ses rêves : avec Steve Davis, puis à partir de 1961 Jimmy Garrison, contrebasse terrienne, robuste comme un mât de voilier. Avec McCoy Tyner, tout piano déployé pour assurer l’assise harmonique du groupe et pousser à la transe avec son irrésistible rouleau compresseur d’accords hypnotiques. Avec enfin ce Vulcain d’Elvin Jones, force motrice intarissable qui pousse avec une puissance inouïe, en un tourbillon polyrythmique, le saxophoniste vers le paroxysme. Au-delà de lui-même.  « Je sens, confessera-t-il un jour, que je suis toujours obligé d’avancer et d’aller ailleurs. ». L’ère coltranienne peut commencer. Elle ne durera que sept ans. De bout en bout, la beauté y sera… Convulsive.

John Coltrane
John Coltrane

À partir de 1960, Trane ne va pas cesser de brûler les étapes pour s’y brûler finalement les ailes. Il met le jazz littéralement hors de lui. L’épreuve sera brutale et violente pour beaucoup d’amateurs. À la longue, trop de beauté, trop d’énergie, trop de souffrance ont quelque chose d’effrayant. Le miracle avec Coltrane est que le rêve ne vire jamais au cauchemar. La traversée de sa musique, encore aujourd’hui, s’éprouve comme une aventure euphorisante. On sort toujours ragaillardi de l’écoute prolongée de cette tornade fiévreuse. Épuisé, certes, mais jamais exténué, forcément heureux.

Avec les quatre nuits du Village Vanguard, son premier enregistrement live en 1961, on est saisi par sa rage d’expression et la force dionysiaque du souffle. Mais on est d’abord sidéré par la plénitude et l’amplitude du son. Sa tessiture dépasse les trois octaves ! Sonorité grandiose, douloureuse et sauvage qui savait, dans les ballades, devenir douce et puissante, voire brûlante comme le vent du désert. Les anches Rico choisies très dures n’expliquent pas tout. Surtout pas le mystère du son. «Il est avant tout magique, dira Steve Lacy, Il est d’une densité telle qu’on dirait du marbre de Carrare, si beau, si rare. ». Il est « magique » parce qu’il est propulsé à chaque seconde par une houle d’énergie inépuisable. Étrangement, c’est toujours avec un calme souverain que Trane habita cette furie lyrique en fusion.

Il y a dans sa musique une dimension mystique qui ne cessera de grandir. Quand il jouait, il semblait « possédé », comme l’écrira Miles. Il croyait que la musique pouvait guérir et arracher l’homme à sa misère humaine, trop humaine. Il savait de quoi il en retournait, lui qui avait  au milieu des années 50 vaincu tout seul l’enfer de la drogue et fui les ravages de l’alcool. « Il était comme Bird, se souvient Miles Davis. Quand on est un génie de ce calibre, on voit et on vit les choses à l’échelle supérieure, c’est à dire à l’excès. On devient une espèce de monstre. » Au fil des ans, ce « monstre » est devenu un « ange » comme aimait à le répéter Elvin Jones. 

Ce géant si doux n’a pas fait que transformer la musique de son temps. Il a bouleversé à jamais des millions de vies. À la fin, sa musique, survoltée par une tension surhumaine, n’était plus qu’un cri éperdu, entre terreur et extase. Ce forçat du ténor sacrifiera ses dernières forces à tenter d’accoucher de cette « cosmic music », embryon d’une musique sacrée universelle. L’exaspération de cette quête absolue trouvera avec « Ascension » son point culminant. Dans ses derniers albums, son chant furieusement libéré fera voler en éclats toutes les barrières, qu’elles soient harmoniques, rythmiques ou mélodiques. Pour inventer une musique incandescente qui n’aurait, enfin, plus de nom.

En larguant les amarres, Coltrane s’est fait chaman, artificier d’une musique effarée, hallucinée. Cela terrorisait sa mère: « Quand quelqu’un a vu Dieu, cela veut dire qu’il va mourir. ». Ce qui arriva en juillet 1967. Il n’avait que 41 ans. Au-delà d’une certaine ligne rouge, quand la raison s’affole définitivement, la musique peut devenir mortelle !

But Not For Me. John Coltrane quartet 1961 (Album « My Favorite Things »)

Maîtriser le contre-chant

En arrangement, l’art de maîtriser le contre-chant constitue le préambule à une bonne gestion de la conduite des voix…

Le contre-chant est une technique qui consiste à superposer une ligne musicale sur la mélodie principale, en s’appuyant sur les harmonies de celle-ci. C’est l’une des bases de l’harmonisation, considérée comme le préambule indispensable pour gérer une bonne « conduite des voix ».

En arrangement, un contre-chant doit permettre de faire comprendre le chemin harmonique, même sans la ligne de basse, et de poser les bases d’un futur voicing à 3, 4 ou 5 voix. 

Un système particulièrement efficace (notamment sur les enchainements de quartes) consiste à utiliser majoritairement les tierces et septièmes des accords pour construire ce contre-chant. On qualifie alors ces tierces et septièmes de « pivots », car elles permettent de passer d’un degré à l’autre avec un chromatisme qui rend évident le changement d’accord.

Like Someone In Love…

contrechant jazz
Exemple de contre-chant sur « Like Someone In Love »
Like Someone In Love- Thème et contre-chant

Prenons les 8 premières mesures du standard « Indiana » :

Dans le cadre d’un arrangement pour 4 soufflants par exemple, ce contre-chant construit avec les notes importantes et considéré comme une deuxième ligne forte (Exemple 1), pourra être joué en binôme, par 2 instruments à l’unisson (on fera dans ce cas la même chose avec la mélodie). Le contre-chant pourra aussi être complété avec deux voix supplémentaires pour obtenir un voicing clair, agréable à jouer et à entendre. Dans ce cas, on sera parfois amené à faire entendre la voix du contre-chant à l’octave inférieure, pour pouvoir insérer les autres voix au milieu (Exemple 2).

Indiana…

contrechant
Exemple 1 : contre-chant sur les 8 premières mesures de « Indiana »
Indiana-Thème et contre-chant

contrechant
Exemple 2 : Ajout de 2 voix supplémentaires au contre-chant (tantôt octavié, tantôt à sa place d’origine)
Indiana-4 voix + basse

Essayez d’en faire vous-même sur d’autres standards !

Il existe de beaux exemples de formations utilisant ce principe de 2 voix contrapontiques dans l’histoire du jazz : Gerry Mulligan /Chet Baker, Clark Terry/Bob Brookmeyer, J.J Johnson/Kai Winding, Warne Marsh/Wardell Gray etc… 

Essayez d’en relever, c’est assez facile car très clair, et d’une efficacité redoutable !

Stan Laferrière

Formation online à l’arrangement disponible ici.

Les règles de base de l’arrangement jazz.

Ecrire pour Medium Band ou Big Band : Quelques règles de bon sens…

arrangement jazz

En jazz, l’arrangeur/orchestrateur est souvent amené à remodeler la mélodie, en modifier le rythme, la déstructurer parfois, ajouter des ornements, proposer en partant de la trame harmonique d’origine, ses propres enchaînements de degrés, enrichissements, substitutions, mais aussi imposer ses choix d’orchestration. 

Comme en cuisine, un produit (la mélodie) doit être sublimé par la recette (l’arrangement).

Voici les 4 points importants que vous devrez sans cesse avoir à l’esprit pour réaliser un bon arrangement :

1. Un plan préétabli : 

Esthétique générale, intro, thèmes, inters, solos, backgrounds, tuttis, coda.

Le plan, c’est le squelette de votre arrangement. C’est lui qui va tenir l’ensemble, lui donner de la cohérence. S’il est bancal, vos idées ne seront pas mises en valeur.

2. Des lignes fortes : 

Leads, contrechants, lignes de basse, choix des progressions de degrés.

 C’est l’ADN de votre morceau, comme les lignes fortes et perspectives le sont en peinture ou en dessin. C’est ce qui va vous permettre d’attirer l’oreille de l’auditeur pour lui faire ensuite déguster vos couleurs orchestrales…

3. Des systèmes d’harmonisation variés :

On peut en utiliser plusieurs dans un même morceau : 2, 3, 4, 5 voix, paquets, contrepoint, binômes, unissons.

C’est le jeu des textures en cuisine ! Créez la surprise en passant subtilement d’un mode d’harmonisation à un autre.

4. Des couleurs :

Choix des instruments, distribution des voix.

Les couleurs sont générées par le choix des instruments et les mariages que vous faites entre eux. Le choix délibéré de les utiliser dans tel ou tel registre, va également influer sur les couleurs sonores.


Le Medium Band peut aller du septet (4 vents et rythmique) alto/ténor/tp/tb par exemple, au onztet (8 vents et rythmique) 4 saxes/2 tp/2 tb par exemple. L’orchestration (distribution des voix) dépend du style ou de la couleur que veut donner l’arrangeur.

Le Big Band quant à lui, est régit par la loi des sections.  Ces sections sont au nombre de 4. Elles sont autonomes et se combinent entre elles pour donner le son d’ensemble. Ce qui n’empêche nullement de les disloquer pour créer un climat ou coller à un style particulier.

  *Section de saxophones : (habituellement 5 saxes), 2 altos, 2 ténors, 1 baryton

  *Section de trombones : 2 ténors, 1 complet, 1 basse

  *Section de trompettes : 4 trompettes Sib, parfois des bugles ou un cor

  *Section rythmique : 1 contrebasse, 1 piano, 1 batterie (parfois 1 guitare, des percussions)

Pour appréhender l’écriture jazz en moyenne et grande formation, il faut, comme en musique classique, commencer par bien connaître les tessitures et les timbres des instruments, c’est la base de l’orchestration. Une des spécificités du jazz étant caractérisée par les innombrables effets utilisables : inflexions, glissando, growl, subtone, shake, fall etc…ainsi que les multiples sourdines qui peuvent être utilisées par les cuivres.

Viennent ensuite des « outils » : les modes, les substitutions et superpositions de triades ou superstructures, ces enrichissements harmoniques typiquement « jazz » qui colorent la musique. C’est la base de l’harmonisation jazz.

Je persiste à penser que l’analyse théorique d’un score, s’il contribue à comprendre la forme, les couleurs harmoniques et les timbres utilisés par tel ou tel compositeur ou arrangeur, ne peut en aucun cas avoir pour but de poser des théorèmes définitifs sur la façon d’orchestrer. Néanmoins, il y a beaucoup à apprendre en décortiquant les voicings et l’on s’aperçoit souvent que ce qui peut paraître simple et clair à l’oreille, s’avère parfois plus sophistiqué dans l’écriture qu’il n’y paraît… Pour ma part, et c’est très personnel, je préfère toujours tenter de comprendre « à l’oreille » ce qui se passe dans un arrangement, avant d’en regarder le score.


Dans la conception d’un arrangement en général et pour Médium Band ou Big Band en particulier, quel que soit le style ou l’esthétique que l’on recherche, l’observation de certaines règles d’or permet d’éviter la lourdeur, ou l’ennui…

La forme :

– Vous pouvez être original dans la forme, mais il faut un plan clair, défini au préalable. Celui-ci permettra de donner à l’auditeur des points de repère et de mettre en valeur vos idées. 

 Développez en profondeur vos idées, plutôt que de les enchaîner sans suite. Pensez à faire des rappels de « l’idée maîtresse » ou de certains motifs. Évitez de faire trop de reprises, et bannissez le « copier/coller » (sauf si vous devez faire un arrangement express…)

–  Recherchez la fluidité des lignes et des constants.

–  Respectez l’uniformité dans le style et la couleur.

L’harmonisation et l’orchestration :

–  La logique (horizontale) des voix doit apporter une justification des tensions (quel que soit le style)

Évitez les notes répétées pour les voix intermédiaires (surtout dans la rapidité). Évitez aussi de croiser les voix.

– Soignez l’équilibre des renversements de voicings. On dit qu’un bon arrangement doit pouvoir être lisible et bien sonner si l’on retire des voix (au moins une par section).

– Si vous utilisez les sections (Tp’s, Tb’s, Saxes) en « paquets », elles doivent être équilibrées et « sonner » séparément avant de « sonner » ensemble. Autrement dit, dans un tutti en « Big Shout », chaque section doit bien sonner séparément.

–  N’hésitez pas à écrire un unisson pour faire ressortir un accord tendu. Alternez les systèmes. Trop de passages harmonisés peuvent générer de la lourdeur. Trop de passages à l’unisson (surtout s’ils sont mal gérés) peuvent provoquer l’ennui. Alternez tensions et apaisements, si vous surprenez l’auditeur avec quelques tensions harmoniques (ou rythmiques), rassurez-le ensuite avec un passage apaisant qui du coup, mettra votre tension en valeur. Frank Foster (immense arrangeur) me disait : « Si tu donnes une gifle, enchaîne avec une caresse »… Certains arrangeurs s’affranchissent cependant de ce théorème avec talent, mais ils ont souvent une très forte personnalité, et beaucoup d’expérience !

–  Ne négligez ni ne bâclez jamais les backgrounds derrière les solistes. Vous pouvez avoir la meilleure crème glacée du monde (le solo), si le cornet en gaufrette qui l’entoure (le background) n’est pas bon, le plaisir sera gâché.

–   Laissez « respirer » les instrumentistes, même dans une orchestration dense.

Si cela s’avère souvent nécessaire dans les premiers temps (qui peuvent durer quelques mois ou années ;-), évitez autant que possible d’écrire pour orchestre à partir de voicings élaborés au piano… C’est LE piège pour tout orchestrateur débutant. Ce qui sonne au piano, n’est absolument pas garanti à l’orchestre… Le choix des timbres et tessitures des instruments modifient considérablement le rendu d’un accord. Servez-vous du piano pour vérifier l’harmonisation, mais apprenez au plus vite à intérioriser et à entendre les timbres et ce que vous voulez traduire, puis orchestrez (distribuez les voix) sans le piano. Globalement, vous pouvez harmoniser au piano, mais il faut orchestrer à l’oreille.

Je ne devrais pas le dire ici, mais je le dis quand même (Il faut bien que je « livre » quelques trucs), il existe une exception à cette règle : Le seul ensemble ou section que vous pouvez orchestrer au piano sans grand risque de mauvaises surprises, c’est la section de saxes. Presque tout sonne avec des saxes, si on respecte bien les tessitures. Merci Adolphe ! Et disons-le, de manière générale, il en est de même pour tous les ensembles constitués d’instruments de la même famille.

Le rythme :

On ne peut pas parler d’arrangement sans dire un mot du rythme, qui est souvent le « parent pauvre ». On se focalise souvent en effet, sur l’harmonisation ou ré-harmonisation, mais en matière d’arrangement, de re façonnage d’une mélodie, la gestion rythmique revêt une grande importance pour faire ressortir les motifs, mettre en valeur certains accords ou certaines tensions. Une mélodie habituellement jouée en médium swing par exemple, peut être traitée par l’arrangeur, sur un tempo différent, un rythme différent, en introduisant des syncopes, des « kicks », des décalages, voire en changeant carrément la mesure ou la structure rythmique.


Sans « démystifier »  on peut dire que  certaines règles récurrentes (forme, voicings, harmonie, utilisation des timbres) s’appliquent à tel ou tel compositeur ou arrangeur et lui donnent sa « griffe », sa couleur personnelle.

Si Count Basie n’est pas arrangeur, son orchestre sonne de façon particulière, on le reconnaît. Sans parler de la section rythmique si particulière, on peut dire que certains arrangeurs comme Sammy Nestico, ont donné ce son unique à l’orchestre de Basie, avec comme caractéristiques principales : une écriture compacte, verticalement claire, utilisant le registre le plus aisé des instruments et le système des « block chords » à 4 ou 5 voix (Ernie Wilkins et Neal HeftiBenny CarterQuincy JonesThad Jones, autres arrangeurs de C. Basie utilisent eux aussi plus ou moins le même système). Totalement à l’inverse, Duke Ellington écrit presque exclusivement de façon horizontale, privilégiant ainsi la mélodie (y compris pour les voix intermédiaires) et va chercher les sons extrêmes des instruments.

Pour résumer : selon que l’on utilise plus ou moins les sections en « paquets » avec plus ou moins de voix (Thad jones et Quincy Jones, utilisent ce système de « paquets » mais l’enrichissent harmoniquement à l’aide des superstructures des accords de 7ième de base, chacun avec un style bien à lui), ou le contrepoint et la fugue en disloquant les sections et en utilisant des binômes (Bill Holman le roi de l’unisson savamment utilisé, Bob Brookmeyer le contrepoint), ou encore, en combinant tout cela avec l’utilisation de modes, de pédales et des couleurs orchestrales particulières (Gil Evans), on peut déjà obtenir une multitude de façon d’orchestrer et les combinaisons sont pratiquement infinies.

Quelques adjectifs et spécialités caractérisant les styles et esthétiques de grands arrangeurs.

(ce ne sont que quelques exemples)

Efficacité : Count Basie (head arrangement) « One o’ Clock Jump », Neal Hefti « Atomic Basie », Marty Paich « Art pepper + Eleven »

One O’Clock Jump. Head Arrangement
Neal Hefti. Atomic Basie. Splanky.
Marty Paich. Bernie’s Tune

Originalité : Jimmy Mundy « Queer Street », Duke Ellington « Koko » « Orson Wells », Gil Evans « La Nevada » « Davenport Blues », Don Grolnick « What Is This Thing Called Love »

Jimmy Mundy. Queer Street
Duke Ellington. Koko
Billy Strayhorn. Hersay Or Orson Wells
Gil Evans. Davenport Blues
Don Grolnick. What Is This Thing Called Love

Sophistication : Thad Jones « Tip Toe »

Thad Jones. Tip Toe

Elégance : Quincy Jones « For Lena and Lennie »

Quincy Jones. For Lena & Lennie

Unisson : Bill Holman « Airgin »

Bill Holman. Airgin

Contrepoint et développement des idées : Bob Brookmeyer  « Célébration Jig », Maria Schneider « Giant Steps », Kenny Werner « Naked in the Cosmos »

Bob Brookmeyer. Celebration Jig
Maria Schneider. Giant Steps
Kenny Werner. Naked In The Cosmos

Stan Laferrière

Formation online à l’arrangement disponible dans la boutique du blog.

Histoire du jazz : Ce qu’il faut savoir…

HISTOIRE DU JAZZ

« Ce qu’il faut savoir… »

Synthétisation des principales notions historiques et techniques

  1. Étymologie
  2. Caractéristiques principales du Jazz et essai de définition
  3. Bref historique de la naissance et de l’évolution des styles de Jazz

1. Étymologie

Il existe de très nombreuses théories sur l’étymologie du terme « jazz » …

Trois d’entre elles (qui se corroborent et se complètent les unes les autres), retiennent ma préférence :

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Les instruments dans le jazz…

Quels instruments trouve-t-on dans la musique de jazz, et quelle est la composition des orchestres de jazz ?

En fait, cela varie en fonction des styles et des époques…

Le jazz est en partie, né des fanfares et harmonies municipales ou brass bands, que l’on peut regrouper sous la dénomination de « Marching Bands », dans lesquels on rencontrait nombre de musiciens qui n’avaient pas les moyens de s’acheter un instrument…

On retrouve donc tout naturellement, tous les instruments présents habituellement dans ce type de formations : Cornet (trompette), tromboneclarinette (parfois du saxophone), flûtetubagrosse caissecymbalestambour (ou caisse claire)…

Ces Marching Bands rencontrent un énorme succès à la Nouvelle-Orléans, et ponctuent ou animent de nombreux évènements comme les mariages, les enterrements, les picnics, ou les fêtes diverses…

Le style Nouvelle-Orléans (Années 1910) :

Vers 1910 (et même un peu avant) on voit apparaître les premiers orchestres jouant à poste fixe. 6 à 10 musiciens. Le type d’instruments présents dans les orchestres de jazz se « standardise » alors un peu. Cornettromboneclarinettesaxophoneguitarecontrebassebatterieviolon, (un piano, lorsqu’il en existe un sur place).

La tradition du violon dans les orchestres de jazz (jusqu’en 1930) a deux origines principales. La première est qu’il était traditionnellement enseigné aux enfants de bonnes familles (Blanches, noires ou créoles). La deuxième, qu’il était un instrument incontournable de la Country Music (Voir l’article « Le violon dans le jazz »).

Contrairement à une idée reçue ; il n’y a que très rarement de banjo et de tuba dans ces premiers orchestres. Le banjo va apparaître dans les orchestres vers le milieu des années 10, pour quasiment disparaître à l’aube des années 30. On trouve dans les orchestres, différents types de banjos : des instruments à 4 cordes, accordés de diverses manières, et des instruments à 6 cordes (Voir l’article « le banjo dans le jazz« ). Le tuba sera plutôt utilisé lorsque l’orchestre est ambulant. 

Les musiciens jouent en ligne dans un ordre immuable, de gauche à droite : batterietrombone,cornetclarinetteviolonguitarebasse à cordes

king Oliver
King Oliver Créole Jazz Band

Les rôles sont plus ou moins prédéfinis, dans l’exposition du thème principal, qui s’effectue la plupart du temps en « improvisation collective » (sorte de contrepoint instantané).

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Le jazz « Traditionnel »…

Les différents styles de jazz dits « Traditionnels ou New-Orleans »

  • Bref historique
  • Idées reçues
  • Les différences notoires entre les styles New-Orleans, Dixieland, Chicago, et Dixieland revival

BREF HISTORIQUE DES STYLES DE JAZZ TRADITIONNEL

Si le premier enregistrement de jazz en 1916/17 est communément attribué à l’ODJB (Original Dixieland Jas Band, orchestre de musiciens blancs, pour la plupart issus de l’orchestre du batteur Néo-Orléanais Jack « Papa » Laine), on ne peut pas dire qu’il soit réellement représentatif de la musique de jazz de l’époque (Tiger Rag 1917), tant l’interprétation est (de mon point de vue), sautillante et caricaturale (L’ODJB enregistrera dans les années qui suivront, des faces beaucoup plus convaincantes). Avant l’ODJB, James Reese Europe enregistrera à N.York en 1915, mais il s’agit plus de ragtime que de jazz pur et cet enregistrement est passé sous silence. Il faut dire que le jazz « balbutiant » des années 10 se cherche encore… Il aura fallu une longue période de gestation (grosso modo de 1880 à 1910), pour que la conjonction de plusieurs tendances, styles, cultures, donnent enfin naissance à la musique de jazz. Parmi ces styles, les plus identifiés sont : le Gospel, le Ragtime et le Blues. Le mélange des cultures et ethnies présentes à la Nouvelle Orléans (Plus grand port mondial de commerce à cette période), apportera le terreau qui va finir par faire émerger ce nouveau style. 

On parle beaucoup des descendants d’esclaves Africains, mais un peu moins des Créoles (de culture Européenne), des Hispaniques, encore moins des Amérindiens et très peu de l’influence de la Country Music (qui va très vraisemblablement introduire le banjo dans les orchestres à partir du milieu des années 10). 

Champs de coton en Louisiane

Globalement ce sont plutôt les Africains et les Hispaniques qui apporteront les aspects rythmiques (et qui joueront souvent les instruments qui s’y rapportent, comme les percussions, la guitare, le banjo, la basse), les Créoles ou les blancs quant à eux, apporteront la « science » harmonique et la technique, puisque de culture Européenne et souvent de meilleure condition sociale, ils auront accès aux leçons de musique et à la culture (Le phonogramme notamment). Ces derniers joueront souvent le piano, la clarinette ou le violon, qui sont les instruments principalement enseignés aux enfants de « bonnes familles ». C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle on peut voir un violon dans pratiquement tous les orchestres de la Nouvelle-Orléans.

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Le Jazz débarque…

suite pour Big Band, qui retrace l’histoire du jazz au travers des 2 guerres mondiales…

Une épopée du jazz en grand orchestre, vue au travers des deux débarquements alliés en 1917 et 1944

Tous les arrangements sont originaux. Les partitions de cette saga sont disponibles dans la boutique

Glenn Miller, Reese Europe (old fashion), Reese Europe (modern way)

Big Band Jazz Saga. Une histoire du jazz en big band

L’histoire du jazz en Big Band, racontée par Stan Laferrière.

Enregistré en 2016, cet album salué par la critique, retrace la grande épopée des big bands, au travers de compositions originales « Dans le style de… ». Enregistré dans les conditions du direct, les musiciens de Big One réalisent une prouesse stylistique de premier ordre, que ce soit dans l’interprétation des ensembles, comme dans les solos. Chapeau messieurs !

Les partitions de cet album sont disponibles dans la boutique

« Stan Laferrière retrace l’histoire du big band de 1915 aux années 80, du ragtime au Funk et à la fusion, en évoquant les styles et orchestres les plus marquants à travers un répertoire de sa plume. Ils sont quasiment tous là, les compositeurs et arrangeurs de Fletcher Henderson à Bob Mintzer, mais aussi les grands solistes qui ont donné au genre ses lettres de noblesse et dont Laferrière a su capter la lettre et l’esprit. Gageure tenue avec brio ! Non seulement le leader se meut comme un poisson dans l’eau dans une chronologie qu’il connaît parfaitement, mais son orchestre compte des solistes de qualité. Il fait preuve de surcroit, d’une telle faculté d’adaptation et d’un tel swing que ce qui ne pourrait être qu’une pâle copie, voire une caricature, soutient la comparaison avec les « modèles » choisis. Tant et si bien que ce survol à l’allure de saga offre une véritable leçon de jazz dont les vertus pédagogiques sont complétées par le remarquable livret signé aussi Stan Laferrière. Est il utile de préciser qu’il devrait figurer dans toutes les écoles ? « 

Jazz Magazine

Les surnoms des musiciens de jazz

Quels sont les véritables noms qui se cachent derrière les surnoms ou les noms d’emprunt des musiciens de jazz célèbres ?

John Birks, Ferdinant Lamothe, Eleanora Fagan, William Bertholoff, Ruth Jones ; ces noms vous évoquent-ils des personnalités célèbres ?…

Certains surnoms ont parfois purement et simplement remplacé le nom d’origine du musicien (Comme « Jelly Roll Morton » par exemple), d’autres, rajoutés au nom, soulignent un trait de caractère, une addiction, une façon de s’habiller, une particularité physique. D’autres sont « Honorifiques » et vantent les qualités du musicien ou son aura dans la sphère du jazz (Duke, Count, King…)

Les connaissiez-vous tous ?

Vous pouvez participer et en ajouter à cette liste, en commentant cet article…

Pop’s ou satchmo (satchelmouth) ou Dippermouth ———(Louis Daniel Armstrong) Surnommé ainsi à cause de la déformation de ses lèvres due à la mauvaise position de sa trompette…

Prez (« Le président) ————————————————————(Lester Willis Young) Surnom donné par Billie Holiday

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Podcast de la suite complète sur l’histoire du jazz

Suite complète sur l’histoire du jazz en quintet « De Basin Street à Saint-Germain-Des-Prés ». Composée et racontée par Stan Laferrière.

Enregistré « live » en 1996 à l’Automobile club de France, par Bruno Minisini.

Patrick Artéro : Trompette-Bugle

Nicolas Montier : Saxes-Clarinette-Guitare électrique

Philippe Milanta : Piano

Pierre Maingourd : Contrebasse

Stan Laferrière : Batterie-Banjo-Guitare acoustique-Vocal-Piano (Tableau 1 Rag)

Composé et arrangé par Stan Laferrière

Cover graphic design : Béatrice Lambrechts

Pictogramme : Philippe Du Peuty

Partitions disponibles

Mélodie contagieuse, ou l’histoire d’un standard…

« In A Mist »

in a mist

Bonjour et bienvenue dans cette rubrique du blog Docteur Jazz, disponible en podcast ! 

Il s’agit de voyager à travers l’histoire d’un standard de Jazz, célèbre ou non, et de vous faire découvrir les versions parfois iconoclastes, qu’en ont fait les jazzmen dans les décennies qui ont suivi sa composition.

J’ai décidé d’ouvrir cette rubrique avec un morceau emblématique, écrit par un musicien non moins emblématique. Je veux parler de « In A Mist » composé par Bix Beiderbecke. Musicien dont j’ai déjà parlé dans un article sur le blog

1927. Version originelle de Bix au piano

1931. Red Norvo (Marimba) et Benny Goodman (Clarinette basse)

1934. « Frankie Trumbauer And His Orchestra » le 23 février 1934. Charlie Teagarden (tp) Jack Teagarden (tb) Frank Trumbauer (C melody sax) Charles Strickfaden (cl,as) John Cordaro (cl,ts) Roy Bargy (p) Dick Mc Donough (g) Art Miller (b) Herb Quigley (d) Mischa Russell(vln) 

1949. “Harry James and his Orchestra”, enregistré le 28 décembre 1949 à Hollywood. Harry James, Everett McDonald, Nick Buono, Pinky Savitt, Ralph Osborne (Trumpet) Carl “Ziggy” Elmer, Dave Robbins, Lee O’Connor (Trombone), Juan Tizol (valve trombone), Willie Smith (Clarinet, Alto Saxophone), Eddie Rosa (Alto Saxophone, Flute), Corky Corcoran, Jimmy Cook (Tenor Saxophone), Bob Poland (Baritone Saxophone), Bruce MacDonald (Piano), Tony Rizzi (Guitar). Bob Stone (Bass). Alvin Stoller (Drums)

1956. Tom Talbert. Avec Joe Wilder (trumpet); Joe Soldo (flute); Danny Bank (clarinet and bass clarinet); Harold Goltzer (bassoon); Jim Buffington (French horn); Barry Galbraith (guitar); Oscar Pettiford (bass); Osie Johnson (drums)

1958. Michel Legrand « Legrand Jazz ». Avec, Ernie Royal, Art Farmer, Donald Byrd et Joe Wilder (Tp), Frank Rehak et Jimmy Cleveland (Tb), Gene Quill et Phil Woods (As), Seldon Powell (Ts), Teo Macero (Bs), James Buffington (Cor), Don Elliot (Vibes), Milt Hinton (B), Osie Johnson (D), Nat Pierce (P)

1964. Clark Terry. Avec Phil Woods (as), ben Webster (ts), Roger Kellaway (p), Milt Hinton (b), Walter Perkins (d), sur un magnifique arrangement de Bob Hammer.

1972. Freddy Hubbard. Avec aux Percussion: Ray Barretto, Guitar: George Benson, Drums: Billy Cobham, Bass: Ron Carter, Piano: Keith Jarrett, Flute: Hubert Laws, Bass Clarinet, Flute, Piccolo: Phil Bodner, Clarinet, English Horn, Flute, Oboe: Romeo Penque, Bass Clarinet, Piccolo: Wally Kane, Flugelhorn, Trumpet: Alan Rubin, Flugelhorn, Trumpet: Marvin Stamm, Trombone: Wayne Andre, Trombone : Garnett Brown

2017. Malo Mazurié

D’où vient le répertoire de jazz ?

D’où vient le répertoire du Jazz ? A-t-on toujours joué les mêmes morceaux ? Peut-on tout jouer de façon jazz ?… Autant de questions que l’on ne se pose sans doute pas tous les jours, mais qui sont historiquement intéressantes…

Le répertoire qui est utilisé par la musique de jazz, évolue avec les époques et les styles qui jalonnent son histoire :  on peut dégager grosso modo 5 grandes époques :

  • La période 1900 à 1920 où le jazz emprunte essentiellement au répertoire traditionnel issu du Gospel, du Ragtime et du Blues. Ces trois formes musicales issues de cultures différentes, ou plutôt leur fusion, est à l’origine de la naissance du jazz, et c’est tout naturellement dans ce répertoire que ce style naissant va aller puiser au cours de sa période d’individuation (1890-1915 environ). Ce répertoire sera utilisé dans les « Marching Bands » ou fanfares qui animeront les fêtes et évènements importants (plutôt à la Nouvelle-Orléans ou le jazz est né), mais aussi par les premiers orchestres de jazz statiques : le « Créole jazz band » de King Oliver ou « l’Original dixieland jazz band » par exemple, dirigé par Nick La Rocca et dont les musiciens sont pour la plupart issus de l’orchestre de Jack « Papa » Laine.
Snake Rag. King Oliver 1923
  • Puis, à partir du milieu des années 20 et jusqu’à la fin des années 30, le jazz qui est à l’époque de la « swing era » essentiellement une musique de danse, puisera surtout dans les thèmes écrits pour les comédies musicales de Broadway (c’est ce que l’on appelle l’American song book). Ce sont tous les standards que nous connaissons et qui sont encore joués aujourd’hui… Ces standards sont majoritairement écrits par des compositeurs qui ne sont pas jazzmen (George GershwinIrving BerlinCole Porter etc…). Mais il y a évidemment des exceptions et de taille ! Pour la plupart pianistes… Jelly Roll MortonFats WallerDuke EllingtonHoagy Carmichael, etc…
Lady Be Good. Lester Young 1936
  • Vient ensuite, entre 1940 et 1950, la période du Be-bop, où l’on utilise les canevas harmoniques des standards de Broadway pour écrire de nouvelles mélodies plus alambiquées et sur des tempos plus rapides (Charlie ParkerDizzy GillespieMiles Davis…)
Ornithology. Charlie Parker 1948
  • Puis, avec l’arrivée du Cool et du Hard bop à l’aube des années 50, la musique n’est plus écrite pour danser, les compositeurs vont alors explorer de nouvelles voies et être plus innovants sur la forme… c’est aussi à ce moment que beaucoup de grands solistes/compositeurs vont créer leur propre song book et devenir des « fournisseurs » de standards !… Thelonious MonkCharlie MingusHorace SilverBenny Golsonjoe HendersonDuke (toujours), et tant d’autres… On continue cependant à jouer les vieux standards mais on les adapte, on les modernise…
Boplicity. Miles Davis 1949
  • Enfin, vers la fin des années 60/début 70, la musique de jazz, qui s’essouffle un peu après la période du Free jazz, et, bien que déjà métissée à l’origine, va s’ouvrir à d’autres cultures ; Hispaniques, Indienne, Europe de l’Est etc… Ce nouveau courant de « jazz Fusion » ou « jazz Rock » va faire naître un nouveau répertoire avec des compositeurs comme Donald ByrdWayne ShorterJoe ZawinulChick Corea, etc…
Birdland. Joe Zawinul 1977

Dans la mouvance du « Free jazz » (dont la gestation débute dans les années 50 déjà), deux courants plus confidentiels, au sein desquels évolueront pourtant de très grands musiciens, doivent être mentionnés, bien qu’ils n’aient pas généré un grand nombre de standards.

  • Le « Third Stream » né vers le milieu des années 50. Gorge RussellJohn LewisJimmy GuiffreEric DolphyOrnette Coleman (ces deux derniers seront d’ailleurs des figures importantes du free Jazz)… Des artistes qui désiraient déjà élargir l’horizon du jazz.
  • L’AACM (Association for Advanced Creative Musicians) sorte de coopérative d’artistes, créé à Chicago en 1965 par Richard Abrams (pianiste) Malachi Favors (contrebassiste), Jodie Christian(pianiste), Phil Cohran (trompettiste), Steve Mc Call (batteur), suivis par une cinquantaine d’artistes toutes disciplines musicales confondues…
Concerto for Billy The Kid. George Russell 1956 (Third Stream)

De nos jours, lorsque l’on parle de standards, on fait essentiellement référence aux morceaux de Broadway des années 30 et aux classiques du Bebop et du Hard bop. Ce sont majoritairement ces morceaux qui sont joués en « jam sessions ».

On remarque que l’harmonie, avec des codes purement jazz, s’émancipe vraiment à partir des courants bebop et cool. La composante rythmique qui prédominait jusqu’alors (tant le jazz était essentiellement une musique de danse), passe au second plan au profit de l’harmonie, de la diversité des formes, car désormais, le jazz « s’écoute » en concert, en club, en festival…. Les compositeurs sont alors beaucoup plus en recherche d’originalité créative. Le répertoire s’étant finalement adapté à la demande sociale et à l’évolution de la musique…

Peut-on tout jouer de façon jazz ?

Oui, on peut utiliser n’importe quel support mélodique et le transformer en jazz… Il suffit d’intégrer au jeu ou à l’arrangement, une (ou plusieurs) composante qui forme son « ADN » : Le swing (croche ternaire, syncopes, placement rythmique), la paraphrase ou improvisation, les codes d’harmonisations spécifiques (Enrichissements, substitutions, superpositions, emprunts…). On peut transformer n’importe quelle mélodie en morceau de jazz… (Basie’s Beatle bag 1966 : la version de « Michele » des Beatles, ou la revisite de Led Zeppelin par Franck Tortiller et l’ONJ par exemple…). 

Michele (Beatles). Count Basie 1966
Le Petit Negre (Claude Debussy). Stan Laferriere 2012

Stan Laferrière

Docteur Jazz