Les règles de base de l’arrangement jazz.

Ecrire pour Medium Band ou Big Band : Quelques règles de bon sens…

arrangement jazz

En jazz, l’arrangeur/orchestrateur est souvent amené à remodeler la mélodie, en modifier le rythme, la déstructurer parfois, ajouter des ornements, proposer en partant de la trame harmonique d’origine, ses propres enchaînements de degrés, enrichissements, substitutions, mais aussi imposer ses choix d’orchestration. 

Comme en cuisine, un produit (la mélodie) doit être sublimé par la recette (l’arrangement).

Voici les 4 points importants que vous devrez sans cesse avoir à l’esprit pour réaliser un bon arrangement :

1. Un plan préétabli : 

Esthétique générale, intro, thèmes, inters, solos, backgrounds, tuttis, coda.

Le plan, c’est le squelette de votre arrangement. C’est lui qui va tenir l’ensemble, lui donner de la cohérence. S’il est bancal, vos idées ne seront pas mises en valeur.

2. Des lignes fortes : 

Leads, contrechants, lignes de basse, choix des progressions de degrés.

 C’est l’ADN de votre morceau, comme les lignes fortes et perspectives le sont en peinture ou en dessin. C’est ce qui va vous permettre d’attirer l’oreille de l’auditeur pour lui faire ensuite déguster vos couleurs orchestrales…

3. Des systèmes d’harmonisation variés :

On peut en utiliser plusieurs dans un même morceau : 2, 3, 4, 5 voix, paquets, contrepoint, binômes, unissons.

C’est le jeu des textures en cuisine ! Créez la surprise en passant subtilement d’un mode d’harmonisation à un autre.

4. Des couleurs :

Choix des instruments, distribution des voix.

Les couleurs sont générées par le choix des instruments et les mariages que vous faites entre eux. Le choix délibéré de les utiliser dans tel ou tel registre, va également influer sur les couleurs sonores.


Le Medium Band peut aller du septet (4 vents et rythmique) alto/ténor/tp/tb par exemple, au onztet (8 vents et rythmique) 4 saxes/2 tp/2 tb par exemple. L’orchestration (distribution des voix) dépend du style ou de la couleur que veut donner l’arrangeur.

Le Big Band quant à lui, est régit par la loi des sections.  Ces sections sont au nombre de 4. Elles sont autonomes et se combinent entre elles pour donner le son d’ensemble. Ce qui n’empêche nullement de les disloquer pour créer un climat ou coller à un style particulier.

  *Section de saxophones : (habituellement 5 saxes), 2 altos, 2 ténors, 1 baryton

  *Section de trombones : 2 ténors, 1 complet, 1 basse

  *Section de trompettes : 4 trompettes Sib, parfois des bugles ou un cor

  *Section rythmique : 1 contrebasse, 1 piano, 1 batterie (parfois 1 guitare, des percussions)

Pour appréhender l’écriture jazz en moyenne et grande formation, il faut, comme en musique classique, commencer par bien connaître les tessitures et les timbres des instruments, c’est la base de l’orchestration. Une des spécificités du jazz étant caractérisée par les innombrables effets utilisables : inflexions, glissando, growl, subtone, shake, fall etc…ainsi que les multiples sourdines qui peuvent être utilisées par les cuivres.

Viennent ensuite des « outils » : les modes, les substitutions et superpositions de triades ou superstructures, ces enrichissements harmoniques typiquement « jazz » qui colorent la musique. C’est la base de l’harmonisation jazz.

Je persiste à penser que l’analyse théorique d’un score, s’il contribue à comprendre la forme, les couleurs harmoniques et les timbres utilisés par tel ou tel compositeur ou arrangeur, ne peut en aucun cas avoir pour but de poser des théorèmes définitifs sur la façon d’orchestrer. Néanmoins, il y a beaucoup à apprendre en décortiquant les voicings et l’on s’aperçoit souvent que ce qui peut paraître simple et clair à l’oreille, s’avère parfois plus sophistiqué dans l’écriture qu’il n’y paraît… Pour ma part, et c’est très personnel, je préfère toujours tenter de comprendre « à l’oreille » ce qui se passe dans un arrangement, avant d’en regarder le score.


Dans la conception d’un arrangement en général et pour Médium Band ou Big Band en particulier, quel que soit le style ou l’esthétique que l’on recherche, l’observation de certaines règles d’or permet d’éviter la lourdeur, ou l’ennui…

La forme :

– Vous pouvez être original dans la forme, mais il faut un plan clair, défini au préalable. Celui-ci permettra de donner à l’auditeur des points de repère et de mettre en valeur vos idées. 

 Développez en profondeur vos idées, plutôt que de les enchaîner sans suite. Pensez à faire des rappels de « l’idée maîtresse » ou de certains motifs. Évitez de faire trop de reprises, et bannissez le « copier/coller » (sauf si vous devez faire un arrangement express…)

–  Recherchez la fluidité des lignes et des constants.

–  Respectez l’uniformité dans le style et la couleur.

L’harmonisation et l’orchestration :

–  La logique (horizontale) des voix doit apporter une justification des tensions (quel que soit le style)

Évitez les notes répétées pour les voix intermédiaires (surtout dans la rapidité). Évitez aussi de croiser les voix.

– Soignez l’équilibre des renversements de voicings. On dit qu’un bon arrangement doit pouvoir être lisible et bien sonner si l’on retire des voix (au moins une par section).

– Si vous utilisez les sections (Tp’s, Tb’s, Saxes) en « paquets », elles doivent être équilibrées et « sonner » séparément avant de « sonner » ensemble. Autrement dit, dans un tutti en « Big Shout », chaque section doit bien sonner séparément.

–  N’hésitez pas à écrire un unisson pour faire ressortir un accord tendu. Alternez les systèmes. Trop de passages harmonisés peuvent générer de la lourdeur. Trop de passages à l’unisson (surtout s’ils sont mal gérés) peuvent provoquer l’ennui. Alternez tensions et apaisements, si vous surprenez l’auditeur avec quelques tensions harmoniques (ou rythmiques), rassurez-le ensuite avec un passage apaisant qui du coup, mettra votre tension en valeur. Frank Foster (immense arrangeur) me disait : « Si tu donnes une gifle, enchaîne avec une caresse »… Certains arrangeurs s’affranchissent cependant de ce théorème avec talent, mais ils ont souvent une très forte personnalité, et beaucoup d’expérience !

–  Ne négligez ni ne bâclez jamais les backgrounds derrière les solistes. Vous pouvez avoir la meilleure crème glacée du monde (le solo), si le cornet en gaufrette qui l’entoure (le background) n’est pas bon, le plaisir sera gâché.

–   Laissez « respirer » les instrumentistes, même dans une orchestration dense.

Si cela s’avère souvent nécessaire dans les premiers temps (qui peuvent durer quelques mois ou années ;-), évitez autant que possible d’écrire pour orchestre à partir de voicings élaborés au piano… C’est LE piège pour tout orchestrateur débutant. Ce qui sonne au piano, n’est absolument pas garanti à l’orchestre… Le choix des timbres et tessitures des instruments modifient considérablement le rendu d’un accord. Servez-vous du piano pour vérifier l’harmonisation, mais apprenez au plus vite à intérioriser et à entendre les timbres et ce que vous voulez traduire, puis orchestrez (distribuez les voix) sans le piano. Globalement, vous pouvez harmoniser au piano, mais il faut orchestrer à l’oreille.

Je ne devrais pas le dire ici, mais je le dis quand même (Il faut bien que je « livre » quelques trucs), il existe une exception à cette règle : Le seul ensemble ou section que vous pouvez orchestrer au piano sans grand risque de mauvaises surprises, c’est la section de saxes. Presque tout sonne avec des saxes, si on respecte bien les tessitures. Merci Adolphe ! Et disons-le, de manière générale, il en est de même pour tous les ensembles constitués d’instruments de la même famille.

Le rythme :

On ne peut pas parler d’arrangement sans dire un mot du rythme, qui est souvent le « parent pauvre ». On se focalise souvent en effet, sur l’harmonisation ou ré-harmonisation, mais en matière d’arrangement, de re façonnage d’une mélodie, la gestion rythmique revêt une grande importance pour faire ressortir les motifs, mettre en valeur certains accords ou certaines tensions. Une mélodie habituellement jouée en médium swing par exemple, peut être traitée par l’arrangeur, sur un tempo différent, un rythme différent, en introduisant des syncopes, des « kicks », des décalages, voire en changeant carrément la mesure ou la structure rythmique.


Sans « démystifier »  on peut dire que  certaines règles récurrentes (forme, voicings, harmonie, utilisation des timbres) s’appliquent à tel ou tel compositeur ou arrangeur et lui donnent sa « griffe », sa couleur personnelle.

Si Count Basie n’est pas arrangeur, son orchestre sonne de façon particulière, on le reconnaît. Sans parler de la section rythmique si particulière, on peut dire que certains arrangeurs comme Sammy Nestico, ont donné ce son unique à l’orchestre de Basie, avec comme caractéristiques principales : une écriture compacte, verticalement claire, utilisant le registre le plus aisé des instruments et le système des « block chords » à 4 ou 5 voix (Ernie Wilkins et Neal HeftiBenny CarterQuincy JonesThad Jones, autres arrangeurs de C. Basie utilisent eux aussi plus ou moins le même système). Totalement à l’inverse, Duke Ellington écrit presque exclusivement de façon horizontale, privilégiant ainsi la mélodie (y compris pour les voix intermédiaires) et va chercher les sons extrêmes des instruments.

Pour résumer : selon que l’on utilise plus ou moins les sections en « paquets » avec plus ou moins de voix (Thad jones et Quincy Jones, utilisent ce système de « paquets » mais l’enrichissent harmoniquement à l’aide des superstructures des accords de 7ième de base, chacun avec un style bien à lui), ou le contrepoint et la fugue en disloquant les sections et en utilisant des binômes (Bill Holman le roi de l’unisson savamment utilisé, Bob Brookmeyer le contrepoint), ou encore, en combinant tout cela avec l’utilisation de modes, de pédales et des couleurs orchestrales particulières (Gil Evans), on peut déjà obtenir une multitude de façon d’orchestrer et les combinaisons sont pratiquement infinies.

Quelques adjectifs et spécialités caractérisant les styles et esthétiques de grands arrangeurs.

(ce ne sont que quelques exemples)

Efficacité : Count Basie (head arrangement) « One o’ Clock Jump », Neal Hefti « Atomic Basie », Marty Paich « Art pepper + Eleven »

One O’Clock Jump. Head Arrangement
Neal Hefti. Atomic Basie. Splanky.
Marty Paich. Bernie’s Tune

Originalité : Jimmy Mundy « Queer Street », Duke Ellington « Koko » « Orson Wells », Gil Evans « La Nevada » « Davenport Blues », Don Grolnick « What Is This Thing Called Love »

Jimmy Mundy. Queer Street
Duke Ellington. Koko
Billy Strayhorn. Hersay Or Orson Wells
Gil Evans. Davenport Blues
Don Grolnick. What Is This Thing Called Love

Sophistication : Thad Jones « Tip Toe »

Thad Jones. Tip Toe

Elégance : Quincy Jones « For Lena and Lennie »

Quincy Jones. For Lena & Lennie

Unisson : Bill Holman « Airgin »

Bill Holman. Airgin

Contrepoint et développement des idées : Bob Brookmeyer  « Célébration Jig », Maria Schneider « Giant Steps », Kenny Werner « Naked in the Cosmos »

Bob Brookmeyer. Celebration Jig
Maria Schneider. Giant Steps
Kenny Werner. Naked In The Cosmos

Stan Laferrière

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