12 Février 2024 : Les 100 ans de la « Rhapsody in Blue »
La « Rhapsody in Blue » fut créé durant l’après-midi du 12 février 1924 sous le titre « An Experiment in Modern Music ». Le concert eut lieu au « Aeolian Hall » à New York. Interprétée par l’orchestre de Paul Whiteman (Orchestre de jazz incluant une section de cordes), avec George Gershwin au piano qui improvisa les solos de piano. La partition de piano éditée, n’a été écrite par Gershwin qu’après le concert du 12 février, si bien que nous n’avons pas d’idée précise de ce qui a été improvisé lors du concert…
La pièce est composée par George à la demande du chef d’orchestre Paul Whiteman qui lui commande un concerto, après avoir été impressionné par sa composition pour orchestre « Blue Monday » (qui fut un échec). Gershwin, très occupé à finir sa nouvelle pièce « Sweet Little Devil », déclina tout d’abord l’offre. Mais son frère Ira Gershwin lui montra un article du 4 janvier 1924 parlant du futur concert de Whiteman et où l’on annonçait que George travaillait à un concerto… Gershwin décida finalement d’écrire cette pièce de piano, en seulement trois semaines…
Il confia l’orchestration à Ferde Grofé (Il fit de nouvelles orchestrations en 1926 et 1942, à chaque fois pour un orchestre plus étoffé)
Petite anecdote : Le célèbre glissando de clarinette qui ouvre l’œuvre, n’est pas écrit sur la partition originale (c’est une gamme chromatique à l’origine), mais c’est une idée du clarinettiste de Whiteman : Ross Gorman, et que valide Gershwin.
Malgré quelques critiques inévitables, l’œuvre rencontre un énorme succès et propulse Gershwin au rang des grands compositeurs Américains. Celui-ci clamait pourtant haut et fort que les magnifiques orchestrations de Grofé étaient en grande partie responsable du succès…
L’orchestration originale pour l’orchestre de Whiteman (23 musiciens dont plusieurs jouent de 2 instruments) comprend : 1 flûte, 1 hautbois, 4 clarinettes (Bb, Eb, alto et basse), un basson, des saxophones, 2 cors, 2 trompettes, 2 bugles, 1 euphonium, 3 trombones dont un trombone basse, 1 tuba, 2 pianos, 1 celesta, 1 banjo, 1 batterie, tambours, timbales, contrebasse, accordéon et des violons.
L’orchestration de 1942 (La plus jouée) ne comporte qu’un seul piano, 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes Bb, 1 clarinette A, 1 clarinette basse, 2 bassons, 3 cors, 3 trompettes Bb, 3 trombones, 1 tuba, 2 saxophones alto, 1 saxophone ténor, 1 banjo, des timbales et percussions diverses et une section d’instruments à cordes (Violons, altos, violoncelles, contrebasses)
Une version originale fut créée à L’IRCAM à Paris en 2012, avec l’orchestre d’Harmonie et le Big band de la Musique de L’air, dirigés par Claude Kesmaecker et Stan Laferrière. Toutes les parties de piano sont remplacées par des orchestrations de Big Band écrites par Stan Laferrière. La pièce est donc jouée sans piano…
Il existe une méconnue mais magnifique version courte, enregistrée par le Big Band de Duke Ellington en 1962, très intéressante et terriblement « Ellingtonienne » …
Cet homme si bien élevé, distingué et affable est aujourd’hui salué comme l’éminence grise la plus influente du premier jazz. Grise ? La couleur ne sonne pas juste, lui qui n’aimait que le rose. Les voitures roses, les cravates roses sur des chemises roses. Était-ce parce qu’en 1924, c’est au Roseland Ballroom de New York que sa première formation, le « Club Alabam Orchestra », connut son premier triomphe.
La raison principale ? L’engagement de jeunes recrues qui à son contact auront vite la révélation de leur talent : sa majesté le « King of Saxophone », Coleman Hawkins, bien sûr, mais aussi Don Redman, Tommy Ladnier, Rex Stewart, Joe Smith, Jimmy Harrisson, Buster Bailey et plus tard Benny Carter. Mais, c’est une irruption soudaine, une éruption solaire qui va tout faire exploser dans son orchestre : celle de Louis Armstrong qui, à 23 ans, vient de quitter Chicago et King Oliver pour rejoindre New York et Fletcher Henderson pour son rendez-vous avec la gloire…
L’histoire du jazz est riche d’histoires de rencontres décisives qui ont changé son cours. De ces réunions improbables entre deux fortes personnalités finalement condamnées, un jour ou l’autre, à se croiser et dialoguer pour inventer ensemble un nouvel horizon. A preuve, les rencontres entre Louis Armstrong et Earl Hines, Django Reinhardt et Stéphane Grappelli, Dizzy Gillespie et Charlie Parker, Charles Mingus et Eric Dolphy, etc. L’histoire de la rencontre musicale qui rapprocha pendant plus de cinq années, de 1955 à 1960, les destins de deux géants du jazz moderne, est l’objet d’un coffret magique : « Miles Davis with John Coltrane : The Complete Columbia Recordings ».
Retour sur une aventure aussi passionnée que tumultueuse qui bouleversa le langage et le paysage du jazz :
En cette fin de l’année 55, Miles Davis est un homme heureux. L’année précédente, après moult tentatives infructueuses, il a enfin réussi à décrocher de la drogue et à devenir « clean ». En juillet, invité surprise du premier festival de Newport, il connaît un triomphe inespéré en jouant « Round Midnight » aux côtés de Thelonious Monk. A peine sortie de scène, le producteur George Avakian lui tombe dessus pour lui demander de signer un contrat d’exclusivité avec le prestigieux label Columbia. A l’époque, Miles était sous contrat chez Prestige jusqu’en 1956. Il trouvera vite avec Avakian une parade astucieuse : il enregistrera très vite les quatre disques qu’il doit à Bob Weinstock, le patron de Prestige, mais aussi, en cachette, pour Columbia, dès octobre 55, des bandes qui ne sortiront finalement qu’en 1957. Ce sera l’album « Round about Midnight » qui connaîtra tout de suite un formidable succès public.
A l’automne 55, Miles Davis a constitué un tout nouveau quintette composé de Philly Joe Jones à la batterie, Paul Chambers à la contrebasse, Red Garland au piano et de John Coltrane au sax. « Ce groupe est vite entré dans la légende, dira Miles dans son autobiographie, et m’a permis d’exister enfin sur la carte du monde musical ». Nés tous les deux en 1926, Miles et Trane n’avaient en fait que quatre mois de différence. Mais, au niveau de la notoriété et de la maturité, la différence était beaucoup plus importante. Le jour et la nuit. Alors que Miles pouvait se vanter d’être déjà une « vedette » du jazz, d’avoir joué tout jeune aux côtés de Charlie Parker et participé activement à la naissance du cool, le saxophoniste n’était encore qu’un illustre inconnu. A preuve, on ne connaît quasiment pas de solos de Coltrane avant sa venue chez Miles si ce n’est de courtes interventions à l’alto dans l’orchestre de Johnny Hodges ou dans le sextette de Dizzy Gillespie. C’est donc bien Miles qui le premier sortit « Trane » de l’anonymat pour le propulser sur le devant de la scène.
Entre eux naquit tout de suite une amitié durable, une complicité musicale rare et profonde. « J’adorais John, confesse-t-il. C’était un type très spirituel. ». Pourtant leur personnalité était pour le moins contrastée. Miles jouait au dandy surdoué qui ne donnait jamais l’impression d’avoir à travailler son instrument et qui, dès qu’il avait fini de jouer, ne s’intéressait au sortir d’un concert ou d’un club qu’à la jolie fille avec qui il passerait la nuit. Coltrane était tout le contraire. La musique était toute sa vie. C’était un obsédé du sax qui travaillait son instrument jour et nuit, comme un forcené. Il appelait Miles « professor », ce qui avait le don d’agacer le trompettiste, et n’arrêtait pas de le harceler « de putains de questions sur ce qu’il devait jouer ou ne pas jouer ».
Le principal problème de ce quintette de rêve, c’est qu’à l’exception de Miles, les quatre autres musiciens étaient tous gravement accros à l’héro. Miles souffrait particulièrement de voir « Trane » conspirer avec autant d’obstination contre lui-même et s’auto-détruire en buvant des quantités d’alcool et prenant des doses de drogue vraiment hallucinantes. « Il était comme Bird. Quand on est un génie de ce calibre, on voit et vit les choses à l’échelle supérieure, c’est à dire à l’excès. On devient une espèce de monstre ». Excédé par ses abus, plusieurs fois Miles vira Coltrane de l’orchestre. « Un soir à New-York, j’étais tellement en rogne de le voir aussi abruti par la dope que je l’ai boxé dans les loges. Coltrane n’a même pas réagi. Seul Monk qui assistait à cette pénible scène lança à John : « Tu ne vas pas accepter de te faire maltraiter de la sorte. Quitte ce mec et viens jouer avec moi ». Traumatisé d’être une nouvelle fois renvoyé de l’orchestre, Coltrane prit enfin, au printemps 57, la décision de faire « cold turkey », c’est à dire un sevrage de drogue radical et définitif en s’enfermant dans une chambre solitaire pendant plus d’une semaine.
Cette épreuve fut pour Coltrane, qui se sentit soudainement « investi d’une mission musicale », une vraie Rédemption : « J’ai fait alors l’expérience d’un réveil spirituel qui m’a conduit à une vie plus pleine, riche et créative. » Après avoir joué dès juillet 57 plusieurs semaines avec Monk au Five Spot pour y expérimenter une nouvelle liberté dans sa façon de jouer et enregistré « Blue Train » pour Blue Note, John réintègre en décembre 57 l’orchestre de Miles qui devient alors sextette avec l’arrivée de Cannonball Adderley à l’alto. Bientôt Bill Evans remplacera Red Garland. C’est ainsi qu’au printemps 59, Miles et ses complices enregistrent en deux séances « Kind of Blue », le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, un pur joyau du jazz moderne qui semble aujourd’hui aussi neuf et parfait qu’au premier jour.
C’est dans cet album (le tout premier 33 tours que j’ai jamais acheté chez le disquaire Raoul Vidal, place Saint Germain-des-Prés – j’avais 15 ans !! – dans sa splendide version Fontana publiée par Boris Vian !!!!) que se joue, sur la durée, le tournant du jazz modal déjà expérimenté dans « Milestones » au printemps 58. C’est aussi dans ce disque phare que l’on trouve « So What », « le solo de trompette le plus lyrique du XXe siècle, la première improvisation modale consciente d’elle-même » selon George Russell. John Coltrane s’en souviendra lorsqu’il enregistrera peu après « Impressions ».
Après une ultime tournée en Europe pendant l’été 1960 au cours de laquelle il se fera copieusement huer à l’Olympia, le saxophoniste quittera définitivement l’orchestre pour voler de ses propres ailes, créer son propre quartet et éclabousser de tout son génie la décennie à venir. Mais cela est une autre histoire…
Pascal Anquetil
Miles Davis with John Coltrane : « The Complete Columbia Recordings », un coffret Sony de 6 CD, dont 18 prises inédites, accompagné d’un livret de 116 pages avec de nombreuses photographies.
« Le démon de mon cœur s’appelle à quoi bon » disait Bernanos. En cette fin des années quarante, le même mal insidieux ronge le guitariste. A quoi bon la musique ! A quoi bon accepter la proposition de Benny Goodman qui l’invite à le suivre en Amérique dans sa formation ! A quoi bon s’engager dans la lutte intestine qui oppose le Anciens et les Modernes, la querelle des « figues moisies » et des « raisins aigres » ! « To bop or not to bop », telle n’est pas la question. Django est déjà ailleurs, c’est-à-dire nulle part, dans son monde intérieur aux contours aussi flous et précis que les… nuages. Même s’il demeure pour beaucoup toujours une légende, il n’est plus à la mode, plus un éclaireur, plus la « vedette » des nuits parisiennes qu’il était pendant l’Occupation. Le ténébreux Manouche le sait et il s’en fout.
« Ne me parlez plus de musique » dit-il à tous ceux qui l’encouragent à jouer. Obstiné, taiseux et désenchanté, Django préfère la solitude de la pêche à la mouche et le refuge dans la peinture. Il en avait découvert les joies et les couleurs en 1946 dans des chambres d’hôtel new-yorkaises pour tromper son ennui et adoucir son amertume pendant son séjour américain dont le « ratage » avait blessé au plus vif son orgueil. Pourquoi la peinture ? « J’avais beaucoup d’amis qui peignaient, dira-t-il en 1952 au micro de Dolly Steiner. Cela m’a donné envie de les voir peigner (sic) et j’ai peigné (sic) » C’est aussi simple !
En 1949, Django décide de vendre son appartement de la Place Pigalle et s’achète dans la foulée une Lincoln et une caravane pour reprendre la route et retrouver sa liberté. Il n’ira pas loin. La belle Américaine tombe en panne aux environs du Bourget dans une zone où stationnent d’autres Manouches. Il y établit son campement et s’installe dans un hangar voisin. D’atroces douleurs dentaires le mettent au supplice et le rendent de plus en plus ombrageux et taciturne. Mais il se refuse à se faire soigner par peur des dentistes, « ce gens insensibles qui font si mal ». A force de patience, son vieux copain André Ekyan arrivera finalement à le persuader à consulter et à se faire poser un appareil dentaire. Tous les visiteurs du bougon du Bourget sont consternés de le voir alors « disparaître avec tous ses trésors dans la pénombre de la vie manouche » (Patrick Williams) et de constater qu’il a raccroché sa guitare au fond de sa roulotte. « Elle était couverte de poussière, se souvient le clarinettiste Gérard Lévêque, les cordes étaient à moitié moisies et rouillées. »
Rien ne semble en 1950 pouvoir sortir Django Reinhardt de son aquoibonisme existentiel et de son fatalisme tzigane. Au retour d’une tournée à Rome, il dissout la toute dernière mouture du Quintette du Hot Club de France. Quand on vient dans sa roulotte lui proposer un concert au cachet très élevé, Django soulève son matelas et montre un lit de billets. « De l’argent, en voilà, réplique-t-il avec colère. Je n’en ai pas besoin, ça ne m’intéresse pas. » Autre exemple de sa mauvaise humeur : le promoteur anglais Peter Morris propose un jour à Stéphane Grappelli de retrouver Django pour faire ensemble une tournée aux Etats-Unis. Stéphane quitte immédiatement Londres pour Paris et se lance à la recherche du guitariste. « Impossible de le retrouver. Finalement, je le rencontre près du Bourget. Il était plutôt silencieux, me répondant à peine. Il paraissait aigri, méfiant. Quelque chose semblait cassé chez lui, comme une blessure dont on ne guérit pas. Je lui propose la tournée. Il refuse tout net et m’envoie promener d’un air à la fois furieux et stupéfait. « Cela ne me dit rien » sera sa seule réponse. C’est la dernière image que j’ai de Django Reinhardt. »
Et pourtant, au tout début de1951, le miracle arrive : Django retrouve l’envie et le bonheur de jouer. Comment expliquer une telle embellie finale ? Un chant du cygne à quarante ans semble très improbable. Serait-ce plutôt une mystérieuse prémonition de sa mort prochaine qui lui font pousser de nouvelles ailes du désir ? Qu’est-ce qui pousse donc le farouche Manouche à briser son isolement et à se mettre en danger en s’inventant un autre avenir. Première réponse : d’abord il y a la découverte décisive de la guitare électrique. On le sait, Django jouait sur une guitare Selmer Maccaferi très difficile à maîtriser. Les cordes de sa guitare n’étaient pas dures, mais très hautes. « Ce n’étaient pas des doigts qu’il fallait pour appuyer, mais des pinces d’acier », dira en connaisseur Sacha Distel. Grâce au nouveau micro Stimer, Django découvre tout à coup de nouveaux horizons.
Même si au début Django abuse de la saturation de l’amplificateur qu’il aime faire cracher au point de couvrir sans vergogne tous les autres instruments, très vite il comprend les possibilités que lui offre l’électrification. Surtout au niveau de l’attaque et de la résonnance. Du coup, ses phrases deviennent plus libres, déroutantes, tourbillonnantes. Lors de la séance du 10 mars 1953, il transforme même sa guitare en « solid body » (c’est-à-dire sans caisse, comme une Les Paul), en pratiquant à l’arrière d’une ses plus belles guitares une ouverture circulaire qu’il va plaquer sur sa cage thoracique. Résultat : « une sonorité demeurée sans égale par sa profondeur, sa rondeur, sa richesse et son raffinement. » (Alain Gerber).
Problème : « Django est trop en avance avec un matériel trop daté. » (Romane). Il n’empêche, ce qui change pour Django avec la guitare électrique, c’est la tenue et la durée de la note qu’elle autorise. Du coup, Django peut dépouiller son phrasé pour tendre vers l’essentiel. Plus contraint à l’obligation de « remplissage », il est libre de jouer avec le silence et d’inventer une nouvelle abstraction sonore. Le « style Django » d’avant-guerre, avec tout son cortège d’arpèges et de tremolos syncopés, s’efface tout à coup pour privilégier la pureté des lignes sinueuses. Évidence : Django apparaît aujourd’hui comme le précurseur de toute la guitare de jazz dans les années suivantes, jusqu’à …Jimi Hendrix.
L’autre raison de cette soudaine renaissance est que le fier Manouche a enfin trouvé en ce début des années cinquante des accompagnateurs enfin capables de le comprendre, d’aiguillonner son inspiration et de l’aider à libérer son jeu pour mieux apprivoiser le feu neuf du bop. Ces jeunes loups, tous âgés d’une vingtaine d’années, Charles Delaunay les a baptisés les « Be-Bop Minstrels ». A savoir, Hubert Fol (saxophone), Bernard Hulin ou Roger Guérin (trompette), Raymond Fol ou Maurice Vander (piano), Pierre Michelot (contrebasse), Pierre Lemarchand ou Jean-Louis Viale (batterie). Avec eux Django est heureux parce que stimulé. Avec ces jeunes turcs insolents, il peut remettre les pendules à l’heure et réaffirmer la modernité flamboyante de son génie. Au début, « Ils m’ont fait souffrir ces petits gars qui croient que c’est arrivé et que nous ne sommes plus bons à rien, qu’on est finis, confia-t-il à son ami Pierre Fouad. Eh bien un jour, je me suis fâché. J’ai commencé à jouer si vite qu’ils n’ont pas pu me suivre ! Je leur ai servi des morceaux nouveaux sur des harmonies difficiles et là non plus ils n’ont pas pu me suivre ! Maintenant, ils me respectent »
Le 20 février 51, avec sa jeune garde bop, Django fête en fanfare son retour sur le devant de l’actualité lors de la soirée de réouverture après travaux du Club Saint-Germain où il accueillera les jours suivants, pour sa plus grande joie des musiciens de passage comme James Moody, Don Byas ou Bobby Jaspar. Du coup, Django abandonne le campement du Bourget, s’installe avec sa famille rue Saint-Benoît à l’hôtel Crystal, tout en face du club. Il est devenu ponctuel, jovial, transfiguré par le plaisir de jouer. Bientôt Il loue une maisonnette au bord de l’eau, à Samois-sur-Seine, près de Fontainebleau, où il peut dès qu’il le veut se livrer aux plaisirs de la pêche et du billard.
Le 10 mai, après 38 mois de silence et d’abstinence phonographiques, Django franchit enfin les portes du studio Decca pour enregistrer avec ses jeunes amis quatre plages dont un « Double Whisky » très tonique. Il récidivera le 30 janvier 52 avec Roger Guérin avec un « Flèche d’or » fouetté au bebop le plus vif. Un an plus tard, jour pour jour, il participera à nouvelle séance Decca et signera avec Maurice Vander au piano un chef-d’œuvre intemporel : « Anouma », sensuelle ballade énigmatique dédiée à une déesse hindoue. Dans son solo, tout n’est que sérénité, majesté et beauté. Le 1er mars 53 profitant de sa présence la veille à Bruxelles pour animer un bal, Django, flanqué de Hubert Fol, s’invite impromptu sur la scène du Théâtre Royal des Galeries pour enfin dialoguer en direct avec Dizzy Gillespie et son quintette.
Miracle ! Norman Granz arrive à convaincre le méfiant Django d’accepter de participer à une tournée mondiale JATP (Etats-Unis, Japon, bonne partie de l’Europe) qui devait lui offrir enfin la consécration internationale. En guise de carte de visite, l’impresario de Bird, Ella et les autres, demande à Eddie Barclay d’enregistrer le 10 mars pour son label Clef un microsillon 25cm composé de quatre titres. Au programme, bien sûr « Nuages », sans aucun doute sa plus bouleversante version. Pierre Michelot se souvient : « C’est une récapitulation de tout ce qu’il avait fait et de tout ce qu’il commençait à faire. Il y délivre un solo qui m’a toujours produit une émotion inexplicable. Comme s’il savait qu’il allait mourir. »
Le 8 avril, au studio Decca, c’est la dernière séance. Mystérieusement, celle de la décantation et de la gravité. A ses côtés, le vibraphoniste belge Sadi Lallemand et un jeune pianiste pied-noir qui participe à son tout premier disque. Il s’appelle Martial Solal. Comment ne pas voir là une passation de pouvoir symbolique entre celui qui va partir et celui qui arrive ? Lors cet enregistrement ultime, comme l’a écrit dans Jazzman Franck Bergerot, « Django y a dépassé les aspects les plus dogmatiques du bebop. Par sa façon de dérouler les harmonies, par son sens de l’espace et de la distribution rythmique, par son utilisation des motifs au profit du développement dramatique. » A preuve, en guise de testament, une composition originale « Deccaphonie ». Selon la forte formule de François Billard et Alain Antonietto, « c’est un tombeau ouvert sur l ‘avenir. L’extrême nudité des motifs, le dépouillement presque total confinent à l’épure, sans que soit entravé l’élan de la phrase. » Et Alain Gerber d’ajouter : « On jurerait que la force du destin pèse sur le climat qui s’en dégage ».
Le 15 mai, en revenant d’une partie de pêche, victime d’une congestion cérébrale, Django s’écroule dans la petite auberge de Samois. Il avait à peine 43 ans.
Il nous quitte aujourd’hui à plus de 90 ans… Pascal Anquetil lui rendait hommage il y a peu avec ce très beau texte.
« Plus d’un demi-siècle après être entré dans la légende au Pershing Lounge de Chicago, en 1958, en enregistrant l’album culte « But Not For Me » (plus d’un million d’albums vendus !), Ahmad Jamal est toujours là, magnifique et unique. À plus de 90 ans, il déborde de vitalité et n’a rien perdu de son élégance et de sa modernité. Il demeure, toujours vif et inventif, l’un des tout derniers « géants du jazz » sur la crête de la créativité permanente.
Magicien des sons ! Voilà une appellation qui lui va comme un gant. Main de fer dans un gant de velours, bien sûr. Il faut le voir sur scène. Plus précisément, le voir écouter sa musique. Dos au public, face à ses musiciens, Jamal s‘affirme très directif. « Je sais exactement ce que je veux. ». Toujours aux aguets, il dirige son quartet avec autorité et vigilance, corrigeant d’un index impérieux l’écart imprévu d’un soliste. Ses musiciens le savent : rien ne lui échappe. C’est pour cette raison qu’ils partagent avec la même passion son aventure depuis si longtemps. Le contrebassiste James Cammack depuis 30 ans joue à la perfection « l’extension de sa main gauche ». Le louisianais Idriss Muhammad lui donne tout ce qu’il attend d’un batteur : « la sensibilité à la pulsation, le mouvement, le groove, la complexité ». En un mot, la danse.
Ahmad Jamal se définit d’abord comme un « Pittsburgher ». « Tous les habitants de Pittsburgh ont développé un truc qui les rend différents ». C’est dans cette cité minière qui a vu naître Art Blakey, Kenny Clarke, Ray Brown mais aussi d’importants pianistes (Earl Hines, Mary Lou Williams, Billy Strayhorn, Dodo Marmorosa et, bien sûr, son maître Erroll Garner) qu’il vit le jour en 1930, fils d’une mère femme de ménage et d’un père ouvrier. Il découvre le piano à l’âge de trois ans, compose à dix et débute professionnellement à onze en jouant des oeuvres d’Ellington et de Liszt.
En 1956, avec la complicité de Vernell Fournier à la batterie et Israël Crosby à la contrebasse, il expérimente une autre idée du trio piano-contrebasse-batterie. Chacun des trois musiciens y joue à égalité. Avec une science exacte des ruptures et des contrastes, ils peuvent ensemble, dans ce carcan élastique, inventer une manière libre et neuve de converser, d’écouter et de parler en même temps. En virtuose de la litote, Jamal donne à ce triangle miraculeux, grâce à la savante imbrication et complémentarité des trois musiciens, une poétique et une dynamique, une coloration et une cohésion profondément originales. C’était soudainement l’intrusion du drame dans le piano-bar. « Beaucoup de musiciens de ma génération sont marqués par la notion de drame. Si ma musique est différente, c’est que ma musique a été depuis l’enfance marquée par la tragédie. C’est pour cela que ma musique est constamment tonale. »
L’anecdote est devenue historique. Au milieu des années cinquante, Miles ne cessait de persécuter Red Garland, le pianiste de son quintette, en lui intimant l’ordre d’écouter chaque jour un disque d’Ahmad Jamal. C’est dire l’admiration que le trompettiste vouait au pianiste. Pourquoi ? Personne avant lui n’avait su développer un tel sens de l’espace et du silence, du passage de la frappe la plus puissante au toucher le plus léger. Ce n’est pas par hasard si Keith Jarrett le désigne toujours comme son influence majeure.
Après une longue éclipse due à la faillite de son club chicagoan l’Alhambra en 1961 et à ce que l’on appelle pudiquement des « problèmes personnels », il est finalement revenu, il y a vingt ans, sur le devant de la scène. Grâce à l’opiniâtreté et l’amitié d’un Français passionné, mort en 2005 : Jean-François Deiber. C’est lui qui, en juin 1988, eut la lumineuse idée d’inviter ce pianiste alors oublié dans son festival de Boulogne-Billancourt, le TBB Jazz. C’est lui qui sut alors le convaincre de retrouver le chemin des studios et les feux de la rampe. Pour le remettre enfin à sa vraie place : en plein soleil. Mission accomplie !
Depuis, Ahmad Jamal a retrouvé une seconde jeunesse, ne cessant d’enregistrer, de tourner et de triompher de par le monde. Comme le 26 octobre 1996 salle Pleyel lors un concert éblouissant dont un disque « Live in Paris » porte témoignage. « Maintenant, dit-il, si je m’assois au piano, c’est d’abord pour me faire plaisir. » A-t-il donc changé ? Oui et non. Son toucher est toujours d’une sensualité sans pareille. Alternant les attaques percussives et les chapelets de perles cristallines délicatement égrenées, il joue comme personne de l’étendue de son clavier. Sa musique concilie l’économie de moyens du pianiste qu’il était dans les années cinquante (beaucoup d’espace) et la brillance extravertie dont il fait désormais preuve. Avec encore plus d’évidence qu’hier, elle allie intuition et délicatesse, « ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »
Doué d’un swing ailé, avec un sens inné de l’architecture et de l’épure (« ma pensée musicale est d’abord orchestrale »), Jamal construit ses improvisations comme des collages ou des poupées gigognes. Il introduit, décale, comble, relâche, cisèle, étire, renverse, bouscule ses solos avec un art très allusif de la mise en scène. Troué de fusées d’arpèges, pailleté de fulgurances rythmiques, son jeu sait aussi se nacrer d’irisations harmoniques inouïes. Avec l’énergie d’un jeune homme, Ahmad Jamal impose son style flamboyant fait de suspensions et de réitérations contrôlées. En maître du suspense. »
Sur scène, cet inlassable « passeur » du jazz moderne, ce philosophe du swing « vertical », était vraiment fascinant. Sa présence irradiait de bonheur, sa démarche était souple et chaloupée, son visage toujours illuminé d’un sourire intense, malicieux, tendrement intelligent. Voir George Russell diriger son orchestre était un spectacle jubilatoire. Cet homme de méthode avait des gestes de swing. D’un battement de mains ou plutôt d’ailes, il savait galvaniser ses musiciens par son seul magnétisme. De ses deux mains ouvertes, il attirait, repoussait, façonnait la matière sonore que lui renvoyait l’orchestre. Tel un danseur, il mimait et accompagnait dans l’espace l’évolution spiralée de sa musique ascensionnelle pour mieux sculpter ses métamorphoses et contrôler ses tourbillons. Impressionnant !
À près de 80 ans, il n’arrivait décidément pas à faire son âge. Sa musique non plus. Depuis sa composition, Cubana Be Cubana Bop, premier acte de fiançailles de la musique afro-américaine et de la musique afro-cubaine, écrite en 1947 pour le grand orchestre de Dizzy Gillespie, jusqu’à son dernier album The 80th Birthday Concert enregistré en 2003, toute son œuvre dégage une énergie euphorisante, une force d’idées et d’émotions si évidente qu’on s’étonne qu’elle soit restée si longtemps méconnue.
Ignorée, marginalisée, sa musique fut aussi violemment rejetée. On se souvient d’un concert salle Pleyel en 1964, en première partie du quintette de Miles Davis, qui provoqua, sous les sifflets d’une partie du public, une véritable bataille d’Hernani. Aujourd’hui la cause est entendue. George Russell est célébré comme l’un des créateurs qui ont changé l’écriture du jazz, l’art d’en modeler les formes. Avec cette manière si singulière de les empiler par strates complexes les unes sur les autres avec une joyeuse minutie. Comment le définir sans le réduire ? Il était tout à la fois batteur, pianiste, chef d’orchestre, compositeur, théoricien, gourou. « Je ne suis pas un professeur. Je suis un preacher » aimait-il dire de sa voix douce et traînante, légèrement acidulé.
Tout jeune, Russell apprend la batterie. Engagé par Benny Carter, il est remplacé par Max Roach. « En l’écoutant, j’ai compris que je devais arrêter la batterie ». Il débarque à New York en 1945 avec cinq dollars en poche. Introduit par Max Roach auprès de tous les jeunes boppers, il fréquente assidûment l’appartement de Gil Evans où s’invente le jazz du futur. Alors qu’il allait être engagé par le « dieu » Charlie Parker, une tuberculose le contraint à l’isolement. Hospitalisé pendant quinze mois, il profite de son immobilisation pour se lancer dans une recherche théorique. Ses résultats favoriseront l’avènement du jazz modal. Ils seront publiés en 1953 sous le titre « Concept lydien chromatique d’organisation tonale », ambitieux système d’écriture qui conjugue la rigueur diamantine du swing avec la plus totale liberté d’improvisation. « La liberté sans la logique, aimait-il à dire, ce n’est que le chaos ».
En 1956, il enregistre pour RCA le premier album sous son nom « Jazz Workshop » avec Art Farmer et un pianiste alors inconnu, Bill Evans. Quand son ami Miles Davis lui demanda de lui recommander un pianiste, il lui présenta ce jeune timide introverti. Un an plus tard, cette rencontre donnera naissance à « Kind of Blue ». C’est dans ce chef-d’œuvre que l’on trouve « So What ». C’est pour Russell « le solo de trompette le plus lyrique de tout le XXe siècle, la première improvisation modale consciente d’elle-même ». En 1987, à la tête de son Living Time Orchestra, il mettra superbement en scène ce canonique solo de Miles.
Dégoûté par le trop peu d’écho que sa musique et son enseignement rencontrent dans son propre pays, George Russell fuit en 1964 en Scandinavie. C’est là qu’il pose les premières bases théoriques d’un nouveau concept « vertical form », système sophistiqué d’organisation polyrythmique qui irradiera jusqu’au bout toute sa musique. En Suède, il enregistre en 1968 avec Jan Garbarek et Terje Rypdal « Electronica Sonata for Souls Loved by Nature », première tentative de fusion entre bandes électroniques et grand orchestre. En 1969, il retournera aux Etats-Unis pour enseigner au New England Conservatory de Boston. Sa fracassante résurgence en 1978 sur la scène du Village Vanguard à la tête d’un big band composé de jeunes musiciens ravive les passions et relance sa carrière. Il était temps qu’on reconnaisse enfin le génie de ce magicien du concept lydien, l’artificier qui alluma en pionnier la mèche du jazz modal.
Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil
THELONIOUS MONK : L’explorateur du silence
Thelonious Monk : 10 octobre 1917 à Rocky Mount (Caroline du Nord) – 17 février 1982 à Weehawken (New Jersey)
Phénomène d’identification ou signe d’une incontournable prédestination ? Mystère. « Misterioso ». En tout cas rarement un homme aura autant ressemblé à son nom : Thelonious « Sphere » Monk. Avec un tel état civil, il était fatal qu’il devienne ce qu’il fut : « Mad Monk » comme l’avaient surnommé des journalistes américains. Le moine fou, l’anachorète du piano jazz, l’architecte du silence qui poussa la folie de son exploration jusqu’à son ultime terme : une petite chambre que lui offrit dans sa grande maison du New Jersey la « jazz baroness » Nica de Koenigswatrer. C’est là qu’à partir de 1976 il se retira pour se murer à jamais en lui-même.
Comment s’empêcher aujourd’hui d’interroger sa vie et de mesurer son oeuvre à l’aune de ce silence ? Thelonious n’avait que deux passions : le lit et le piano, deux espaces réservés aux rêves. Deux ruses pour apprivoiser le silence. Quand il jouait sur scène, il n’était pas rare de le voir s’arracher brutalement de son piano pour sautiller sur place et exécuter, tel un derviche tourneur, quelques rotations sur lui-même. Dès qu’il retrouvait son instrument, on pouvait voir naître sur son visage une espèce d’extase. L’oeil rivé sur son clavier, les longs doigts tendus à l’horizontale, comme des baguettes, suspendus au-dessus des touches, toujours encombrés de deux énormes bagues qui le gênaient mais dont il avait besoin, il semblait questionner l’ivoire du piano. « Il m’arrive souvent d’hésiter entre deux notes avant de me décider. » Et, quand les doigts s’abattaient sur les touches, que les accords tombaient, abrupts, pour provoquer d’imprévisibles collisions, vous saviez d’évidence que c’était les seules notes possibles, finalement moins nombreuses que celles qu’on croyait entendre. Tout cela en raison de sa prodigieuse science des harmoniques.
À un journaliste qui lui demandait ce qu’il avait ressenti au contact de Monk et ce qui se passait quand il partait ailleurs, très loin, John Coltrane répondit simplement : « La vérité ». La première vérité de Monk, c’était le son. Ce son était si puissant, si impérieux qu’il transcendait tous les styles, tous les genres et aussi, tous les pianos, aussi pourris fussent-ils. Jouant sur les volumes, les contrastes et les lumières, il traitait le son comme le marbre ou le granite. Il le sculptait toujours à sa manière unique grâce à son traitement rythmique, fondé sur le discontinu (les infimes intervalles, les décalages asymétriques), mais aussi harmonique, basé sur son génie de la dissonance.
Musique paradoxale, inclassable, inassimilable tant elle est différente, il faut pour tenter de la décrire faire appel à cette figure de style qu’est l’oxymore : l’union des contraires. La musique de Monk est dans le même mouvement sereine et angoissante, fluide et minérale, ronde et ascétique, virile et fragile, drôle et austère, troublante et apaisante, énigmatique et évidente. L’une des plus belles compositions de Thelonious ne s’intitule-t-elle « Ugly Beauty » ? La beauté laide !
Musicalement, Monk demeure une énigme. Comme un météore, il a chu sur la scène new-yorkaise du jazz, à l’aube du bebop, au début des années 40, avec un style déjà presque accompli, comme si, sans avoir vraiment à chercher, il l’avait tout de suite trouvé. « J’ai toujours fait ce qui me semblait bon sans me soucier de ce qu’on voulait que je joue. » Ce mathématicien des notes n’était pas un calculateur. Toute sa vie, il ignora l’idée même de compromis. À la concession, il préféra la concision. Son exigence incorruptible, sa farouche indépendance expliquent le caractère si singulier et irréductible de sa musique. Sans origine évidente (le stride, le piano harlémite, Duke ?) mais aussi sans descendance directe (même si son influence est aujourd’hui immense), son monde reste inimitable.
Personne ne sait comme lui l’art de choisir les deux notes qui suggèrent l’accord complet, calculer l’exacte densité d’une dissonance, la longueur d’un son, le poids d’un silence, « Le son qui fait le plus de bruit, dit-il, c’est encore le silence. ». Laconique et lacunaire, sa musique avance, titube, s’effondre tout à coup dans un précipice de silence pour resurgir ailleurs, là où précisément on ne l’attend plus. C’est toujours son sens infaillible de la mise en place qui le sauve de la chute. Monk a une batterie dans la tête. Ce qui lui permet quand il joue en solitaire d’être un fulgurant dispensateur de swing. « Straight, No Chaser »
Sa carrière discographique s’étend sur seulement vingt-cinq ans, des années Blue Note et sa dernière apparition au sein des « Giants of Jazz » (1971). Son oeuvre compte à peine une soixantaine de compositions personnelles, suite de sublimes ritournelles, toutes savantes et obsédantes, aux mélodies infectieuses et aux titres insolites. L’extraordinaire dans la musique de ce magistral marginal est qu’il est impossible, au-delà de son inquiétante étrangeté, d’y déceler la moindre trace de démence. Quand on lui reprochait ses solos « bizarres », il avouait ne pas comprendre. « Tout ce que je joue est parfaitement logique ». Logique de la forme et du rythme, logique du plaisir et de l’instant. Et pourtant, on le sent bien, la folie est toujours là. Elle guide tout, borde tout. Elle mène le jeu en silence. Jusqu’au final, son ultime avant la mort. « Round about midnight »
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LOUIS ARMSTRONG : Le grand fauve enroué du jazz universel
Louis Armstrong : 4 août 1901 à la Nouvelle-Orléans – 8 juillet 1971 à New York
Et si un coup de pistolet tiré en l’air la nuit du Nouvel An 1913, dans les rues de la Nouvelle-Orléans, avait tout simplement décidé de l’avenir du jazz ? Pour ce geste, un gamin de douze ans fut envoyé dans une institution à mi-chemin entre l’orphelinat et la maison de correction. C’est là, grâce aux leçons d’un certain Peter Davis, que Louis s’initia à la musique sur un cornet cabossé. Sans ce coup de revolver à blanc, que serait devenue la musique noire ? On en frémit rétrospectivement
À l’orée du siècle, le surgissement d’Armstrong sur la scène naissante du jazz a opéré une révolution aussi décisive que celle qui sera plus tard ouverte par Charlie Parker, puis John Coltrane. Quand Louis débarque en 1922 à Chicago, les jeux étaient loin d’être faits. Le jazz encore adolescent hésitait entre deux tentations : la solution « symphonique », rococo et mielleuse, pompeusement orchestrée façon Paul Whiteman (qui s’était autoproclamé « King of jazz ») et la réponse « hot » avec sa joyeuse polyphonie spontanée et un peu brouillonne, façon King Oliver. À la tête de son Hot Five, puis Hot Seven, en quelques éclats de cornet, puis de trompette, Louis règle très vite le dilemme. Il impose « sa » voix dans toute sa superbe singularité. Il « invente » le solo et le soliste, trouve des formes neuves de l’improvisation, enfin délivrée du carcan collectif.
C’est à Louis que le jazz doit d’avoir atteint à l’universel. Improbable alchimiste qui transforma sans le savoir le cuivre en or, Armstrong fut d’abord un explorateur du son. Son premier génie, ce fut de donner à chaque note une attaque, puissante et tranchante, mais aussi une altération, une durée, une hauteur et une intensité qui en font à chaque fois un instantané explosif d’émotion. Sa sonorité, tout à la fois dure et pure, avec ses vertigineuses ascensions dans l’aigu, ouvre, découvre tout à coup un nouveau monde.
Comme tous les géants du jazz, Satchmo s’impose aussi comme un maître du silence, cet instant d’espérance qui n’est pas du vide, mais toujours, en suspens, la promesse d’un supplément de musique. En trouvant sans chercher une certaine façon de poser les notes sur les temps, en déroulant des phrases idéalement équilibrées, jamais trop longues, jamais trop courtes, en improvisant des découpages rigoureux, il a été le premier jazzman à doter ses solos d’une logique et d’une architecture irréfutables. Doué d’un sens naturel de la mise en place, il fut enfin l’inventeur du « swing ». Avant lui, tout le monde jouait « raide » ; avec lui, tous les musiciens jouaient mieux. « À la trompette, a dit un jour Miles Davis, on ne peut rien jouer qui ne vienne de lui, pas même les trucs modernes ».
Rarement artiste, sorti d’un misérable ghetto, aura autant pesé sur la musique de son siècle et son avenir. Tout ce qu’il joue brille d’une allégresse solaire. Tout ce qu’il chante de sa voix éraillée, rocailleuse, voilée d’un halo de chaleur, dit avec une totale sincérité tous les émois du cœur. Avec Louis, c’est l’homme qui souffle et qui chante, mais c’est toujours la musique qui parle et qui triomphe. Armstrong sait comme personne colorer une note d’un vibrato poignant, l’attendrir d’inflexions douces et la hisser aux cimes du sublime. La force d’Armstrong est d’avoir su s’élever tout seul au-dessus des modes et des formes, renverser la barrière des styles pour réaliser la perfection d’une musique nouvelle qui va incendier tout le siècle.
Si Louis Armstrong fut un authentique révolutionnaire, il ne fut jamais en revanche un révolté. Paradoxe : celui qui fut le premier « jazz messenger » ne se considérait pas comme un « jazzman », encore moins un créateur ou un précurseur, mais comme un simple « entertainer », dévoré par l’inextinguible besoin de plaire. Jamais sa joie de vivre ne l’empêcha d’être tout au long de sa carrière fidèle à une certaine idée, presque austère, du professionnalisme. Pourquoi ? Sa surprenante définition du jazz en fait foi : « gagner ma vie ».
Mais l’important chez lui est ailleurs. Jamais cet « amuseur public » ne s’est une seule fois autorisé à tricher ou plaisanter avec la musique et ses enjeux artistiques. Parce que sa grande passion fut toujours le public, « la chose la plus importante pour laquelle on puisse vivre. On m’accuse souvent d’être un clown, répondra-t-il à ceux qui lui reprochaient ses grimaces, ses yeux qui roulent et son « oncle-tomisme ». Mais c’est merveilleux un clown. Rendre les gens heureux, les entendre applaudir, c’est cela le vrai bonheur. » Et le public lui rendit son amour au centuple en faisant à cet ambassadeur du swing, sans la moindre éclipse en un demi-siècle, toujours la même fête.
Louis Armstrong, génie malgré lui ? Sans doute. Mais c’est à « ce grand fauve enroué » (Henri Guillemin) qui, entre deux éclats de rire, passa sa vie à jongler avec les étoiles que l’on doit que cette rustique musique folklorique néo-orléanaise ait réussi si vite à devenir planétaire.
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Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).
DUKE ELLINGTON : L’architecte de la Great Black Music
Duke Ellington : 29 avril 1899 à Washington DC – 27 mai 1974 à New York
À un journaliste obséquieux qui ne cessait de le qualifier de « cinéaste génial », Orson Welles eut cette réponse définitive : « Les vrais génies du XX° siècle ne sont pas des cinéastes, ni des peintres, des savants ou des écrivains. Ce sont des musiciens de jazz, comme Duke Ellington. » Oui, sans aucun doute, Duke fut un génie. S’il n’a inventé ni le jazz ni le grand orchestre, on lui doit d’avoir porté l’un et l’autre à un degré d’incandescence créatrice exceptionnel. « Je pense, a dit Miles, que tous les musiciens de jazz devraient se réunir un certain jour de l’année et s’agenouiller ensemble pour rendre hommage à Duke ».
Pourquoi serait-il juste de célébrer chaque année un tel homme ? Parce qu’Ellington incarne à lui seul un siècle de jazz. Mieux encore, son œuvre immense, irrémédiablement moderne, est essentielle au jazz. Plus qu’aucune autre, elle représente, au sens esthétique mais aussi diplomatique, le génie et la beauté inépuisables de la musique afro-américaine. Fils d’un majordome à la Maison-Blanche, petit-fils d’un mulâtre né en esclavage, Duke s’est imposé comme « le » musicien américain du siècle, même si certains lui préfèrent Aaron Copland ou Charles Ives. À l’instar de Gershwin, il est le pivot de l’identité américaine, tout en s’affirmant avec fierté comme l’héritier d’une culture noire douloureusement enracinée dans l’obscurité de la mémoire. « Je veux faire la musique du Noir américain », telle fut son ambition.
Ce dandy charismatique fut un grand séducteur. Mais cet homme à femmes n’aima vraiment d’une passion physique inépuisable que la musique. « Music is my Mistress », tel est le titre de ses mémoires. D’une élégance souvent tapageuse, d’une courtoisie un peu lointaine, ce parfait gentleman avec ce sourire de Bouddha accroché à ses lèvres, manifesta un calme toujours olympien face aux vicissitudes de la vie infernale de chef d’orchestre. Parrain bienveillant, il sut, sans jamais hausser le ton, imposer respect et autorité à cette bande de clochards célestes et d’ivrognes invétérés qu’était son big band. « Le pianiste de l’orchestre » (comme il se présentait sur scène), était un meneur d’hommes très distingué. Quelques que soient ses frasques, il répugnait à congédier un musicien qu’il avait lui-même choisi. Quand ce dernier souhaitait quitter quand même l’orchestre, il se contentait de dire : « il reviendra ». Et de fait, il revenait presque toujours.
Son art savant de la maïeutique fut de révéler à eux-mêmes tous ses musiciens, ses « prime done » comme il s’amusait à les appeler. Son génie fut aussi d’accepter de se laisser construire par eux. Entre le maître et ses compagnons, l’échange fut incessant. Comme personne, il savait réveiller leur personnalité profonde, leur parole la plus singulière. Qu’il s’agisse de Johnny Hodges avec sa tête de condamné à mort quand il s’avançait sur scène pour délivrer le plus suave des solos. Ou de Paul Gonsalves qui titubait jusqu’au micro pour enchaîner vingt-sept chorus de feu et de folie, comme il le fit à Newport en 1958. C’est par tendresse pour ses chers solistes qu’il aimait tant leur écrire des compositions sur mesure. « Si vous prétendez composer pour un musicien, disait-il, vous devez tout savoir de lui. Jusqu’à sa façon de jouer au poker. »
Ceci explique que devenir « ellingtonien », c’était toujours pour un musicien l’assurance d’atteindre sa plénitude. Ceci explique l’étonnante fraternité des pupitres, magnifique et trop rare modèle de démocratie réalisée. Ceci explique enfin la sonorité unique de l’ensemble ducal. Quelles que soient les époques, on retrouve toujours la même griffe sonore, la même identité musicale, un secret aujourd’hui à jamais perdu depuis la mort du Maître. Le véritable exploit du Duke Ellington Orchestra, c’est d’avoir été pendant plus de cinquante ans tout à la fois l’œuvre, l’atelier et l’artiste lui-même.
Compositeur prolifique et infatigable (plus de deux mille œuvres à son actif !), artificier du blues essentiel, mélodiste hors pair, il fut aussi, on ne le dit pas assez, un immense pianiste. Formé à Washington à l’école du ragtime, dès son arrivée en 1922 à New York, cet enfant du stride s’est nourri de l’influence des grands maîtres du piano harlémite. Pas de doute, Duke est l’un des grands poètes du clavier bien coloré. Ses audaces harmoniques et rythmiques n’ont rien à envier à celles de Thelonious Monk ou de Cecil Taylor. Style musclé et chaloupé, toucher percussif, puissant mais jamais violent, sonorité ronde et profonde, maîtrise des dissonances, science du jeu en pédales, Duke est décidément le plus moderne des pianistes. Toute sa carrière, il dirigera depuis le clavier, jonglant avec les notes pour que sa musique virevolte sans cesse du piano aux pupitres.
Le génie ducal et son mystère, c’est d’avoir su donner cet élan créatif perpétuel dans le cadre obligé d’un orchestre de revue, longtemps voué à la danse, en se mettant toujours en situation de danger et de liberté. Luxuriance des arrangements, alchimie des alliages sonores et des dosages de timbres, richesse inégalée du développement rythmique, sens inouï de la dramaturgie musicale (ses « suites » en font foi), la musique de Duke s’écoute et se goûte comme une variation obsessionnelle sur la naissance de la lumière et de la couleur. Du style « jungle » de ses débuts, à l’exotisme voluptueusement sublimé, jusqu’à la sérénité des « Concerts Sacrés » de la fin de sa vie, se dessine une courbe idéale, sans le moindre hiatus ni faiblesse. Avec comme seul credo : « It Don’t Mean AThing If It Ain’t Got That Swing ».
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Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).
DJANGO REINHARDT : L’étoile filante dans le grand bleu des « Nuages »
Django Reinhardt : 23 janvier 1910 à Liberchies (Belgique) – 16 mai 1953 à Samois/Seine
À une femme naïve qui s’étonnait qu’il ne sache pas lire la musique, Django répondit pince-sans-rire : « Pourquoi ? Cela s’entend ? » Et d’ajouter avec superbe : « Je ne connais peut-être pas la musique, mais la musique, elle, me connaît. ». Toute sa vie, toute sa musique le prouve avec éclat.Au commencement, il y a Django. Dans la langue des Manouches, ce prénom rare signifie : « je réveille ». Explorateur d’un monde nouveau et inventeur d’un langage devenu l’expression identitaire de toute une communauté, Django Reinhardt, c’est d’abord cet « accident génial » (selon les mots de Franck Ténot) dû à la collision improbable de deux trajectoires : une histoire et un destin, une musique jeune venue d’outre-Atlantique et un artiste neuf issu d’un peuple nomade. De cette rencontre naîtra au début des années 30 ce que l’on a d’abord appelé « l’école tsigane du jazz » avant de devenir aujourd’hui le jazz manouche.
Manouche par le sang et Français par le cœur, fantasque, extravagant et imprévisible, célèbre par ses foucades, absences et retards, joueur et grand seigneur, Django fut d’emblée ce génie lumineux, le premier « guitar hero » de tous les temps et sur tous les temps. Un géant dans le siècle. Génial, parce qu’inexplicable. Magique par sa manière unique de marier avec désinvolture les contraires : le charme et la violence, la volubilité et l’économie, la rigueur rythmique et la fantaisie mélodique. Il y a un « son Django », immédiatement reconnaissable, que Cocteau appela « cette guitare à voix humaine ».Une voix si forte, si présente qu’elle reste toujours un mystère.
La musique de Django fut tout de suite nouvelle et sera jusqu’à sa mort toujours renouvelée. Fruit d’une patiente évolution, d’une perpétuelle remise en question du guitariste par lui-même, elle semble naître du plus souverain dédain pour tout ce qui a pu la précéder. Elle invente dans l’instant sa propre légitimité en refusant tous les pièges de la réminiscence. Toujours se surprendre, jamais se répéter, telle fut sa règle d’airain.
L’ironie de l’histoire a voulu que ce grand libérateur soit trop souvent célébré par des partisans de la servilité. Dans la famille des « héritiers », on trouve tous les cas de figure : les épigones plagiaires, les revivalistes intégristes, les « copycats » (comme disait Lester Young ) chez qui le culte de la répétition va toujours de pair avec la répétition du culte. Heureusement, aujourd’hui le risque de « folklorisation ethnique » du jazz gitan semble enfin évité par tous ces guitaristes (principalement Biréli Lagrene) qui préfèrent la référence à la révérence, l’évolution à la dévotion. Tous ces « disciples » indisciplinés sont pour beaucoup dans le retour de flamme du jazz manouche. Comme l’a écrit Cioran : « Peuple authentiquement élu, les Tsiganes ne portent la responsabilité d’aucun événement ni d’aucune institution ; ils ont triomphé de la terre par leur seul souci de n’y rien fonder. » À l’exception de cette « invention » imprévisible, le seul apport vraiment original que la vielle Europe ait offert au jazz : la musique de Django.
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CHARLIE PARKER : L’Oiseau du feu du Bebop
Charlie Parker : 29 août 1920 à Kansas City – 12 mars 1955 à New York
« Bird lives ». Tel est le graffiti qui fleurit sur les murs de New York en mars 1959 dans les jours qui suivirent la mort de Charlie Parker. Intuition prophétique pour affirmer que sa musique continuerait longtemps à incendier, bouleverser, fasciner, terroriser, paniquer, inspirer les générations à venir. Plus de 50 ans après sa disparition, sans aucun doute, « Bird lives ». En osant tous les débordements, en usant de tous les excès, Parker a réussi à gagner aujourd’hui une jeunesse éternelle, universelle.
Son surnom de Bird n’est pas, comme on pourrait le croire, une métaphore ornithologique heureuse, inventée après coup pour caractériser la dimension aérienne de son jeu. Plus prosaïquement, il vient du jargon militaire. Quand Charlie était à l’armée, on l’appelait « yardbird », le « bleu », le bidasse condamné aux travaux obligés de balayage de la caserne. Le génie de Parker, c’est d’avoir su retourner ce sobriquet humiliant en titre de noblesse ; mieux, le transformer en ligne de vie : cet autodidacte et infatigable travailleur, ce clochard pas toujours céleste deviendra cet oiseau capricieux et imprévisible qui repoussera avec une déraison rieuse tout le champs des possibles pour réinventer l’avenir du jazz, bien au-delà du seul be-bop. Que les choses soient claires : Charlie Parker est le plus fulgurant improvisateur de l’histoire du jazz, Improviser, c’est pour lui explorer, exploiter et trouver, dans l’espace d’un seul instant, du neuf et de l’inouï en un geste radical, toujours recommencé de création spontanée.
Mais en quoi Parker est-il vraiment unique et innovateur ? Par un souffle magique et tragique, un sens du blues immense et inconsolable. Mais aussi par l’acidité du son d’alto que l’on reconnaît à sa première note, sonorité débordante d’énergie, coupante comme du silex sur les tempos ultra rapides. Par la diversité prodigieuse de ses accentuations, par la précision de son placement de notes à l’intérieur d’une mesure, dans le déploiement d’une pensée mélodique en mouvement perpétuel. Par la rigueur de son phrasé qui, même saturé de notes, s’exprime en toute limpidité.
Il faut ne pas hésiter à le répéter : Bird est génial partout et tout le temps, quels que soient ses partenaires et environnements. Il ouvre le jazz à la polytonalité et libère l’improvisation en génie de la paraphrase. En avance sur les conceptions harmoniques et rythmiques de son époque, il s’affirme à jamais par l’urgence vitale et la puissance expressive de son cri. « Le chant du rossignol en sang », selon la belle formule de Marc-Edouard Nabe. Conscient de son génie, mais de plus en plus amer de ne pas être vraiment compris, il conspirera très tôt contre lui-même avec beaucoup d’acharnement et choisira en toute lucidité suicidaire de brûler ses ailes de géant. Le monde n’était pas assez large pour recevoir son trop plein d’énergie créatrice.
Tout ce qu’il joua, à partir de 22 ans, quand il quitta Kansas City pour « monter » à New York, fut marqué par la grâce. Quand ce démiurge improvise sur un standard pour le métamorphoser aussitôt, on se demande toujours comment on aurait pu jouer ce morceau autrement. Il nous fait à chaque fois croire que ce qu’il joue est simple, alors que c’est d’une incroyable complexité. Vitesse prodigieuse et logique parfaite des enchaînement des idées, tout est déjà en place pour que jaillissent les étincelles de son inépuisable intuition. Grâce à sa propre méthode de partition intérieure, il sait et entend ce qu’il va jouer sans bouger un seul doigt.
Avec son saxophone, Parker a entretenu toute sa vie une relation très particulière, détachée de tout fétichisme. Être musicien était pour lui bien autre chose que d’être instrumentiste. Son alto, il ne cessait de l’oublier, le perdre, le mettre au clou pour s’acheter sa dose d’héroïne. Combien de fois s’est-il présenté à un concert ou à une séance d’enregistrement sans le moindre instrument. Il fallait alors en emprunter en catastrophe Et, à chaque fois, le même miracle se réalisait : le son était toujours le même.
Force de la nature, ce champion hors catégorie de l’intempérance et de l’abus était d’une résistance physique phénoménale. Cet ogre dévora la vie avec une violence d’appétit démesurée. Mais le colosse avait des pieds d’argile. Comme l’a dit son alter ego et ami Dizzy Gillespie : « Il a été trop fragile pour durer. C’est terrible d’être un Noir dans cette société. Si vous laissez toutes pressions et oppressions vous atteindre, elles vous entraîneront à la dérive, et vous y laisserez votre peau ».
Ce qu’il fit le 12 mars 1955, en succombant à une hémorragie foudroyante, à New York, dans une suite du Stanhope Hotel où logeait la baronne Nica de Koenigswater. Le médecin, venu constater son décès, estima l’âge de Parker autour de 55 ans. Il n’avait pas encore 35 ans ! À l’instant exact de sa mort, dans un éclat de rire en regardant une émission de télévision, aux dires de Pannonica, il y eut dans le ciel de Manhattan un énorme coup de tonnerre. À l’annonce de sa disparition, tous les musiciens avaient compris qu’une aventure s’était belle et bien terminée. Celle du bop, météore incandescent qui bouleversa totalement le paysage du jazz.
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Bill EVANS : Le soleil noir de la mélancolie.
Bill Evans :
16 août 1929 à Plainfield – 15 septembre 1980 à New York
Il est de beaux dimanches comme ce 25 juin 1961. Un dimanche en cinq manches (deux sets l’après midi et trois sets en soirée) au Village Vanguard de New York. En une époque particulièrement turbulente, trois hommes, Bill Evans, Paul Motian et un jeune fauve de la contrebasse, âgé d’à peine 23 ans, Scott LaFaro, réalisent ce jour-là le miracle de suspendre le temps, d’apprivoiser la beauté pure et de poser en des termes neufs la problématique de l’échange musical. En un merveilleux ménage à trois, ils inventent un nouveau mode de circulation des énergies et des inconscients. Ce miracle fut de courte durée. Dix jours après, LaFaro se tuait en voiture, laissant Bill anéanti. Il devint, comme Nerval « le veuf, le ténébreux, l’inconsolé. »
« Le soleil noir de la Mélancolie » ne cessa plus depuis lors d’éclairer sa musique, mystérieuse, hypersensible, lyriquement grave. Déjà accro à l’héroïne depuis sa fréquentation de Philly Jo Jones dans le quintette de Miles Davis, époque « Kind of Blue », sa vie devint, comme l’a écrit son ami écrivain Gene Lees « le plus long suicide que toute l’histoire du jazz ait connu ». Après la musique, la drogue sera jusqu’à la fin sa seconde et impitoyable maîtresse. Les dernières années, il passera à la cocaïne, ce qui aura pour effet d’accélérer toute sa musique et de redresser sa position face au piano, lui si longtemps recroquevillé sur son clavier, dos voûté pour mieux se rapprocher au plus près du son.
Rien de ce que joue ce poète de la confidence, têtu chercheur des lointains intérieurs, ne laisse tranquille, indifférent. Tant l’émotion qu’elle suscite est d’emblée bouleversante. Créateur d’une esthétique plutôt qu’un style, le plus européen des musiciens américains (il connaît très bien la musique classique, française comme russe) marque un point focal dans l’histoire du piano jazz. Avec lui, il y a un avant et un après. Tout le piano moderne vient de là et de lui. Pour son premier disque, sous son nom, publié en 1957, à l’âge de 27 ans, Bill Evans avait choisi un titre très clair: « New Jazz Conceptions ». Avec lui, il s‘agit, immédiatement, de l’invention d’un espace neuf, celui de l’intériorité absolue, que nul n’avait exploré avant lui. Il trouve une nouvelle esthétique du trio qui bouleverse la formule académique « piano basse batterie ». Dans son monde, à partir de 1960, les rôles sont reformulés et le triangle devient enfin équilatéral. La basse s’insinue sensuellement dans toutes les harmonies pour faire jeu égal avec le piano. La batterie ou, plus justement, la percussion rythmique, renvoie leur dialogue à toute sa délicatesse. D’où ce miracle d’équilibre où chacun des partenaires s’émancipe de l’autre en toute liberté, pour mieux laisser « la » musique s’éclore et s’épanouir.
Ce qui fascine dans son jeu, c’est d’abord son toucher tout en nuances et en vibration intime, riche d’un usage très raffiné de la résonance « Le piano, dira-t-il, est pour moi du cristal qui chante et qui produit de l’impalpable : un son qui s’étire dans l’air comme un rond de fumée. » Bill Evans fut tout à la fois un mélodiste d’exception, un coloriste de l’harmonie et un rythmicien hors pair grâce à son sens aigu de la pulsation intérieure et sa science des timbres, de la dynamique et du swing…au-delà du swing. « Bill Evans jouait dans les souterrains du rythme, dira Miles Davis. C’est ce que j’aimais le plus en lui. » Par l’allégement de son jeu de main gauche, il fait chanter l’harmonie comme personne avant lui, imposant ainsi une autre forme, discrète, secrète, pudique, jamais tapageuse ni narcissique, du lyrisme
Il est aussi de beaux lundis, comme ce 26 novembre 1979 à Paris, à l’Espace Cardin archi-comble. Avec deux jeunes complices d’exception, Marc Johnson à la contrebasse et Joe LaBarbera à la batterie, Bill retrouve le plus beau trio qu’il ait réuni depuis celui formé par Paul Motian et Scott LaFaro. Quand un homme sait qu’il va mourir, il se produit souvent un phénomène qu’on appelle « l’embellie ». Une mystérieuse cure de jouvence qui se traduit par une phénoménale fureur de vivre, l’urgence absolue d’aller à l’essentiel, la quête effrénée de la perfection dans laquelle il épuisera ses dernières forces. Comme si c’était la dernière fois. Et ce fut bien pour lui son dernier concert à Paris. Tout se joue, alors, dans la brûlure de l’instant. La mort rôde partout, c’est sûr, mais reste pourtant si lointaine, si impossible. Conséquence : jamais Bill Evans n’a été aussi grand, libre et lyrique qu’en ce soir d’automne à Paris. L’instant le plus magique du concert fut cette invraisemblable introduction fleuve (plus de 6 minutes 30 !) de Nardis, tout en variations en quintes, tout en rigueur et liberté contrôlées. Soudainement, le cliquetis des photographes cessa. Chaque spectateur retint sa respiration devant l’évidence éblouie de vivre ensemble un moment unique de pure musique. Dix mois plus tard, à bout de force, il mourut brutalement d’un ulcère perforant. Comme Charlie Parker.
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Miles DAVIS : Le Picasso du jazz moderne
Miles Davis :
25 mai 1926, Alton (Illinois) – 28 septembre 1991, Santa Monica (Californie)
« Il faut que je change tout le temps. C’est comme une malédiction. » Et d’ajouter, faussement modeste, mais sûr de son génie : « J’ai juste infléchi le cours de la musique cinq ou six fois. Je crois que cela doit être cela. ». Et c’est vrai. Comme Picasso, il a traversé toutes ses « périodes » en chamboulant à chaque fois le paysage du jazz. Le jazz ? C’était pour lui un mot-ghetto qu’il a toujours refusé de prononcer. Et pourtant ! Son extraordinaire aptitude à saisir l’air du temps, son don d’anticipation pour accompagner, voire précéder les mutations esthétiques offrent un énorme contraste avec son attachement profond aux sources mêmes de la musique afro-américaine. À savoir, le blues, d’abord et toujours. «Le son noir de la musique » comme l’a toujours affirmé Miles. Ce « quelque chose de bleu qui paraissait une aile » comme l’a écrit Victor Hugo.
Cet éclaireur inquiet, quelque peu arrogant, constamment à l’affût des innovations, n’a jamais été pourtant un révolutionnaire. Le « Prince of Darkness » a eu le seul et exceptionnel génie de prendre la tête des révolutions qui se faisaient contre lui ou sans lui. En suivant toujours son idée, irréductible et intransigeante, de la musique. « Quand je ne suis pas sur scène en train de jouer, le seul espace où je sois vraiment moi-même, je pense à la musique. Tout le temps. Je fais et je joue dans ma tête la musique que chaque jour exige. »
Cela se vérifie à chaque « période » de son parcours accidenté, mais toujours fidèle à ses convictions intérieures. Au départ, il est ce jeune bopper qui donne ses premiers coups d’ailes aux côtés du Bird en personne. D’emblée, il impose sa griffe, un son lisse, sans vibrato, venu d’ailleurs. « Une sonorité de dominicain : un gars qui reste dans le siècle, mais qui regarde ça avec sérénité », comme l’écrira Boris Vian, très tôt dans Jazz Hot, avec sa perspicacité habituelle. Rompant avec la fièvre du bebop, avec Gerry Mulligan, il signe l’acte de naissance du cool jazz. Rarement un orchestre aussi légendaire que celui de « Birth of the Cool » n’aura connu destin aussi éphémère. Et poutant, loin de la sophistication furieuse du jazz parkerien, il ouvre les voies d’une autre modernité. Un jazz de brume en opposition à un jazz de braise, un nuage de musique vaporeuse aux contours bien définis.
Quand le style West Coast s’impose, il va ailleurs participer à l’explosion du hard bop naissant. Quand ce dernier triomphe, avec la complicité de Gil Evans, il prend en 1958 le tournant du jazz modal. Pour Miles, ce n’est pas une révolution de plus : « Quand on travaille de façon modale, le défi, c’est de voir à quel point on peut devenir inventif sur le plan mélodique. » Premier coup d’éclat avec « Milestones » et apothéose en 1959 avec « Kind of Blue ». A-t-on jamais atteint pareille simplicité du geste créateur associé à un pareil aboutissement ? Cette musique sans âge sonne aujourd’hui aussi neuve qu’au premier jour. Bill Evans n’est pas pour rien dans la réalisation de ce chef-d’œuvre absolu où tout n’est que perfection, ordre et beauté.
Après le départ de Bill Evans et John Coltrane, Miles mettra du temps à retrouver le groupe de ses rêves. Il le trouve enfin en 65 avec son « second quintet ». Quinte royale pour un jeu à haut risque. Avec Herbie Hancock, Wayne Shorter, Ron Carter et Tony Williams. Moyenne d’âge : 20 ans. Bousculé par de tels aiguillons, Miles peut s’aventurer dans la musique la plus libre. Mais quand la révolution free l’attaque de plein fouet, il choisit le contre-pied : fusionner, avant tout le monde, l’électricité et le jazz modal. Dans la fournaise du jazz rock, il finira par se brûler les ailes, le condamnant à s’éclipser au beau milieu des années 70. Mais,tel le phénix, il renaîtra à l’aube des années 80 pour s’imposer comme l’unique « star du jazz » que le jazz ait connu.
Comme le peintre catalan, Miles aura enchaîné ses « périodes » sans jamais se compromettre. En individualiste forcené, toujours rapide pour dénicher les meilleurs musiciens pour le stimuler, il a réussi à réaliser, avec sa seule trompette, une synthèse éclatée, toujours recommencée mais superbement cohérente, de la musique de son temps.
Mais, comme Orphée se retournant vers Eurydice, oubliant son farouche dédain des nostalgies, il commit la dernière année de son existence l’irréparable. À l’invitation de Quincy Jones, il accepta, pour la première fois de sa vie, de regarder en arrière et célébrer sa propre histoire. Bref, il osa se rejouer. Par ce geste si contraire à sa nature, à 65 ans, ce musicien du souffle pur, mais au corps essoufflé, crucifié par tous ses excès, se trahissait lui-même. Il signait par la même son arrêt de mort. Ce qui ne manqua pas d’arriver en septembre 91.
Mais l’important est, bien sûr, ailleurs. Ce dandy canaille a pour l’éternité inventé un son unique. Mat, plein, rond et admirablement lustré dans le medium, déchirant et puissant dans l’aigu. Avec ou sans sourdine, on reconnaît Miles à la première note. Il aura finalement donné toute sa vérité au verbe « trompeter ». Un mot sans élégance ? Pas sûr ! Le dictionnaire est formel : « se dit de l’aigle qui fait entendre son cri. » Le génie de Miles est d’avoir trouvé ce cri parcimonieux, elliptique, toujours lyrique. Sa grandeur, c’est d’avoir réussi à donner à sa trompette la présence sensuelle, le grain d’une voix, sans doute la plus émouvante du jazz.
Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil
Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).
John COLTRANE : la passion d’un géant
John Coltrane :
23 septembre 1926 à Hamlet (Caroline du Nord) – 17 juillet 1967 à l’hôpital d’Huntington (Long Island)
1960 fut pour Coltrane l’année du grand bond en avant. Lors d’un concert à l’Olympia, le 20 mars, à l’occasion de sa dernière tournée au sein du quintet de Miles Davis avec qui il venait d’enregistrer quelques mois plus tôt « Kind of Blue » et d’entrevoir les possibilités de l’improvisation modale, le saxophoniste s’illustra par de longs solos incendiaires, étirant ses phrases en coulées de lave dévastatrices. Le public qui le découvrait pour la première fois l’accueillit par une avalanche de huées et des jets de pièces de monnaie. Embarrassé, Franck Ténot, en coulisses, voulut le consoler en lui expliquant que les spectateurs parisiens, décidément trop conservateurs, n’étaient pas encore mûrs pour ses innovations. Il l’interrompit : « Ils m’ont sifflé parce que je ne suis pas allé assez loin.. » Tout Coltrane est dans cette phrase.
Pour ce boulimique de musique, la maturation fut longue, l’apprentissage patient et forcené. Soit près d’une quinzaine d’années de travail obstiné auprès de Miles, Monk et les autres. Avant de se jeter à corps perdu dans l’autre monde qu’il pressent, il décide d’abord de dresser le bilan de toutes ses recherches sur le système harmonique du bebop. Ainsi, en avril 1960, il en tente la synthèse avec « Giant Steps ». Premier chef d’œuvre. Des générations de saxophonistes en perdront le sommeil. Coltrane aussi.
En octobre, il enregistre « My Favorite Things » à la tête du quartet qu’il désespérait de trouver et qui jusqu’en 1965 va porter le jazz à son point d’incandescence maximale. « Trane », comme on l’appelait, sait qu’il a trouvé « l’instrument » de ses rêves : avec Steve Davis, puis à partir de 1961 Jimmy Garrison, contrebasse terrienne, robuste comme un mât de voilier. Avec McCoy Tyner, tout piano déployé pour assurer l’assise harmonique du groupe et pousser à la transe avec son irrésistible rouleau compresseur d’accords hypnotiques. Avec enfin ce Vulcain d’Elvin Jones, force motrice intarissable qui pousse avec une puissance inouïe, en un tourbillon polyrythmique, le saxophoniste vers le paroxysme. Au-delà de lui-même. « Je sens, confessera-t-il un jour, que je suis toujours obligé d’avancer et d’aller ailleurs. ». L’ère coltranienne peut commencer. Elle ne durera que sept ans. De bout en bout, la beauté y sera… Convulsive.
À partir de 1960, Trane ne va pas cesser de brûler les étapes pour s’y brûler finalement les ailes. Il met le jazz littéralement hors de lui. L’épreuve sera brutale et violente pour beaucoup d’amateurs. À la longue, trop de beauté, trop d’énergie, trop de souffrance ont quelque chose d’effrayant. Le miracle avec Coltrane est que le rêve ne vire jamais au cauchemar. La traversée de sa musique, encore aujourd’hui, s’éprouve comme une aventure euphorisante. On sort toujours ragaillardi de l’écoute prolongée de cette tornade fiévreuse. Épuisé, certes, mais jamais exténué, forcément heureux.
Avec les quatre nuits du Village Vanguard, son premier enregistrement live en 1961, on est saisi par sa rage d’expression et la force dionysiaque du souffle. Mais on est d’abord sidéré par la plénitude et l’amplitude du son. Sa tessiture dépasse les trois octaves ! Sonorité grandiose, douloureuse et sauvage qui savait, dans les ballades, devenir douce et puissante, voire brûlante comme le vent du désert. Les anches Rico choisies très dures n’expliquent pas tout. Surtout pas le mystère du son. «Il est avant tout magique, dira Steve Lacy, Il est d’une densité telle qu’on dirait du marbre de Carrare, si beau, si rare. ». Il est « magique » parce qu’il est propulsé à chaque seconde par une houle d’énergie inépuisable. Étrangement, c’est toujours avec un calme souverain que Trane habita cette furie lyrique en fusion.
Il y a dans sa musique une dimension mystique qui ne cessera de grandir. Quand il jouait, il semblait « possédé », comme l’écrira Miles. Il croyait que la musique pouvait guérir et arracher l’homme à sa misère humaine, trop humaine. Il savait de quoi il en retournait, lui qui avait au milieu des années 50 vaincu tout seul l’enfer de la drogue et fui les ravages de l’alcool. « Il était comme Bird, se souvient Miles Davis. Quand on est un génie de ce calibre, on voit et on vit les choses à l’échelle supérieure, c’est à dire à l’excès. On devient une espèce de monstre. » Au fil des ans, ce « monstre » est devenu un « ange » comme aimait à le répéter Elvin Jones.
Ce géant si doux n’a pas fait que transformer la musique de son temps. Il a bouleversé à jamais des millions de vies. À la fin, sa musique, survoltée par une tension surhumaine, n’était plus qu’un cri éperdu, entre terreur et extase. Ce forçat du ténor sacrifiera ses dernières forces à tenter d’accoucher de cette « cosmic music », embryon d’une musique sacrée universelle. L’exaspération de cette quête absolue trouvera avec « Ascension » son point culminant. Dans ses derniers albums, son chant furieusement libéré fera voler en éclats toutes les barrières, qu’elles soient harmoniques, rythmiques ou mélodiques. Pour inventer une musique incandescente qui n’aurait, enfin, plus de nom.
En larguant les amarres, Coltrane s’est fait chaman, artificier d’une musique effarée, hallucinée. Cela terrorisait sa mère: « Quand quelqu’un a vu Dieu, cela veut dire qu’il va mourir. ». Ce qui arriva en juillet 1967. Il n’avait que 41 ans. Au-delà d’une certaine ligne rouge, quand la raison s’affole définitivement, la musique peut devenir mortelle !
Né le 16 mai 1944 à Panama, Billy Cobham s’installe à New York avec sa famille là l’âge de 3 ans. Il débute la batterie lorsqu’il a 4 ans et sera accepté à la High School Of Music à 14 ans. Sa carrière débute avec des musiciens comme Joe Henderson ou Horace Silver, puis avec Miles Davis. Mais il se crée bientôt un style propre au début des années 70, très influencé par le Rock et le Funk. Il collabore ensuite, en compagnie du guitariste John McLaughlin au Mahavishnu Orchestra, qui mêle Jazz, Rock et Fusion. Il se distinguera en jouant avec un set de batterie comprenant de nombreux Toms et accessoires, rompant ainsi la tradition « jazz » du set minimaliste… Il termine sa carrière en enseignant la batterie dans son école, la « Billy Cobham School of Drums ».
Né à New York le 14 juin 1959, Marcus Miller débute à la clarinette avant de se fixer sur la basse. Son père joue de l’orgue à l’église et lui apprend quelques rudiments, mais c’est en autodidacte qu’il va étudier la basse. Il collabore avec Miles Davis, et enregistre notamment l’album « Tutu » en 1980. Cet enregistrement va lancer sa carrière. On le retrouve ensuite aux côtés d’artistes comme : Al Jarreau, Claude Nougaro, Aretha Franklin, Stanley Clarke.
D’origine hongroise et tchèque, Joe Zawinul est né à Vienne en Autriche, le 7 juillet 1932. Il débute en jouant de la musique traditionnelle tzigane à la trompette basse, mais il choisit finalement rapidement le piano. Il joue avec le saxophoniste Cannonball Adderley de 1962 à 1970 et se forge une solide réputation. Il rencontre Miles Davis avec qui il enregistre notamment l’album « Silent Way ». Au début des années 70, il fonde avec Wayne Shorter le groupe « Weather Report » qui rencontre un énorme succès. Il composera quelques grands succès comme « Mercy, Mercy, Mercy » ou « Birdland ». Bien qu’influencé par des pianistes classiques comme Nat King Cole ou George Shearing, Joe Zawinul développera un style très personnel et deviendra l’un des maîtres du synthétiseur.
Né le 25 août 1933 dans le New Jersey, Wayne Shorter est une figure très marquante du jazz Fusion. Également grand compositeur, il jouera dans des orchestres mythiques comme les « Jazz Messengers » (1959 à 1964), le quintet de Miles Davis (1964 à 1969) et sera l’un des fondateurs du célèbre groupe « Weather report » (1970 à 1985). Son quartet des années 2000 avec Brian Blade à la batterie, John Patitucci à la basse et Danilo Perez au piano est un modèle d’interaction et de musicalité. Ce quartet a enregistré « Footprints « en 2002 et « Alegria » en 2003.
Né à Chicago le 29 juin 1935, le tromboniste Julian Priester jouera encore adolescent dans des groupes de Blues comme celui de Muddy Waters. Il débute sa carrière au début des années 50, dans le Big band de Sun Ra, puis aux côtés de stars comme Dinah Washington, Lionel Hampton, Art Blakey, et fera même une tournée au sein de l’orchestre de Duke Ellington ! En 1970, il rejoint le groupe de Fusion de Herbie Hancock. A la fin des années 70, il s’installe à Seattle et y enseigne la composition à la Faculté jusqu’à sa retraite.
Né à Détroit, le 9 décembre 1932, Donald Byrd étudie à l’université avant de servir dans l’US Air Force au début des années 50. Il débute à la trompette aux côtés d’Art Blakey dans les « Jazz Messengers » et côtoie les meilleurs musiciens du Bebop et du Hard bop, comme Thelonious Monk, ou John Coltrane… Il forme son premier groupe en 1958 avec Pepper Adams et Herbie Hancock. C’est au début des années 70 qu’il va s’orienter vers le jazz Fusion, son album « Black Byrd » va être un énorme succès et sera vendu à plus d’un million d’exemplaires. Le titre de cet album va d’ailleurs inspirer le nom du groupe qu’il fonde en 1973 : « The Blackbyrds ». Il terminera sa carrière en s’intéressant au Rap.
Né le 11 octobre 1936 à Los Angeles, Billy Higgins joue déjà de la batterie à l’âge de 12 ans dans les orchestres du quartier. Rapidement remarqué par Don Cherry, il part en tournée. Puis c’est la rencontre avec Ornette Coleman en 1958. Batteur attitré du label Blue Note, il aura l’occasion de jouer et d’enregistrer avec une multitude de stars du jazz (Donald Byrd, Dexter Gordon, Joe Henderson, Herbie Hancock, Pat Metheny, Sonny Rollins, Thelonious Monk…). Au total, près de 700 albums !!
Contrebassiste incontournable de la période free Jazz, Charlie Haden est né le 6 août 1937 dans l’Iowa. Il débute sa carrière à la fin des années 50 avec Ornette Coleman, avec qui il jouera de nombreuses années. Il sera membre du premier trio du pianiste Keith Jarrett.
Un jeu simple (en apparence), un son ample et marqué, un esprit participatif et engagé (en musique comme en société), peuvent expliquer pourquoi il a connu un tel succès.
En 1969 il crée avec Carla Bley le Liberation Music Orchestra.
Dans les années 80 Charlie Haden va collaborer avec musiciens comme Michael Brecker, John Scofield…
Paul Bley est né le 10 novembre 1932 à Montréal. Il est considéré comme le pianiste majeur du courant Free Jazz, et il a influencé de nombreux pianistes comme Keith Jarrett…
En 1950 il s’installe à New York pour étudier à la Julliard School of Music. Il participe en 1959 à la création d’un trio qui va marquer cette période, avec Jimmy Giuffre (Clarinette) et Steve Swallow (contrebasse). Ce trio développe un concept nouveau d’improvisation collective libre, basé sur l’écoute. C’est l’un des premiers musiciens de jazz à employer le synthétiseur.
Né le 9 mars 1930 au Texas, Ornette Coleman aura un parcours plutôt contrasté et ne fera pas l’unanimité au début de sa carrière. Il devient l’un des chefs de file du courant Free, avec un album enregistré en 1960 « Free Jazz : A Collective Improvisation », qui fait entendre en stéréo, deux quartets, sans aucune préparation ni arrangements, avec un casting époustouflant ! (Don Cherry et Freddie Hubbard à la trompette, Ornette Coleman et Eric Dolphy au saxophone, Scott LaFaro et Charlie Haden à la contrebasse, Billy Higgins et Ed Blackwell à la batterie).
On revient au concept d’improvisation collective du jazz New-Orleans, mais avec un jazz d’avant-garde, sans aucune règle…
Né le 30 octobre 1930 à Wilmington dans le Delaware, Clifford Brown était un trompettiste original et novateur. Personnage très discret, il a pourtant joué avec les plus grands musiciens des styles Bebop et Hard bop des années 1940 et 1950, comme les trompettistes Miles Davis et Dizzy Gillespie ou le saxophoniste Charlie Parker… Il sera engagé dans l’orchestre des « Jazz messengers » d’Art Blakey. Son jeu à la fois lyrique et virtuose, influencera beaucoup de trompettistes, comme Freddy Hubbard, Lee Morgan ou même Wynton Marsalis. Il sera victime d’un accident de voiture à l’âge de 26 ans…
Né le 18 novembre 1936 à Oklahoma City, Don Cherry est le trompettiste emblématique du Free jazz. Il est l’un des premiers à incorporer dans le jazz, des influences des musiques traditionnelles du Moyen-Orient, d’Inde ou d’Afrique (Il étudie notamment le Bouddhisme tibétain à l’université). Il est l’un des membres de deux groupes importants des années 70 et 80 : « Old & New Dreams » et « World Jazz Codona ». Il sera pendant une longue période, le compagnon de scène d’Ornette Coleman et Charlie Haden. Il enregistre son premier album en 1961 avec John Coltrane. Un de ses albums les plus marquants est certainement « Relativity Suite » avec le Jazz Composer’s Orchestra.
Né le 30 septembre 1922 dans l’Oklahoma, Oscar Pettiford est le contrebassiste « phare » de la période Bebop. Il est aussi compositeur, et se distinguera en jouant également du violoncelle (en pizzicato et accordé en quartes, comme la contrebasse mais une octave plus haut), ce qui, à l’époque est tout à fait singulier… Il obtient son premier véritable engagement en 1942 dans l’orchestre de Charlie Barnet. Il formera en 1943, avec Dizzy Gillespie, un groupe de Bebop. Dans le même temps, il se formera en jouant chez Duke Ellington (De 1945 à 1948) et Woody Herman. Dans les années 50 il se produira surtout en tant que leader et ne quittera plus son violoncelle !…
Né le 2 septembre 1928 à Norwalk, Horace Silver est l’un des pianistes majeurs du style Hard Bop, mais aussi de la Soul Music. Il commence sa carrière comme saxophoniste (repéré par Stan Getz qui l’engage à ses côté). Il rejoindra rapidement New York où il adoptera définitivement le piano et s’affirmera comme compositeur. En 1953, il va fonder avec Art Blakey, le célèbre groupe des « Jazz Messengers », qu’il quittera en 1956 pour fonder son propre orchestre, qui, à l’instar des « Jazz Messengers », participera à la découverte de nombreux jeunes talents ! Son style est très inspiré de Gospel et de Blues.
Né le 22 avril 1922 dans l’Arizona, Charlie Mingus est un contrebassiste incontournable de l’histoire du « jazz moderne ». On sait moins qu’il débuta au violoncelle et qu’il fut également tromboniste et pianiste… Fort caractère et bagarreur, toute sa vie il fut un défenseur engagé de la cause antiraciste. Fasciné par la musique de Duke Ellington (chez lequel il jouera quelques mois en 1958), ses compositions sont très en avance et préfigurent nettement la période du « Free Jazz » qui viendra dans les années 60 et 70… Sa musique, souvent très énergique, puise dans le Gospel, le Bebop, le New-Orleans, le Third Stream, la musique classique. A partir de 1956 il enregistrera nombre d’albums mythiques sous son nom. : « Pithecanthropus Erectus », « Mingus Ah Um », « Mingus Dynasty »…
Né le 16 août 1929 dans le New Jersey, Bill Evans étudie le piano, le violon et la flûte. Il s’intéresse rapidement au jazz en écoutant des pianistes comme Bud Powel, Lennie Tristano ou Nat King Cole. Il passera 3 ans comme flûtiste à l’armée… Au début des années 1950, il sera remarqué par le compositeur George Russell. Il enregistre en 1956 avec son propre trio, et dévoile sa technique d’harmonisation novatrice. Il va ensuite intégrer de nombreux orchestres en tant que « Sideman », dont celui de Miles Davis pour le célèbre album « Kind of blue ».
C’est en 1959 qu’il fonde son fameux trio avec Scott LaFaro (à la contrebasse) et Paul Motian (à la batterie), avec un principe novateur qui consiste à dialoguer à 3 et non plus à se faire simplement accompagner par la basse et la batterie. On appelle ce système l’» Interplay ».
Fortement influencé par sa culture classique (Debussy, Ravel…), Bill Evans a révolutionné le jeu du trio et du piano jazz et a influencé nombre de pianistes qui l’ont suivi. Il sera victime de sa consommation excessive de drogues et décèdera en 1980 à 51 ans.
Né le 11 octobre 1919 à Pittsburgh aux États-Unis, Art Blakey était un batteur emblématique du style Hard Bop. Il a commencé sa carrière en 1935 en jouant du piano, mais il s’est rapidement mis à la batterie… Il créera en 1956 un orchestre nommé « Les Jazz Messengers » (Les messagers du jazz), dans lequel il engagera nombre de musiciens qui deviendront célèbres. Il dirigera cet orchestre pratiquement jusqu’à sa mort, le 16 octobre 1990. Il a joué et enregistré plusieurs fois à Paris (En 1958 et 1959 notamment). C’est un batteur au jeu énergique et coloré, qui fait souvent référence aux percussions africaines…
Né en Virginie le 6 mars 1918, George Sylvester « Red » Callender étudie le cor, la trompette, le tuba, puis la contrebasse qui deviendra (avec le tuba), son instrument de prédilection. Sa carrière commence en 1933, il débute avec des « stars » du jazz comme Louis Armstrong, Nat King Cole, Lester Young, Erroll Garner… A la fin des années 1940, il crée son propre orchestre. Il va être le bassiste attitré de nombreux studios d’enregistrement sur la côte ouest, son style versatile étant très apprécié. Il sera également acteur dans de nombreux films au cinéma ou à la télévision.
Quels sont les véritables noms qui se cachent derrière les surnoms ou les noms d’emprunt des musiciens de jazz célèbres ?
John Birks, Ferdinant Lamothe, Eleanora Fagan, William Bertholoff, Ruth Jones ; ces noms vous évoquent-ils des personnalités célèbres ?…
Certains surnoms ont parfois purement et simplement remplacé le nom d’origine du musicien (Comme « Jelly Roll Morton » par exemple), d’autres, rajoutés au nom, soulignent un trait de caractère, une addiction, une façon de s’habiller, une particularité physique. D’autres sont « Honorifiques » et vantent les qualités du musicien ou son aura dans la sphère du jazz (Duke, Count, King…)
Pop’s ou satchmo (satchelmouth) ou Dippermouth ———(Louis Daniel Armstrong) Surnommé ainsi à cause de la déformation de ses lèvres due à la mauvaise position de sa trompette…
Prez (« Le président)————————————————————(Lester Willis Young) Surnom donné par Billie Holiday
S’il est un pianiste et compositeur qui peut se prévaloir de l’héritage direct de Duke Ellington et Thelonious Monk, c’est bien Randy Weston…
L’héritage de ses maîtres (Ellington, Monk, mais aussi Earl Hines et Nat King Cole), mixé à son amour de la culture africaine, en font un des pianistes les plus originaux et créatifs de sa génération (Avec sans doute Errol Garner, Jacky Byard et Ahmad Jamal…).
Randy étudie jeune, le piano classique et la danse. Il sert pendant 3 ans dans l’US Army, de 1944 à 1947. A son retour à Brooklyn, il travaille dans le restaurant de son père, dans lequel défilent des stars du jazz… Il tombe littéralement amoureux de la musique de Monk, lorsqu’il l’entend jouer pour la première fois avec Coleman Hawkins.
Au début des années 50, il se rend à Lenox dans le Massachusets, où, en fréquentant Marshall Stearns, un historien du jazz au « Music Inn «, il étudie les règles de la musique africaine rapportées au jazz. C’est ici qu’il va écrire une de ses premières compositions : Berkshire Blues.
Fait de société ? Ostracisme machiste ? Si l’on excepte les vocalistes et quelques pianistes, les femmes instrumentistes renommées ne sont pas très présentes dans la musique de jazz. Et lorsque l’on parle d’arrangement, alors on peut dire qu’elles sont quasiment absentes… Et pourtant !…J’aimerais ici mettre en lumière l’incroyable talent pourtant si méconnu, de la tromboniste et arrangeuse Melba Liston.
A l’âge de 7 ans, sa mère, grande amatrice de musique, lui offre son premier trombone. Elle débute son apprentissage en autodidacte. A l’âge de 10 ans, la famille déménage à Los-Angeles, Melba étudie alors en compagnie de Dexter Gordon et Eric Dolphy ! En 1944, à 18 ans, elle intègrera le big band de Gerald Wilson… Elle joue ensuite en 1947 dans le big band de Dizzy Gillespie, où elle côtoie John Coltrane et Paul Gonsalves. Forte de cette expérience, elle rejoindra ensuite l’orchestre de Count Basie.
Né le 11 juin 1920 à New-York, Shelly Manne étudie le saxophone avant de se fixer sur la batterie. Il commence sa carrière comme batteur de Big Band (Benny Goodman, Woody Herman, Stan Kenton). En 1952, il s’installe en Californie, et commence à jouer avec toutes les stars de la côte ouest (Art Pepper, Jimmy Giuffre…). Le premier album sous son nom en 1953 « The West Coast Sound » va faire date et devenir une référence de ce style. Parmi ses collaborations importantes, on peut citer les « Poll Winners » avec Ray Brown et Barney Kessel, ou le « Shelly Manne & His Men » avec André Prévin (piano) et Leroy Vinnegar (basse).
Shelly Manne sera également un musicien de studio très apprécié. Il travaille pour le cinéma et la TV et composera même la musique de la série « Daktari ».
Alors, certains me diront : mais que vient faire un article sur Henri Salvador dans un blog de jazz ?
Eh bien ceux-là de toute évidence, ne connaissent pas l’album « Salvador plays the blues », enregistré en 1956 sous l’impulsion de Boris Vian.
Henri Salvador est catalogué (à juste titre, soyons honnêtes) comme chanteur fantaisiste, notamment au regard de la carrière qu’il a menée sous le pseudonyme d’Henry Cording, tant à la télévision qu’au travers de sa production phonographique, du milieu des années 50 jusqu’au milieu des années 70.
Il n’en reste pas moins, qu’à l’instar de Sacha Distel, il est l’un des grands guitaristes de jazz Français des années 50/60. Le style d’Henri se rapproche volontiers de l’esthétique de Django « électrique » (dont il était un fan absolu), celui de Sacha étant plus proche des « boppers » comme René Thomas ou Barney Kessel.
Né à Cayenne le 18 juillet 1917, Henri débarque avec toute sa famille en 1929 au port du Havre. Il chante en duo avec son frère aîné, André et se produit dans les cabarets Parisiens. En 1935, alors que le duo joue au « Jimmy’s bar », Django Reinhardt remarque Henri et l’engage aussitôt comme accompagnateur. Il sera ensuite recruté comme guitariste dans l’orchestre de Ray Ventura (L’oncle de Sacha Distel…tiens tiens…), qui le remarque alors qu’il est chanteur d’orchestre à Nice. Il y officiera de 1941 à 1945 et participera avec cet orchestre, à une grande tournée en Amérique du Sud.
Albert Mangelsdorff est né le 5 septembre 1928 à Francfort (en Allemagne). C’est un tromboniste très innovant, qui développe la technique particulière du double son (jouer une note et en chanter une autre simultanément). Il accorde une attention toute particulière aux sonorités et aux timbres. Sa musique se situe principalement dans l’expérimentation sonore, notamment avec le Globe Unity Orchestra. Sa carrière le fait collaborer avec un grand nombre de stars du jazz moderne (Elvin Jones, Jaco Pastorius…), bien qu’il ait choisi de ne pas s’installer aux Etats-Unis… En 1976, il débute parallèlement une carrière d’enseignant (improvisation jazz) à Francfort.
Né le 19 décembre 1929 à Kansas City, Bob Brookmeyer commence par jouer du piano au début des années 50 dans les big bands de Tex Beneke et Ray McKinley. Il se passionnera rapidement pour le trombone à piston. De 1954 à 1957 il collabore au quartet de Gerry Mulligan et joue avec le saxophoniste Jimmy Giuffre. En 1959 il enregistre un duo de piano avec Bill Evans. C’est alors, comme musicien de studio, qu’il s’intéresse à l’écriture et signe ses premiers arrangements. Il écrit de nombreux arrangements pour le « Thad Jones/ Mel Lewis Orchestra », dont il est le directeur musical.
Il fonde son propre big band en 1997 : le « New Art Orchestra », avec lequel il remportera de nombreux prix, et gravera quelques-unes de ses plus belles compositions. Il termine sa carrière comme enseignant à Boston, et il fonde même une école de musique en Hollande, qu’il dirigera pendant plusieurs années.
Né le 15 décembre 1934 à Détroit, Curtis Fuller est élevé dans un orphelinat. Il débute sa carrière en 1953 avec les frères Cannonball et Nat Adderley. Il jouera avec les plus grands noms du jazz des années 50 et 60, comme Miles Davis ou John Coltrane, notamment dans le célèbre album « Blue Train » qui resta une référence absolue du style Hard Bop. Sa discographie en tant que sideman est impressionnante ! Il possède un son de trombone très chaud et un phrasé délicat.
Paul Desmond (Paul Emil Breitenfeld de son vrai nom) est né le 25 novembre 1924 à San Francisco. Il étudie d’abord la clarinette, avant d’adopter le saxophone alto en 1950. Il rencontre en 1944 à l’armée, le pianiste Dave Brubeck, avec lequel il va former un octet. En 1951, ils créeront le « Dave Brubeck Quartet » qui remportera un très vif succès avec des compositions qui feront le tour du monde, comme le célèbre « Take Five ». Le quartet sera dissous en 1967. En marge, Paul Desmond travaille également avec beaucoup de musiciens de la West Coast et fonde son propre quartet avec le guitariste Jim Hall. Il décède prématurément à 52 ans d’un cancer du poumon.
Son jeu de saxophone très original à l’époque, à l’instar de celui de Lee Konitz, se démarque de celui de Charlie Parker par une sonorité très douce, où le vibrato est pratiquement absent.
Il est impossible de dresser une liste exhaustive et d’évoquer tous les banjoïstes qui ont contribués à l’histoire de cet instrument dans le jazz traditionnel, tant ils sont nombreux.
La plupart d’entre eux jouaient également de la guitare, car il est une idée reçue assez tenace qui consiste à penser que les orchestres à la nouvelle Orléans ne jouaient qu’avec un banjo et un tuba…
En fait, tout dépendait de la nomenclature du reste de l’orchestre et surtout des conditions de jeu ou d’enregistrement. Si le banjo a rapidement pris l’ascendant sur la guitare dans les orchestres des années 10 et 20, c’est parce qu’il était plus puissant, surtout en extérieur, et que lors des enregistrements (avant 1926/27 et l’invention du microphone), il était plus efficace en tenant également un rôle de percussion (la batterie étant à l’époque encore assez sommaire et difficilement enregistrable).
A la lecture de biographies diverses, de documents, de récits, on s’aperçoit que « l’âge d’or » du banjo dans le jazz se situe assez clairement entre 1917 (premier exode de musiciens de N.Orleans à Chicago) et 1930 (arrivée du swing et de la pulsation à 4 temps des big bands). Avant 1917, la guitare était majoritairement employée dans les orchestres (comme on le constate sur les photos des années 1910 ci-dessous).
On comprend également, que les orchestres de parades (Brass bands) qui étaient engagés pour jouer à poste fixe et qui ne pouvaient avoir un piano sur place, préféraient le banjo (souvent un 6 cordes) à la guitare, moins puissante…
Né le 7 septembre 1930 à New York, Sonny Rollins est l’un des musiciens les plus importants du jazz moderne des années 50 et 60, il est également un créateur prolifique. Ses compositions sont jouées par les jazzmen du monde entier (Oleo, Saint Thomas, Airgin, Doxy…). Il commence très jeune par étudier le piano, mais il choisit rapidement le saxophone. Il apprendra son métier auprès de musiciens bebop tels que Charlie Parker ou Thelonious Monk.
Il se fait rapidement un nom, et il est l’un des premiers à jouer en trio sans piano. Il est impossible de citer les innombrables célébrités du jazz avec lesquelles il a joué et enregistré… 65 ans de carrière ! Quelques-uns de ses albums indispensables : « Tenor Madness », « Saxophone Colossus », « Way Out West », « Freedom Suite »…
Né le 23 décembre 1929 à Yale en Oklahoma, Chet Baker est l’un des fondateurs du style Cool, ou West Coast. Sa famille s’installe en Californie en 1939, et après avoir commencé par le trombone, Chet travaille la trompette. Il est fasciné par Harry James et Lester Young. Engagé dans des orchestres militaires de 1946 à 1951, il découvre le Bebop et le jazz « savant » de Woody Herman et Stan Kenton. Charlie Parker, Dexter Gordon et Paul Desmond lui offrent ses premiers engagements. En 1952, il débute sa collaboration avec Gerry Mulligan et fonde un quartet inédit (sans piano ni guitare). Son style délicat et fragile, à la trompette comme au chant, en font une des icônes du jazz blanc des années 50.
Chet Baker aura eu toute sa vie des problèmes de drogue et il fera plusieurs séjours en prison… Il décède à Amsterdam en 1988, après être tombé de la fenêtre de sa chambre…
On a parfois du mal à reconnaitre le talent et l’influence d’artistes Français lorsqu’il s’agit de Jazz. S’il existe véritablement une « école » de jazz Français (qui remonte aux années 20, nous en reparlerons), il existe bel et bien une « école » d’écriture jazz en France, et André Hodeir en est assurément une des figures de proue.
Violoniste, arrangeur, compositeur, chef d’orchestre, pédagogue, écrivain, musicologue, André Hodeir est un artiste polymorphe, ce qui le place de facto dans la catégorie des « inclassables » (Voir notre article polémique…)
Disciple et admirateur de Charles Delaunay et Hugues Panassié (fondateurs de jazz Hot en 1935), il s’éloignera cependant de ce dernier (à qui il avait dédié en 1945 son premier ouvrage « Le jazz cet inconnu »), à l’arrivée du Bebop en France en 1948.
Musicien et musicologue érudit, compositeur et arrangeur aventureux, l’apport d’André Hodeir au jazz « moderne » et à son écriture, est tout aussi important que les travaux de musiciens comme George Russell, Gil Evans, ou Gunther Schuller, qui firent émerger le « third stream » (lire l’article sur le répertoire du jazz) dans les années 50.
Né le 10 octobre 1917 en Caroline du nord, Thelonious Monk est le pianiste et compositeur le plus emblématique de la période Bebop. Ses deux parents sont pianistes, et la famille s’installe à New York lorsqu’il est âgé de 4 ans. Après avoir débuté au violon puis à la trompette, il étudie le piano classique et remporte même plusieurs concours amateurs.
Réformé de l’armée pour des motifs psychiatriques, il fonde son premier orchestre en 1937. Il devient le pianiste attitré du Minton’s Playhouse, où se déroulera la révolution du Bebop. Il y joue en compagnie de Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Bud Powel (autre grand pianiste Bop) et tant d’autres.
Malgré le fait que cette jeune génération, à laquelle il appartient à l’époque, ait un profond respect pour les anciens, Monk dira : « Il faut créer quelque chose qu’ils ne puissent pas jouer … » Sous-entendu : les musiciens de jazz Swing, avec lesquels la rupture est alors totale.
Le jeu très particulier de Monk, et son approche singulière de l’harmonie, influenceront fortement la musique Bop. Même si sa carrière a du mal à décoller et malgré le fait qu’il soit un pianiste souvent décrié, Monk reste un génie du piano jazz et de la composition.
Il aura souvent des problèmes de drogue, qui lui vaudront par 2 fois la suppression de sa carte de travail. A partir de 1972 et jusqu’à son décès en 1982, il jouera moins. Son dernier album en tant que leader est enregistré en 1968 avec le Big Band d’Oliver Nelson : c’est un pur chef d’œuvre…
Né le 29 août 1920 à Kansas City, Charlie Parker (surnommé « Bird » en raison de son goût immodéré pour le poulet, et de son jeu « agité » comme le vol d’un oiseau) est sans doute le musicien le plus emblématique du style Bebop. Au début des années 40, avec Dizzy Gillespie, il jette les bases du jazz moderne. Dès l’âge de 11 ans, il étudie le saxo en autodidacte, aidé par Buster Smith. Il obtiendra son premier engagement de professionnel dans l’orchestre de Jay Mc Shann en 1937.
En 1939 il s’installe à New York et y rencontre toute la jeune garde du jazz, avec laquelle il va créer ce nouveau style, basé sur des rythmes plus complexes, une harmonisation plus riche et tendue. Charlie Parker se produira en France en 1949, à la salle Pleyel notamment. Cette même année, il enregistrera avec un ensemble à cordes. Cet enregistrement lui apportera la consécration et la reconnaissance du grand public. Il décèdera très jeune, à l’âge de 34 ans, des suites d’une consommation démesurée de drogue…
Né en 1926 au Tennessee, Jimmy Cleveland débute le trombone à 16 ans dans le groupe familial ainsi que dans celui de l’université où il étudie. En 1949, Lionel Hampton lui offre son premier véritable engagement. Dans les années 50, il se produit dans diverses formations à New York, avec Quincy Jones, Gil Evans, Gerry Mulligan, Miles Davis, Sonny Rollins, Charlie Mingus… Très influencé par son mentor J.J Johnson, son style de trombone très technique et son jeu fluide font de lui le tromboniste Bebop par excellence !
Né le 10 janvier 1924, Max Roach passe son enfance à Brooklyn. Sa mère est chanteuse de gospel, et il ne tarde pas à jouer de la batterie (après avoir essayé le bugle) dans plusieurs groupes de gospel. En 1941, tout juste diplômé de la « Boys High School » il fait un court passage dans l’orchestre de Duke Ellington. Il commence alors à fréquenter les clubs de la 52ième rue. Lui et Kenny Clarke, révolutionnent le tempo à 4 temps en faisant à présent le « chabada » sur la grande cymbale ride (pendant la période swing des années 30, celui-ci se faisait sur les cymbales charleston). Max fut l’un des premiers batteurs à marquer les accents sur la grosse caisse pour souligner la mélodie, faisant sortir d’un coup son instrument du simple rôle d’accompagnateur…
Il fut le batteur attitré de la plupart des sessions bebop avec Dizzy, Parker, Monk, Miles… En juin 1956, un terrible accident de voiture fit perdre la vie à deux des membres de son quintet : Clifford Brown et Richie Powell (le frère de Bud). Max en fut très affecté. Pendant les années 60, très investit dans la cause afro-américaine, il est « boudé » par l’industrie du disque, mais il enregistre en 1962 avec Charlie Mingus et Duke Ellington, un album iconique « Money Jungle ». Max finira sa vie en étant professeur à l’université du Massachusetts.
Né le 7 octobre 1911 à Chicago, Jo Jones est surnommé « Papa Jo » car il est considéré comme le père de la batterie moderne. Il est le premier batteur à avoir réellement développé le tempo swing sur la pédale charleston (apparue vers la fin des années 1920). Il débute sa carrière comme trompettiste, pianiste et danseur à claquettes !
Finalement fixé sur la batterie, il jouera dans l’orchestre de Count Basie de 1934 à 1948 et sera sans aucun doute l’un des principaux artisans du succès de l’orchestre, que l’on qualifiera rapidement de « machine à swing ». A la fin des années 1950, il fonde son propre trio avec lequel il enregistrera en 1958, un disque qui marquera l’histoire de la batterie jazz (on peut l’entendre y jouer des balais de manière absolument unique). Il a accompagné un nombre impressionnant de stars du jazz.
De tout temps, le « star système », engendré et entretenu par les médias (Presse, radio, TV), a fait et défait des carrières, orientant souvent celles-ci vers tel ou tel aspect de la personnalité des artistes mis en lumière. Parfois, les artistes eux-mêmes se sont laissé entraîner par le tourbillon de la célébrité, mettant plus ou moins volontairement en « sourdine » une des facettes de leur talent, pour en accentuer une autre…
Count Basie, Nat King Cole trio, Duke Ellington
Quand on parle de Duke Ellington, on pense surtout au génie de la composition et de l’orchestration.
En Count Basie, l’on reconnait un exceptionnel chef d’orchestre, qui est invariablement associé à son Big Band, formidable et unique « machine à swing ».
Nat King Cole, quant à lui, est définitivement catalogué comme le chanteur « Crooneur » du siècle, titre honorifique qu’il partage avec Frank Sinatra.
Cependant, ces trois stars du jazz ont un point en commun :
Ce sont tous des pianistes majeurs de l’histoire du jazz, dont on a souvent oublié l’importance et l’influence sur les générations de pianistes qui les ont suivis.
Né le 21 mai 1904 à New York, le pianiste et compositeur Thomas « Fats » Waller est un des musiciens les plus influents de la période « swing » des années 1930. Pianiste virtuose de style « stride », il apprendra son métier auprès des plus grands pianistes du moment, comme Willie the Lion Smith ou James P. Johnson.
Il a composé plusieurs centaines de morceaux qui sont devenus des standards de jazz. Il a influencé des pianistes comme Count Basie, Art Tatum ou Thelonious Monk. Ses talents d’amuseur voire de pitre, on malheureusement souvent occulté son génie musical. Il décèdera d’une pneumonie à l’âge de 39 ans.
Additif à l’article sur Benny Carter, suite aux nombreuses questions concernant l’enregistrement de Saxomania avec Benny Carter.
Cet album enregistré au Théâtre des Champs-Elysées le 4 janvier 1988, fut le premier d’une longue série avec Saxomania, un septet créé par Claude Tissendier, qui comprenait 2 saxes alto, 2 saxes ténors et une rythmique. Nous avons par la suite, enregistré des albums avec Phil Woods, Clark Terry, Guy Laffitte, entre autres (et accompagné nombre de vedettes Américaines comme Herb Geller ou Lew Tabakin…)
Lors de cette séance, il était prévu que le batteur de Duke Ellington (de 1955 à 1966), Sam Woodyard (qui était venu à Paris dans les bagages de Gérard Badini pour y finir ses jours), joue quelques morceaux avec l’orchestre et Benny Carter. Malheureusement, le trac (eh oui) ou l’alcool (ou les deux), l’ont empêché de se joindre à nous et il est resté prostré à écouter en bas de l’estrade… Il est décédé quelques mois plus tard, le 20 septembre 1988.
Sam Woodyard était en France depuis la fin des années 70, et on le croisait souvent dans les clubs, on jouait même avec lui de temps en temps (Bon sang quel drive !! même fatigué, même saoul comme un cochon…).
J’ai encore un souvenir incroyable à son sujet. Cela devait être en 1979 ou 1980, je jouais au piano avec mon tout premier trio, dans un club de la rue Dauphine à Paris « le Sélénite », avec Marc Bertaux à la basse et un copain de lycée à la batterie. Nous venions de terminer la soirée, vers 1h du matin, les copains étaient partis et je discutais avec ma maman qui était venue nous écouter. Lorsque débarque Sam Woodyard, à moitié saoul évidemment, deux baguettes dépassant de la poche arrière de son jean, vociférant, vraisemblablement quelques jurons intraduisibles… Il sort ses baguettes et hurle: « I WANNA PLAY ! I WANNA PLAY !”. Il se plante devant moi et avec son doigt, m’invite (euh ! ce n’est pas le bon terme…), m’intime l’ordre de filer au piano. J’avais 19 ans et j’étais terrifié ! Il se met à la batterie et commence à jouer le tempo tout seul. Voyant que je restais pétrifié devant le piano, il lança un titre : « « A » Train !!! ». Je m’exécutais bien sûr, jouant comme je pouvais et lui, chantant le thème derrière moi et me gratifiant de quelques « good boy ! good boy ! »… Nous avons joué peut-être pendant une heure en duo, uniquement des thèmes de l’orchestre de Duke, pratiquement seuls dans le club, ma mère médusée et le barman agacé, qui finira par nous mettre dehors…
Comme on dit : « c’est comme ça que le métier rentre » !… Ah ! Ah !
Le but de ces petits portraits, est de vous faire découvrir des arrangeurs moins connus, mais qui ont apporté au jazz, par leur charisme ou leur personnalité. Quand il s’agira de stars, alors nous irons explorer la face cachée des artistes, ou une facette méconnue… J’ai déjà une liste en tête, mais vos idées sont les bienvenues !
Benny Carter Bennett Lester Carter 8 Août 1907 N.Y – 12 Juillet 2003 L.A
Benny Carter est connu comme instrumentiste de grand talent, mais sa contribution importante à la naissance du big band au milieu des années 20 et sa science de l’arrangement, sont pour moi les facettes les plus intéressantes de sa personnalité de musicien.
Ce saxophoniste et trompettiste, curieux et boulimique, jouera dans nombre d’orchestres prestigieux, n’y restant parfois que quelques semaines… Fletcher Henderson, Duke Ellington, Chick Webb, Benny Goodman… En 80 ans de carrière il sera tour à tour, selon les périodes et les opportunités qui lui sont offertes, musicien, directeur musical, chef d’orchestre, arrangeur, compositeur pour le cinéma ou la TV, enseignant.
Benny est né en 1907, d’un père guitariste et d’une mère pianiste et organiste, ses deux cousins sont également musiciens (Theodore Bennett, trompettiste et Darnell Howard, clarinettiste).
Dès son plus jeune âge, sa mère lui enseigne le piano. Un peu plus tard, impressionné par le jeu de Bubber Miley, il achètera un trompette, mais il l’échangera contre un C melody sax (sax en Ut), qu’il troquera finalement contre un sax alto !
C’est en Août 1924 que les choses sérieuses commencent. Il est engagé successivement par le trompettiste June Clark, les «Billy Paige’s Broadway Syncopators », avec lesquels il joue au Capitol de New-York, et les « Lois Deppe’s Serenaders ».
De 1925 à 1931, il jouera successivement avec Horace Henderson (le frère de Fletcher), Billy Fowler, James P.Johnson, Duke Ellington, Fletcher Henderson, Charlie Johnson. Il créera son propre orchestre en 1928 pour jouer à l’Arcadia Ballroom de New-York. Il reviendra finalement chez Fletcher Henderson, qui a surtout besoin de lui comme arrangeur, car le Big band se développe, la demande est énorme et les ballrooms engagent à tours de bras.
Il fournira à cette époque un grand nombre d’arrangements majeurs de l’orchestre de Fletcher. C’est également à cette époque qu’il développe sa verve d’arrangeur inventif pour la section de saxophones, et qu’il impose le sax baryton comme cinquième anche dans la section. Le « standard » de la section de saxes du Big Band ne changera plus.
D’un point de vue technique, le baryton va doubler le sax alto lead (la première voix de la section), renforçant la mélodie à l’octave inférieure, mais Benny Carter a d’autres idées en tête et va être l’un des premiers arrangeurs (avec Duke Ellington) à écrire à 5 voix pour les saxes ! Il va « élargir » la section en n’écrivant plus uniquement en « close voicings » (accords serrés), utilisant le baryton comme « libéro », le faisant jouer tantôt une cinquième voix, tantôt doubler le lead, ou bien soutenir la contrebasse en lui faisant doubler des fondamentales. Il ouvre la voie, au tout début des années 30, à l’écriture moderne. Des arrangeurs comme Quincy Jones ou Thad Jones lui doivent beaucoup.
Toujours durant les années 30, et on le sait peu, il va écrire de nombreux arrangements pour… Duke Ellington ! Et pour d’autres, comme Fletcher Henderson ou Benny Goodman, pour les plus connus.
En mars 1931 il rejoint l’orchestre de Chick Webb qu’il quitte au cours de l’été pour devenir directeur musical des « Mc Kinney’s Cotton Pickers », tout en jouant régulièrement avec Don Redman et FletcherHenderson. A partir de septembre 1932, il va à nouveau diriger un orchestre dont le casting est impressionnant : le trompettiste Bill Coleman, le tromboniste Dicky Wells, les saxophonistes ténors Ben Webster et Chu Berry, le pianiste Teddy Wilson et les batteurs Cozy Cole et Sidney Catlett. Cette formation sera dissoute à la fin de 1934.
Les années qui vont suivre vont le faire beaucoup voyager, notamment en Europe où il va séjourner quelques temps. Paris, Londres, une tournée en Scandinavie (où il gère un orchestre international en 37), pour finir à Paris où il dirige l’orchestre du Bœuf sur le toit, avant de retourner aux États-Unis en mai 38.
Il va alors remonter un Big Band pour animer le Savoy Ballroom à New-York. Puis lors d’une tournée qui le fait passer à Los Angeles, il décidera de se poser quelques temps pour travailler à Hollywood, où il aura l’opportunité d’écrire des arrangements pour le cinéma (Stormy Weather, entre autres…) et un peu plus tard pour la TV. Il est l’un des premiers musiciens afro-américains à travailler dans les studios d’Hollywood, et (avec Nat King Cole) à pouvoir résider à Beverly Hills… Au milieu des années 40 il va remonter un big band (son dernier), dans les rangs duquel on trouvera des musiciens comme Max Roach, JJ Johnson ou Miles Davis…
Benny Carter est également à cette époque, un des musiciens « piliers » de l’orchestre du J.A.T.P (jazz at the Philharmonic), avec lequel il fait de nombreuses tournées.
L’essentiel de son activité durant les années 50 et 60 s’effectue à Los Angeles, où il est surtout arrangeur et directeur musical. Il écrira des arrangements pour Louis Armstrong, Ray Charles, Peggy Lee, Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan…
Dans les années 70, il entame une nouvelle carrière, d’avantage axée vers l’enseignement. Il va pendant cette période, enchaîner les résidences dans les universités.
Preuve de l’incroyable production de Benny Carter : à l’occasion de son 75ème anniversaire, la radio New-Yorkaise WKCR diffusera 177 heures de ses enregistrements en continu !
Il sera actif (ne jouant plus que du saxophone) pratiquement jusqu’à la fin de sa vie. Il décèdera le 12 juillet 2003 à Los Angeles.
Voici un lien intéressant pour sa discographie qui vous permettra de constater l’étendue de la production de ce musicien exceptionnel, récompensé par 3 Grammy Awards et finalement très peu connu du grand public.
J’ai eu la grande chance de côtoyer ce géant du jazz dans les années 80/90. Plusieurs tournées, notamment avec Saxomania et un bel album enregistré au Théâtre des Champs-Élysées en 1988. Comme la plupart des « grands » du jazz, il était d’une grande humilité, bienveillant et dans un partage permanent.
de gauche à droite: Stan Laferrière, Nicolas Montier, Benny Carter, François Laudet, Pascal Chebel.
Un de mes meilleurs souvenirs de jeune arrangeur, lorsque j’étais le pianiste et co-arrangeur (Avec François Biensan) du Big Band de Gérard Badini, fut un concert mémorable au festival de Juan-Les-Pins. Il s’agissait pour le big band, de faire un concert retraçant l’histoire du jazz en invitant pour chaque morceau, une légende du jazz… Ainsi, de mémoire, nous avons accompagné : Claude Luter, Benny Bailey, La Velle, Clark Terry, Benny Carter, Phil Woods, Johnny Griffin, Diane Reeves, Archi Shepp… J’en oublie sans doute. J’étais chargé d’écrire des arrangements ou de faire des transcriptions pour tous ces prestigieux invités…
Je n’oublierai jamais le moment où à la balance, Benny Carter est monté sur la scène pour écouter l’arrangement que l’on m’avait demandé d’écrire sur une de ses magnifiques ballades « Evening Star ». Il s’est assis sur un tabouret de bar à côté du piano, et a demandé à ce que l’on joue le morceau… Puis il est venu près de moi et m’a dit à l’oreille : « Great job Stan ! Thank you so much ». J’ai retrouvé le fax qu’il avait envoyé à Gérard Badini et où il mentionne: « Stan can do what he likes with the arrangement, and I will be happy if he chooses to surprise me with his concepts » … Quel témoignage incroyable, à plus de 80 ans, de sa curiosité et de son ouverture d’esprit…
Si l’on excepte les récentes commémorations de la guerre 1914-1918, à l’occasion desquelles l’amnésie du monde du jazz a soudainement joui d’une rémission opportune, il faut bien avouer que James Reese Europe fait partie des musiciens méconnus de l’histoire du jazz, au moins pour le grand public…
Il existe sans doute des raisons à cela ; notamment le fait qu’il n’est pas un « pur » jazzman et que sa carrière se situe plutôt dans ce que l’on pourrait appeler : la période de gestation du jazz (grosso modo 1890-1915).
Le but de ces petits portraits, est de vous faire découvrir des arrangeurs moins connus, mais qui ont apporté au jazz, par leur charisme ou leur personnalité. Quand il s’agira de stars, alors nous irons explorer la face cachée des artistes, ou une facette méconnue… J’ai déjà une liste en tête, mais vos idées sont les bienvenues !
Martin Louis « Marty » Paich
(23 Janvier 1925 – 12 Août 1995)
Contemporain de Neal Hefti ou Sammy Nestico ; Marty Paich est sans aucun doute un arrangeur sous-estimé et assez méconnu du public, y compris chez les jazzmen…
Pourtant, ce pianiste, compositeur, arrangeur, producteur et chef d’orchestre Américain dont la carrière dura près de 50 ans, a côtoyé des artistes comme Franck Sinatra, Barbara Streisand, Sarah Vaughan, Stan Kenton, Ella Fitzgerald, Ray Charles, Aretha Franklin, Neil Diamond, Stan Getz, Sammy Davis Jr, Michael Jackson…
Marty débute la musique de bonne heure par l’étude de l’accordéon, instrument qu’il délaisse rapidement pour le piano. Il fonde son premier groupe à l’âge de 10 ans. Après des études à la Mc Clymonds High School, il fréquente plusieurs écoles de musique : le Chapman College, l’Université d’état de San Francisco, et enfin le conservatoire de musique de Los Angeles, où il obtient une maîtrise de composition en 1951. Il étudie également avec de grands maîtres comme Mario Castelnuovo-Tedesco et Arnold Schoenberg.
Sa première véritable commande en tant qu’arrangeur sera pour l’orchestre de Pete Rugolo.
Pendant la seconde guerre mondiale, le jeune Marty Paich dirige des orchestres militaires pour soutenir les troupes, à l’instar de Glenn Miller, mais il n’en tirera pas la même gloire que son aîné ! … 😉
Il travaille ensuite à Los Angeles, dans l’enregistrement, comme accompagnateur, directeur artistique et arrangeur. Il collabore avec des artistes comme Shorty Rogers, Anita O’Day, Terry Gibbs, Shelly Manne ou Peggy Lee.
Durant la dernière partie de sa carrière, à partir de la fin des années 60, il collabore à des projets plus commerciaux, comme chef d’orchestre de studio pour la télévision. Il devient alors le « coach » de son fils David Paich, qui deviendra un musicien reconnu avec le groupe Toto.
Marty décède à 70 ans à son domicile de Santa YnezLos Angeles…
La couleur de la musique de jazz qu’il laisse, est fortement teintée du style « West Coast » des années 50 dont il sera un des chefs de file, mais Marty possède une culture musicale phénoménale ! Adepte de la rythmique épurée, sans instrument harmonique (piano ou guitare) ses arrangements sont d’une pureté, d’une limpidité, d’une logique et d’une efficacité redoutables. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il a choisi le batteur Mel Lewis pour quasiment l’intégralité de la discographie de son « Dektette », tant il affectionne la sobriété de l’accompagnement pour mettre en valeur des ensembles de cuivres sophistiqués.
Le chanteur, pianiste et arrangeur Mel Tormé, lui a confié les arrangements de 90% de ses albums ! une collaboration de près de 40 ans !
J’ai volontairement choisi Marty Paich pour inaugurer cette série de portraits d’arrangeurs de jazz, car c’est la découverte de sa musique vers l’âge de 17 ans, et notamment de l’incontournable album qu’il écrivit en 1959 pour Art Pepper « Art Pepper + Eleven », qui m’a donné l’envie de me lancer dans l’étude et la pratique de l’écriture jazz… On peut dire que Marty Paich est un de mes mentors !…
NB : Paich est un peu le « Hitchcock » du jazz. A l’instar du réalisateur qui apparait dans tous ses films, parfois même de façon presque subliminale, Paich glisse dans chacun de ses arrangements, une citation de standard de jazz ou de chanson de variété ; c’est un peu sa signature ! Amusez-vous à essayer de les repérer ! 😉
A écouter :
Art Pepper + Eleven » les standards du bebop arrangés à la sauce « west coast » avec un Art Pepper au sommet ! à l’alto, au ténor, comme à la clarinette.
Le but de ces petits portraits, est de vous faire découvrir des musiciens moins connus, qui ont apporté au jazz, par leur charisme ou leur personnalité. Quand il s’agira de stars, alors nous irons explorer la face cachée des artistes, ou une facette méconnue… J’ai déjà une liste en tête, mais vos idées sont les bienvenues !
S’il est des personnages emblématiques de l’histoire du jazz, auxquels la postérité ne rend pas suffisamment hommage, Bix Beiderbecke en fait assurément partie…
Né le 21 octobre 1917 en Caroline du sud, Dizzy Gillespie (John Birks de son vrai nom), débute le piano à l’âge de 4 ans, son père lui enseigne les bases de la musique. Il décide de devenir trompettiste en entendant Roy Eldridge à la radio. Jeune musicien, il jouera dans plusieurs formations à New York : Chick Webb, Cab Calloway, Chu Berry, puis Duke Ellington. Mais son style devient bientôt très original, et au contact des jeunes musiciens de la 52ième rue, il va finir par créer avec quelques autres (Charlie Parker, Thelonious Monk…), un nouveau style de jazz qui tranche avec le swing de l’époque, entraînant dans son sillage des musiciens comme Miles Davis ou Max Roach.
A la fin des années 40, il préfigure ce que sera le jazz Afro-Cubain. Avec son Big band, il enregistre en 1947 sa célèbre composition « Manteca ». Reconnaissable entre tous, avec son style acrobatique, ses joues gonflées et sa trompette coudée, musicien enjoué et blagueur, Dizzy se présentera même aux élections présidentielles en 1964 !
Né le 21 septembre 1914 à Englewood dans le New Jersey, Slam Stewart est connu pour avoir créé en 1937 un duo unique avec le pianiste et guitariste Slim Gaillard« Slim and Slam ». Il a également développé une technique consistant à jouer ses solos à l’archet en se doublant avec sa voix. Il a accompagné les plus grands musiciens de la période swing, comme Lester Young, Fats Waller, Coleman Hawkins, Benny Goodman, Errol Garner etc…
Né le 4 août 1901 à la Nouvelle-Orléans, le trompettiste et chanteur Louis Armstrong est l’une des figures les plus marquantes de la musique de jazz, dont il est sans nul doute l’un des créateurs. Il popularisera également une technique d’improvisation vocale appelée « Scat » (chanter sans paroles, avec des onomatopées). Durant un placement en maison de correction à l’âge de 12 ans, Louis apprend seul à jouer du cornet. Il est très doué, et à sa sortie en 1914, il sera vite engagé dans de nombreux orchestres à la Nouvelle-Orléans, notamment celui de King Oliver.
Ses orchestres les plus célèbres sont le « Hot Five », et le « Hot Seven » à Chicago dans les années 1920, et le « All Stars » dans les années 1950. Louis jouait toujours avec un mouchoir à la main, pour s’essuyer les lèvres, que sa mauvaise position de jeu avait déformées, d’où le surnom de « Satchmo » (abréviation de « Satchel mouth » : bouche en sacoche) qui le suivit pendant toute sa carrière.
Né le 25 décembre 1886 dans une plantation en Louisiane, Kid Ory était un tromboniste Créole de la Nouvelle-Orléans. Il dirigea l’un des tout premiers orchestres de jazz dans les années 1910, dans lequel il engagea de grands musiciens comme King Oliver ou Louis Armstrong. En 1922, il est le premier musicien noir à enregistrer un disque de jazz. Il fut également un acteur très important de la période du Dixieland « revival » des années 1940.
Né le 14 mai 1897 à la Nouvelle-Orléans, le clarinettiste et saxophoniste Sidney Bechet peut être qualifié de prodige musical, tant il a marqué de son empreinte le jazz traditionnel. Clarinettiste à ses débuts, il va découvrir à Chicago le saxo soprano, qui correspond davantage à son caractère de leader. Cet instrument va lui permettre également de développer son célèbre vibrato.
Forte tête et bagarreur, il ne restera jamais bien longtemps dans les orchestres qui l’engagent. Duke Ellington le gardera seulement 3 mois en 1924 ! Il s’installe en France en 1949 et y restera jusqu’à sa mort en 1959. Il composera son morceau le plus célèbre « Petite Fleur » en 1952.
Né le 20 octobre 1890 à la Nouvelle-Orléans, Jelly Roll Morton (Ferdinand Joseph Lamothe, de son vrai nom), était un pianiste très influent à la naissance du jazz. C’était un personnage particulier et excentrique (il s’était fait incruster deux diamants sur ses dents de devant). Il était parfois détesté mais toujours respecté. Il prétendait qu’il était « L’inventeur du jazz », ce qui n’était pas totalement faux ! C’était d’ailleurs inscrit sur ses cartes de visite !
Ce pianiste a révolutionné le rythme du ragtime, pour le transformer en jazz, en y ajoutant des syncopes notamment. Jelly Roll était aussi un très grand compositeur. Son orchestre le plus fameux s’appelait les « Red Hot Peppers » et se produisait à Chicago dans les années 1920.
Né le 25 janvier 1891 à St James Parish en Louisiane, le contrebassiste Wellman Braud dirigeait des orchestres dans le quartier de Storyville à la Nouvelle-Orléans, avant de partir pour Chicago en 1917. Au début des années 1920 il rencontre Duke Ellington, qui l’engage. Wellman Braud dont le jeu est très varié, développera et popularisera plusieurs techniques de contrebasse.
Il joue d’abord à l’archet, puis il sera l’un des premiers bassistes à utiliser le « Slap » (Tirer sur les cordes pour les faire claquer). Enfin, il sera le premier à développer la technique de la « walking bass » (jouer tous les temps) ce qui fait de lui le précurseur de la contrebasse moderne…
Né le 14 mai 1898 à Bunkie en Louisiane, le batteur Zutty Singleton est surtout connu pour avoir joué dans les diverses formations de Louis Armstrong, dont le célèbre « Hot Five ». Il a également joué avec Fats Waller, Jelly Roll Morton, Sidney Bechet…
En 1951, il grave un solo de batterie d’anthologie : « Drum Face », qui fera date dans l’histoire de la batterie jazz. Si l’on parle de batterie de style « New-Orleans », il faut également citer Sidney Catlett et Baby Doods, qui sont aussi de très grands batteurs de cette période.
Né le 30 janvier 1911 à Pittsburgh, le trompettiste Roy Eldridge est un musicien important de la période swing des années 1930/1940. Il débute à la batterie, puis se tourne rapidement vers la trompette. Sa carrière se lance réellement lorsqu’il s’installe à New York en 1930. Il y joue notamment avec Fletcher Henderson, Billie Holiday, Gene Krupa, Artie Shaw…
Il affectionne les grands orchestres, mais c’est dans les tournées du J.A.T.P (Jazz at the philarmonic) qu’il va révéler tout son talent d’improvisateur. Son style est très coloré, inventif, expressif et parfois acrobatique ! Il a influencé nombre de trompettistes de la génération suivante, dont Dizzy Gillespie, qui dit de lui qu’il est le lien essentiel entre la tradition et la modernité.
Né le 27 août 1909 à Woodville dans le Mississipi, Lester Young, surnommé« Prez » (le président) est, avec Coleman Hawkins, l’un des deux musiciens qui ont révolutionné le jeu de saxophone dans le jazz. Ils ont ainsi influencé de près ou de loin, tous les saxophonistes des générations suivantes. Après avoir débuté comme batteur (son frère Lee Young est d’ailleurs un excellent batteur), Lester se consacre entièrement au sax ténor.
Il s’installe à Kansas City en 1933, où il sera remarqué par Count Basie, qui l’engage dans son orchestre en 1936. Il se lie d’amitié avec Billie Holiday et le pianiste Teddy Wilson, avec lesquels il enregistrera de nombreuses fois. De retour du service militaire, il intègre les tournées du J.A.T.P (Jazz at the philarmonic) où il a l’occasion de jouer avec Charlie Parker et Nat King Cole. Il décède prématurément an 1959… Le jeu de Lester Young, aérien et tout en finesse, tranche avec celui de Coleman Hawkins, plus viril et puissant.
Né le 20 août 1905 à Vernon, le tromboniste Jack Teagarden étudie successivement le piano, le saxhorn, puis le trombone. Ses parents et ses frères et sœurs sont tous musiciens. Il commence à jouer professionnellement à l’âge de 13 ans. Il va se produire avec les meilleurs musiciens du moment : Louis Armstrong, Benny Goodman, Bix Beiderbecke, Hoagy Carmichael… La consécration arrive lorsqu’en 1947, Louis Armstrong l’engage dans son « All Stars », au sein duquel il restera 4 ans. A partir de 1951, il dirige son propre « all stars ». Mais Jack a une santé fragile, et une pneumonie l’emporte en 1964.