Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil
LOUIS ARMSTRONG : Le grand fauve enroué du jazz universel
Louis Armstrong : 4 août 1901 à la Nouvelle-Orléans – 8 juillet 1971 à New York
Et si un coup de pistolet tiré en l’air la nuit du Nouvel An 1913, dans les rues de la Nouvelle-Orléans, avait tout simplement décidé de l’avenir du jazz ? Pour ce geste, un gamin de douze ans fut envoyé dans une institution à mi-chemin entre l’orphelinat et la maison de correction. C’est là, grâce aux leçons d’un certain Peter Davis, que Louis s’initia à la musique sur un cornet cabossé. Sans ce coup de revolver à blanc, que serait devenue la musique noire ? On en frémit rétrospectivement
À l’orée du siècle, le surgissement d’Armstrong sur la scène naissante du jazz a opéré une révolution aussi décisive que celle qui sera plus tard ouverte par Charlie Parker, puis John Coltrane. Quand Louis débarque en 1922 à Chicago, les jeux étaient loin d’être faits. Le jazz encore adolescent hésitait entre deux tentations : la solution « symphonique », rococo et mielleuse, pompeusement orchestrée façon Paul Whiteman (qui s’était autoproclamé « King of jazz ») et la réponse « hot » avec sa joyeuse polyphonie spontanée et un peu brouillonne, façon King Oliver. À la tête de son Hot Five, puis Hot Seven, en quelques éclats de cornet, puis de trompette, Louis règle très vite le dilemme. Il impose « sa » voix dans toute sa superbe singularité. Il « invente » le solo et le soliste, trouve des formes neuves de l’improvisation, enfin délivrée du carcan collectif.
C’est à Louis que le jazz doit d’avoir atteint à l’universel. Improbable alchimiste qui transforma sans le savoir le cuivre en or, Armstrong fut d’abord un explorateur du son. Son premier génie, ce fut de donner à chaque note une attaque, puissante et tranchante, mais aussi une altération, une durée, une hauteur et une intensité qui en font à chaque fois un instantané explosif d’émotion. Sa sonorité, tout à la fois dure et pure, avec ses vertigineuses ascensions dans l’aigu, ouvre, découvre tout à coup un nouveau monde.
Comme tous les géants du jazz, Satchmo s’impose aussi comme un maître du silence, cet instant d’espérance qui n’est pas du vide, mais toujours, en suspens, la promesse d’un supplément de musique. En trouvant sans chercher une certaine façon de poser les notes sur les temps, en déroulant des phrases idéalement équilibrées, jamais trop longues, jamais trop courtes, en improvisant des découpages rigoureux, il a été le premier jazzman à doter ses solos d’une logique et d’une architecture irréfutables. Doué d’un sens naturel de la mise en place, il fut enfin l’inventeur du « swing ». Avant lui, tout le monde jouait « raide » ; avec lui, tous les musiciens jouaient mieux. « À la trompette, a dit un jour Miles Davis, on ne peut rien jouer qui ne vienne de lui, pas même les trucs modernes ».
Rarement artiste, sorti d’un misérable ghetto, aura autant pesé sur la musique de son siècle et son avenir. Tout ce qu’il joue brille d’une allégresse solaire. Tout ce qu’il chante de sa voix éraillée, rocailleuse, voilée d’un halo de chaleur, dit avec une totale sincérité tous les émois du cœur. Avec Louis, c’est l’homme qui souffle et qui chante, mais c’est toujours la musique qui parle et qui triomphe. Armstrong sait comme personne colorer une note d’un vibrato poignant, l’attendrir d’inflexions douces et la hisser aux cimes du sublime. La force d’Armstrong est d’avoir su s’élever tout seul au-dessus des modes et des formes, renverser la barrière des styles pour réaliser la perfection d’une musique nouvelle qui va incendier tout le siècle.
Si Louis Armstrong fut un authentique révolutionnaire, il ne fut jamais en revanche un révolté. Paradoxe : celui qui fut le premier « jazz messenger » ne se considérait pas comme un « jazzman », encore moins un créateur ou un précurseur, mais comme un simple « entertainer », dévoré par l’inextinguible besoin de plaire. Jamais sa joie de vivre ne l’empêcha d’être tout au long de sa carrière fidèle à une certaine idée, presque austère, du professionnalisme. Pourquoi ? Sa surprenante définition du jazz en fait foi : « gagner ma vie ».
Mais l’important chez lui est ailleurs. Jamais cet « amuseur public » ne s’est une seule fois autorisé à tricher ou plaisanter avec la musique et ses enjeux artistiques. Parce que sa grande passion fut toujours le public, « la chose la plus importante pour laquelle on puisse vivre. On m’accuse souvent d’être un clown, répondra-t-il à ceux qui lui reprochaient ses grimaces, ses yeux qui roulent et son « oncle-tomisme ». Mais c’est merveilleux un clown. Rendre les gens heureux, les entendre applaudir, c’est cela le vrai bonheur. » Et le public lui rendit son amour au centuple en faisant à cet ambassadeur du swing, sans la moindre éclipse en un demi-siècle, toujours la même fête.
Louis Armstrong, génie malgré lui ? Sans doute. Mais c’est à « ce grand fauve enroué » (Henri Guillemin) qui, entre deux éclats de rire, passa sa vie à jongler avec les étoiles que l’on doit que cette rustique musique folklorique néo-orléanaise ait réussi si vite à devenir planétaire.
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Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).
DUKE ELLINGTON : L’architecte de la Great Black Music
Duke Ellington : 29 avril 1899 à Washington DC – 27 mai 1974 à New York
À un journaliste obséquieux qui ne cessait de le qualifier de « cinéaste génial », Orson Welles eut cette réponse définitive : « Les vrais génies du XX° siècle ne sont pas des cinéastes, ni des peintres, des savants ou des écrivains. Ce sont des musiciens de jazz, comme Duke Ellington. » Oui, sans aucun doute, Duke fut un génie. S’il n’a inventé ni le jazz ni le grand orchestre, on lui doit d’avoir porté l’un et l’autre à un degré d’incandescence créatrice exceptionnel. « Je pense, a dit Miles, que tous les musiciens de jazz devraient se réunir un certain jour de l’année et s’agenouiller ensemble pour rendre hommage à Duke ».
Pourquoi serait-il juste de célébrer chaque année un tel homme ? Parce qu’Ellington incarne à lui seul un siècle de jazz. Mieux encore, son œuvre immense, irrémédiablement moderne, est essentielle au jazz. Plus qu’aucune autre, elle représente, au sens esthétique mais aussi diplomatique, le génie et la beauté inépuisables de la musique afro-américaine. Fils d’un majordome à la Maison-Blanche, petit-fils d’un mulâtre né en esclavage, Duke s’est imposé comme « le » musicien américain du siècle, même si certains lui préfèrent Aaron Copland ou Charles Ives. À l’instar de Gershwin, il est le pivot de l’identité américaine, tout en s’affirmant avec fierté comme l’héritier d’une culture noire douloureusement enracinée dans l’obscurité de la mémoire. « Je veux faire la musique du Noir américain », telle fut son ambition.
Ce dandy charismatique fut un grand séducteur. Mais cet homme à femmes n’aima vraiment d’une passion physique inépuisable que la musique. « Music is my Mistress », tel est le titre de ses mémoires. D’une élégance souvent tapageuse, d’une courtoisie un peu lointaine, ce parfait gentleman avec ce sourire de Bouddha accroché à ses lèvres, manifesta un calme toujours olympien face aux vicissitudes de la vie infernale de chef d’orchestre. Parrain bienveillant, il sut, sans jamais hausser le ton, imposer respect et autorité à cette bande de clochards célestes et d’ivrognes invétérés qu’était son big band. « Le pianiste de l’orchestre » (comme il se présentait sur scène), était un meneur d’hommes très distingué. Quelques que soient ses frasques, il répugnait à congédier un musicien qu’il avait lui-même choisi. Quand ce dernier souhaitait quitter quand même l’orchestre, il se contentait de dire : « il reviendra ». Et de fait, il revenait presque toujours.
Son art savant de la maïeutique fut de révéler à eux-mêmes tous ses musiciens, ses « prime done » comme il s’amusait à les appeler. Son génie fut aussi d’accepter de se laisser construire par eux. Entre le maître et ses compagnons, l’échange fut incessant. Comme personne, il savait réveiller leur personnalité profonde, leur parole la plus singulière. Qu’il s’agisse de Johnny Hodges avec sa tête de condamné à mort quand il s’avançait sur scène pour délivrer le plus suave des solos. Ou de Paul Gonsalves qui titubait jusqu’au micro pour enchaîner vingt-sept chorus de feu et de folie, comme il le fit à Newport en 1958. C’est par tendresse pour ses chers solistes qu’il aimait tant leur écrire des compositions sur mesure. « Si vous prétendez composer pour un musicien, disait-il, vous devez tout savoir de lui. Jusqu’à sa façon de jouer au poker. »
Ceci explique que devenir « ellingtonien », c’était toujours pour un musicien l’assurance d’atteindre sa plénitude. Ceci explique l’étonnante fraternité des pupitres, magnifique et trop rare modèle de démocratie réalisée. Ceci explique enfin la sonorité unique de l’ensemble ducal. Quelles que soient les époques, on retrouve toujours la même griffe sonore, la même identité musicale, un secret aujourd’hui à jamais perdu depuis la mort du Maître. Le véritable exploit du Duke Ellington Orchestra, c’est d’avoir été pendant plus de cinquante ans tout à la fois l’œuvre, l’atelier et l’artiste lui-même.
Compositeur prolifique et infatigable (plus de deux mille œuvres à son actif !), artificier du blues essentiel, mélodiste hors pair, il fut aussi, on ne le dit pas assez, un immense pianiste. Formé à Washington à l’école du ragtime, dès son arrivée en 1922 à New York, cet enfant du stride s’est nourri de l’influence des grands maîtres du piano harlémite. Pas de doute, Duke est l’un des grands poètes du clavier bien coloré. Ses audaces harmoniques et rythmiques n’ont rien à envier à celles de Thelonious Monk ou de Cecil Taylor. Style musclé et chaloupé, toucher percussif, puissant mais jamais violent, sonorité ronde et profonde, maîtrise des dissonances, science du jeu en pédales, Duke est décidément le plus moderne des pianistes. Toute sa carrière, il dirigera depuis le clavier, jonglant avec les notes pour que sa musique virevolte sans cesse du piano aux pupitres.
Le génie ducal et son mystère, c’est d’avoir su donner cet élan créatif perpétuel dans le cadre obligé d’un orchestre de revue, longtemps voué à la danse, en se mettant toujours en situation de danger et de liberté. Luxuriance des arrangements, alchimie des alliages sonores et des dosages de timbres, richesse inégalée du développement rythmique, sens inouï de la dramaturgie musicale (ses « suites » en font foi), la musique de Duke s’écoute et se goûte comme une variation obsessionnelle sur la naissance de la lumière et de la couleur. Du style « jungle » de ses débuts, à l’exotisme voluptueusement sublimé, jusqu’à la sérénité des « Concerts Sacrés » de la fin de sa vie, se dessine une courbe idéale, sans le moindre hiatus ni faiblesse. Avec comme seul credo : « It Don’t Mean AThing If It Ain’t Got That Swing ».
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Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).
DJANGO REINHARDT : L’étoile filante dans le grand bleu des « Nuages »
Django Reinhardt : 23 janvier 1910 à Liberchies (Belgique) – 16 mai 1953 à Samois/Seine
À une femme naïve qui s’étonnait qu’il ne sache pas lire la musique, Django répondit pince-sans-rire : « Pourquoi ? Cela s’entend ? » Et d’ajouter avec superbe : « Je ne connais peut-être pas la musique, mais la musique, elle, me connaît. ». Toute sa vie, toute sa musique le prouve avec éclat.Au commencement, il y a Django. Dans la langue des Manouches, ce prénom rare signifie : « je réveille ». Explorateur d’un monde nouveau et inventeur d’un langage devenu l’expression identitaire de toute une communauté, Django Reinhardt, c’est d’abord cet « accident génial » (selon les mots de Franck Ténot) dû à la collision improbable de deux trajectoires : une histoire et un destin, une musique jeune venue d’outre-Atlantique et un artiste neuf issu d’un peuple nomade. De cette rencontre naîtra au début des années 30 ce que l’on a d’abord appelé « l’école tsigane du jazz » avant de devenir aujourd’hui le jazz manouche.
Manouche par le sang et Français par le cœur, fantasque, extravagant et imprévisible, célèbre par ses foucades, absences et retards, joueur et grand seigneur, Django fut d’emblée ce génie lumineux, le premier « guitar hero » de tous les temps et sur tous les temps. Un géant dans le siècle. Génial, parce qu’inexplicable. Magique par sa manière unique de marier avec désinvolture les contraires : le charme et la violence, la volubilité et l’économie, la rigueur rythmique et la fantaisie mélodique. Il y a un « son Django », immédiatement reconnaissable, que Cocteau appela « cette guitare à voix humaine ».Une voix si forte, si présente qu’elle reste toujours un mystère.
La musique de Django fut tout de suite nouvelle et sera jusqu’à sa mort toujours renouvelée. Fruit d’une patiente évolution, d’une perpétuelle remise en question du guitariste par lui-même, elle semble naître du plus souverain dédain pour tout ce qui a pu la précéder. Elle invente dans l’instant sa propre légitimité en refusant tous les pièges de la réminiscence. Toujours se surprendre, jamais se répéter, telle fut sa règle d’airain.
L’ironie de l’histoire a voulu que ce grand libérateur soit trop souvent célébré par des partisans de la servilité. Dans la famille des « héritiers », on trouve tous les cas de figure : les épigones plagiaires, les revivalistes intégristes, les « copycats » (comme disait Lester Young ) chez qui le culte de la répétition va toujours de pair avec la répétition du culte. Heureusement, aujourd’hui le risque de « folklorisation ethnique » du jazz gitan semble enfin évité par tous ces guitaristes (principalement Biréli Lagrene) qui préfèrent la référence à la révérence, l’évolution à la dévotion. Tous ces « disciples » indisciplinés sont pour beaucoup dans le retour de flamme du jazz manouche. Comme l’a écrit Cioran : « Peuple authentiquement élu, les Tsiganes ne portent la responsabilité d’aucun événement ni d’aucune institution ; ils ont triomphé de la terre par leur seul souci de n’y rien fonder. » À l’exception de cette « invention » imprévisible, le seul apport vraiment original que la vielle Europe ait offert au jazz : la musique de Django.
Etre engagé en 2005 par la Musique de l’Air de Paris pour créer et diriger un Big Band, fut pour moi une expérience et une opportunité fantastiques. J’avais jusqu’alors dirigé les Big Bands des autres (François Laudet, Gérard Badini, Claude Bolling etc…) et dirigé mon propre Tentet. Mais être à la tête d’un Big Band de jeunes et très talentueux musiciens, avec deux répétitions par semaine, m’a permis de faire véritablement un travail de fond, et de tester mes concepts …
Ce premier opus enregistré quelques mois seulement après la création de l’orchestre, fait entendre une selection d’arrangements originaux écrits entre 1982 et 1995 sur des standards de jazz, mais aussi de la chanson Française … Des tubes qui ont bercé mon adolescence ! « J’ai encore rêvé d’elle » du groupe « Il était une fois », « Belle Île en Mer » de Laurent Voulzy, ou « A Bicyclette » de Francis Laï … Seul le « Tickle Toe », hommage au maître Quincy Jones, est transcrit et adapté de la version de Quincy, mais les saxes sont écrits à 5 voix et pas 4, et j’ai ajouté un tutti personnel avant le double tutti originel …
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Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).
CHARLIE PARKER : L’Oiseau du feu du Bebop
Charlie Parker : 29 août 1920 à Kansas City – 12 mars 1955 à New York
« Bird lives ». Tel est le graffiti qui fleurit sur les murs de New York en mars 1959 dans les jours qui suivirent la mort de Charlie Parker. Intuition prophétique pour affirmer que sa musique continuerait longtemps à incendier, bouleverser, fasciner, terroriser, paniquer, inspirer les générations à venir. Plus de 50 ans après sa disparition, sans aucun doute, « Bird lives ». En osant tous les débordements, en usant de tous les excès, Parker a réussi à gagner aujourd’hui une jeunesse éternelle, universelle.
Son surnom de Bird n’est pas, comme on pourrait le croire, une métaphore ornithologique heureuse, inventée après coup pour caractériser la dimension aérienne de son jeu. Plus prosaïquement, il vient du jargon militaire. Quand Charlie était à l’armée, on l’appelait « yardbird », le « bleu », le bidasse condamné aux travaux obligés de balayage de la caserne. Le génie de Parker, c’est d’avoir su retourner ce sobriquet humiliant en titre de noblesse ; mieux, le transformer en ligne de vie : cet autodidacte et infatigable travailleur, ce clochard pas toujours céleste deviendra cet oiseau capricieux et imprévisible qui repoussera avec une déraison rieuse tout le champs des possibles pour réinventer l’avenir du jazz, bien au-delà du seul be-bop. Que les choses soient claires : Charlie Parker est le plus fulgurant improvisateur de l’histoire du jazz, Improviser, c’est pour lui explorer, exploiter et trouver, dans l’espace d’un seul instant, du neuf et de l’inouï en un geste radical, toujours recommencé de création spontanée.
Mais en quoi Parker est-il vraiment unique et innovateur ? Par un souffle magique et tragique, un sens du blues immense et inconsolable. Mais aussi par l’acidité du son d’alto que l’on reconnaît à sa première note, sonorité débordante d’énergie, coupante comme du silex sur les tempos ultra rapides. Par la diversité prodigieuse de ses accentuations, par la précision de son placement de notes à l’intérieur d’une mesure, dans le déploiement d’une pensée mélodique en mouvement perpétuel. Par la rigueur de son phrasé qui, même saturé de notes, s’exprime en toute limpidité.
Il faut ne pas hésiter à le répéter : Bird est génial partout et tout le temps, quels que soient ses partenaires et environnements. Il ouvre le jazz à la polytonalité et libère l’improvisation en génie de la paraphrase. En avance sur les conceptions harmoniques et rythmiques de son époque, il s’affirme à jamais par l’urgence vitale et la puissance expressive de son cri. « Le chant du rossignol en sang », selon la belle formule de Marc-Edouard Nabe. Conscient de son génie, mais de plus en plus amer de ne pas être vraiment compris, il conspirera très tôt contre lui-même avec beaucoup d’acharnement et choisira en toute lucidité suicidaire de brûler ses ailes de géant. Le monde n’était pas assez large pour recevoir son trop plein d’énergie créatrice.
Tout ce qu’il joua, à partir de 22 ans, quand il quitta Kansas City pour « monter » à New York, fut marqué par la grâce. Quand ce démiurge improvise sur un standard pour le métamorphoser aussitôt, on se demande toujours comment on aurait pu jouer ce morceau autrement. Il nous fait à chaque fois croire que ce qu’il joue est simple, alors que c’est d’une incroyable complexité. Vitesse prodigieuse et logique parfaite des enchaînement des idées, tout est déjà en place pour que jaillissent les étincelles de son inépuisable intuition. Grâce à sa propre méthode de partition intérieure, il sait et entend ce qu’il va jouer sans bouger un seul doigt.
Avec son saxophone, Parker a entretenu toute sa vie une relation très particulière, détachée de tout fétichisme. Être musicien était pour lui bien autre chose que d’être instrumentiste. Son alto, il ne cessait de l’oublier, le perdre, le mettre au clou pour s’acheter sa dose d’héroïne. Combien de fois s’est-il présenté à un concert ou à une séance d’enregistrement sans le moindre instrument. Il fallait alors en emprunter en catastrophe Et, à chaque fois, le même miracle se réalisait : le son était toujours le même.
Force de la nature, ce champion hors catégorie de l’intempérance et de l’abus était d’une résistance physique phénoménale. Cet ogre dévora la vie avec une violence d’appétit démesurée. Mais le colosse avait des pieds d’argile. Comme l’a dit son alter ego et ami Dizzy Gillespie : « Il a été trop fragile pour durer. C’est terrible d’être un Noir dans cette société. Si vous laissez toutes pressions et oppressions vous atteindre, elles vous entraîneront à la dérive, et vous y laisserez votre peau ».
Ce qu’il fit le 12 mars 1955, en succombant à une hémorragie foudroyante, à New York, dans une suite du Stanhope Hotel où logeait la baronne Nica de Koenigswater. Le médecin, venu constater son décès, estima l’âge de Parker autour de 55 ans. Il n’avait pas encore 35 ans ! À l’instant exact de sa mort, dans un éclat de rire en regardant une émission de télévision, aux dires de Pannonica, il y eut dans le ciel de Manhattan un énorme coup de tonnerre. À l’annonce de sa disparition, tous les musiciens avaient compris qu’une aventure s’était belle et bien terminée. Celle du bop, météore incandescent qui bouleversa totalement le paysage du jazz.
Je vous livre ici une expérience qui en 2000, a quelque peu chamboulé ma vie d’arrangeur et d’orchestrateur. J’assistais cette année-là, invité par François Théberge au CNSM de Paris, à un master class du compositeur pianiste et tromboniste à pistons Bob Brookmeyer. Il était venu faire jouer sa musique au big band du conservatoire.
A l’écoute de son « King Porter 94 », arrangement original sur le célèbre « King Porter Stomp » de Jelly Roll Morton(composé en 1909 et enregistré la première fois en 1923), et des explications qu’il donna sur la façon dont il avait construit un nouveau morceau à partir de quelques séquences du morceau original, j’ai tout simplement été bouleversé…
J’ai compris tellement de choses ce jour-là, et la courte, mais très riche relation épistolaire que nous avons entretenue par la suite, m’a tellement apporté, que j’avais envie de vous faire partager cette expérience et le travail de fond sur mes concepts d’écriture, qui en a découlé …
Après avoir digéré un peu le choc du master class, je décide donc, au prétexte d’exercice, de m’atteler à un travail similaire à celui que Bob avait effectué avec King Porter Stomp.
Au boulot !
Mon choix se porte sur un morceau simple et archi rabâché : « In A Mellow Tone », morceau que j’ai déjà à l’époque, arrangé des dizaines de fois…. Cette mélodie composée par Duke Ellington en 1939, est en fait un riff qui reprend les harmonies de « Rose room », un standard composé en 1917 par Art Hickman & Harry Williams.
Je commence alors par ré écouter de multiples versions, pour finir par extraire 3 motifs à partir desquels je vais travailler. Ces motifs vont servir de base à mon travail. Ils seront récurrents, développés, et constitueront le lien entre le morceau de Duke et ma composition.
Une chose sur laquelle avait insisté Bob, c’est que pour être sincère lorsque l’on compose ou arrange, il faut travailler le plus possible en faisant abstraction de la théorie, en essayant d’intérioriser ses idées et de les développer au maximum. Il avait aussi expliqué qu’il écrivait de façon « Impressionniste », langage qui avait tout de suite résonné en moi, qui n’avais jamais pris de cours d’arrangement… Je considère donc le travail que je m’impose alors, comme une sorte de réminiscence consciente et organisée, au sein de laquelle je vais tenter d’insérer mes idées mélodiques et harmoniques… Le boulot s’annonce colossal, inédit et aventureux pour moi à l’époque, mais je suis ultra motivé, galvanisé même…
Je décide de donner le titre de : « MELLOWTONE 2001 »
Le morceau sera enregistré par le « Vintage Orchestra » en 2005, dans l’album « Weatherman ».
Le choix des motifs (souvenez-vous, il s’agit d’un riff, donc de séquences très courtes) s’est porté sur :
Motif 1 (M1) : La première phrase du thème de Duke, utilisée en entier ou partiellement, avec ou sans le rythme original.
Motif 2 (M2) : La phrase de la dernière ligne du thème de Duke, utilisée avec les intervalles exacts ou légèrement différents, avec ou sans le rythme original.
Motif 3 (M3) : L’intro du Duke, avec ou sans le rythme original.
Ces 3 motifs seront développés dans A et reviendront après le tutti, dans la réexposition et la longue coda.
Je décide d’insérer un thème de plus ou moins 32 mesures (B) avec une progression de degrés qui pourrait faire penser (de près ou de loin) au thème d’origine. Celui-ci était un riff, j’imagine alors un riff (motif répété) chromatique. Les harmonies de ce thème serviront de support aux solos (Voir le thème et la grille plus bas).
Plan général
A : Longue intro développée (M1, M2)
A44 : Inter
A72 : Intro du Duke ré-harmonisée (M3)
B : Thème de 32 mesures A.B.A.C (riff chromatique)B25 à B27: M2. B29 à B31 : M1
B32 : Inter et citation de l’intro originale M3
C : 3 grilles de Solos de tp, avec des backgrounds sur les 16 dernières mesures
D : Long tutti cresh. Finissant ff. Transition : batterie solo
E : Expo du thème original M1 cité de façon ré harmonisée, dans l’intégralité de ses 16 premières mesures (fills de batterie)
E17 : Mix du thème original M1(tb’s/baryton) et du riff chromatique (thème B)
E26 : Coda. Paraphrase du riff chromatique, M3 et fin sur M1
Vous avez à votre disposition pour suivre cette étude :
Le morceau complet avec le score défilant et les indications de motifs et de lettrage, dans la vidéo ci-dessous. (Signalisation des motifs M1, M2, M3 en ROUGE, et des indications de lettres et numéros de mesures en JAUNE)
L’audio simple complet du morceau (en dessous de la vidéo)
Un audio partiel entre chaque paragraphe explicatif.
Construction, harmonisation et orchestration
L’harmonisation générale du morceau tourne autour de voicings en quartes et secondes, d’accords de m7+5 (ou m7add b6), m7b9, de chromatismes (Mélodie et enchainements d’accords) et de pédales.
Ces éléments harmoniques et mélodiques récurrents, créent le climat général de l’arrangement. Des lignes mélodiques « claires » (le thème, les inters et les tuttis) viennent apporter l’équilibre, et parfois, apaiser les tensions …
Intro : Cette très longue intro (85 mesures de A à B) développe les 3 motifs tirés du thème de Duke (M1, M2, M3). Le big band est utilisé un peu comme un orgue qui joue une sorte de choral autour des 3 motifs principaux, pour planter le décor en quelque sorte. Les instruments entrent tout d’abord en « canon » et en binômes (tp1 et 2/ ténor 1 et 2/ tb1 et 2/ tp4 et tb3/ tb4 et baryton), en utilisant la version la plus courte de M1. Ce motif est développé pendant 16 mesures, avec de longues tenues d’unissons, jusqu’à un carillon en triolets de noires (« tuilage » entres les sections) descendant sur 4 mesures, et remontant ensuite, harmonisé en quartes superposées.
Après 8 mesures de transition de batterie, le M1 revient (en entier cette fois A31 et A41) avec les tp’s à l’unisson, soutenues par les tb’s et les saxes qui eux, n’utilisent que partiellement le motif.
A44 est une transition où l’on entend les 13 soufflants en « paquets » pour la première fois depuis le début du morceau et ce, jusqu’à A60. Ce passage fait entendre de grosses nuances, en alternance de p et de f(la tonalité du morceau s’installe en Db).
A60 : passage où le M1 est à nouveau entendu très clairement (le voicing d’arrivée fait référence à un accord « fétiche » du langage de Duke : Eb79/11, qui fait entendre la tierce et la quarte en tension, la quarte étant la mélodie. Tout l’accord descend ensuite d’un demi-ton, sauf la mélodie, pour aboutir sur un D79/#11).
2 binômes (2tp’s/2 altos) se dégagent alors dans un moment de calme, pour faire entendre une première fois le M2(en « questions/réponses » avec le reste de l’orchestre, pour aérer le discours).
Les 14 mesures entre A72 et A85 sonnent la fin de cette longue introduction. On cite ici dans une nuance ff et pratiquement « dans le texte » l’intro originale du Duke M3, en la ré-harmonisant sérieusement. D’abord les cuivres en paquets, puis le piano seul (la première voix suit le dessin du motif original, les voix du dessous évoluent chromatiquement), pour enfin entendre une dernière fois le M2.
B : Thème original en forme de riff chromatique, sur la forme 32 mesures A.B.A.C (comme le thème de Duke)
Joué à l’unisson tp harmon/soprano/piano, ce thème utilise une progression d’accords qui n’est pas tout à fait étrangère à la grille d’origine.
L’orchestration de ce thème est assez simple ; des backgrounds de saxes et de tb’s viennent soutenir la mélodie jouée à l’unisson. Le piano joue seul la dernière ligne (B25).
B32 est une transition en clusters assez tendus, reprenant les chromatismes du thème et le M3. Une pédale de Ab sur 17 mesures, amène le solo de tp.
C est un long solo de tp de 3 x 32 mesures. Les 16 dernières mesures sont accompagnées par un background de tb’s harmonisés à 4 voix en close voicings dans le médium. Le tb basse s’écarte à C59 pour faire entendre des fondamentales, les 3 autres jouant alors plutôt en intervalles de quartes.
D est un tutti de 35 mesures qui commence sur une nuance douce (la rythmique joue « in 2 » à la blanche, pour installer un climat plus tranquille). Les tp’s jouent à l’unisson, soutenues par des backgrounds de tb’s et de saxes (la tp4 lâche parfois l’unisson pour rejoindre le background ou jouer à l’unisson avec le soprano).
Ce tutti monte en puissance depuis le début jusqu’à la séquence de D25.
Sur D25, j’utilise de grosses quintes en pédale (les tb’s, le baryton et la basse) sur lesquelles se superpose la mélodie jouée à 3 voix parallèles par les 4 tp’s doublées par 4 saxes (une quarte et une seconde majeure, et lead doublé à l’octave inférieure). Ce système, que j’appelle de façon imagée : « gladiator » ou « berger bulgare », termine ce tutti en ramenant decrescendo la nuance à un piano.
Une transition de 8 mesures de batterie amène à la réexposition du thème.
E : Les 16 mesures de E et E9 sont une citation légèrement extrapolée et ré harmonisée des 16 premières mesures du thème original de Duke Ellington. 3 tp’s jouent le thème à l’unisson avec un back de 3 tb’s en quartes. Le tout étant doublé par le soprano, l’alto et les 2 ténors. A E10 le voicing est gonflé par la tp4, le tb basse et le baryton.
E17 est une sorte de synthèse et de justification de tout ce qui a été énoncé précédemment dans le morceau. Je superpose ici le thème de Duke (tb’s et baryton à l’unisson) sur le thème chromatique de B.
E26 est une coda. Le principe d’orchestration reste le même ; 3 ou 4 tp’s à l’unisson doublées par le soprano avec un background. On cite le thème chromatique pour finir sur l’intro de Duke (M3) et clore le morceau avec M1 qui est en quelque sorte l’argument principal de cet arrangement. L’accord final est un empilage de quartes sur basse de Db.
L’emploi du piano et de la guitare
La guitare est clairement utilisée pour doubler des parties de lead, et ne joue jamais « en dehors » de la section. Dans l’intro par exemple, elle soutient toutes les entrées en « canon » et en assure donc le « liant » et l’homogénéité. Elle est discrète, mais vient apporter une enveloppe très intéressante, notamment lorsqu’elle double les trompettes. Elle intervient uniquement de manière monophonique.
Le piano quant à lui, double des parties de façon monophonique (parfois avec la guitare d’ailleurs), mais peut également doubler des parties harmonisées, comme les saxes à A32. Il va aussi jouer des parties en solo comme à A76 ou B25, et assurera l’accompagnement du solo de trompette.
L’emploi de l’unisson
Beaucoup de parties sont jouées à l’unisson dans cette orchestration. Entre instruments de même section (au début de l’introduction par exemple), entre le lead trompette et le lead alto (toute la partie à A55), entre la Tp4 sourdine harmon, le soprano, le piano et la guitare (sur le thème de B), entre le Tb basse, le piano et la contrebasse (B41), parfois même entre des voix intermédiaires qui prennent le relais de la mélodie (Tp2 et Alto2 à B46).
L’emploi des sections
On constate ici que les sections jouent rarement au complet en homorythmie. Ces sections sont fréquemment disloquées, notamment pour former des binômes avec des instruments des autres sections. Ici, on est loin du « big shout » classique. J’utilise plusieurs fois l’effet « carillon » ou « canon » en formant une fois encore des binômes.
L’emploi des nuances
Les nuances donnent vie à la musique. Bob me disait : « Les nuances dans un morceau, c’est comme un électrocardiogramme, ça doit monter et descendre. S’il n’y a pas de nuances, c’est que le morceau est sans vie, qu’il est mort » …
Le présent morceau fait entendre de multiples nuances, duppau ff, parfois on passe de l’un à l’autre très rapidement comme à A44. Parfois le crescendo s’opère sur plus de 30 mesures, comme de D à D25. Souvent, les nuances sont plus ou moins naturelles, car imposées par la hauteur du son. Une phrase « montante » va souvent générer une nuance crescendo, une phrase « descendante », un decrescendo…
Conclusion
Voilà ce que je pouvais dire sommairement 22 ans après, sur ce travail qui a considérablement enrichi mon vocabulaire et qui m’a ouvert de nouvelles voies !… J’ai beaucoup progressé depuis, grace à l’écriture de cette composition (et des nombreux exercices d’écriture que je m’impose régulièrement depuis 1980), notamment sur le développement des idées, l’intériorisation des couleurs et des lignes (je n’ai qu’un oreille « relative » et pas « absolue »). Je ne renie pas « artistiquement » ce morceau pour autant.
J’ai tout naturellement dédié cette composition à Duke Ellington, une de mes références absolues en matière d’écriture et d’orchestration, et à Bob Brookmeyer, qui a été un révélateur, et reste un de mes mentors …
Nicolas Folmer est un trompettiste, compositeur, arrangeur et pédagogue de premier plan. Il irradie de ses multiples talents la scène jazz de l’hexagone, et plus particulièrement du Sud-Est où il réside. Docteur Jazz l’invite à animer un stage de rythmique jazz en octobre 2023, et lui a posé quelques questions sur son parcours…
DJ : Bonjour Nicolas, peux-tu nous parler un peu de ton parcours.
NF : J’ai grandi dans une petite ville de Savoie où j’ai commencé la musique à 7 ans.
Mon premier professeur à l’école de musique m’a donné confiance, envie de jouer et pendant l’été, c’est le facteur du village de ma mère (Guillaumes 06) qui m’a appris à jouer à l’oreille et transmis la passion de la musique, du partage. Nous jouions dans les « festins » d’été dans le sud et les fêtes patronales.
La bienveillance de ces personnes et les valeurs qu’elles m’ont transmises ont beaucoup compté dans ma construction.
Vers l’âge de 10 ans, je suis entré dans un big band junior dirigé par un musicien très charismatique et multi-instrumentiste (Thierry Cazenave). Nous avons travaillé avec François Jeanneau alors directeur de l’ONJ pendant une semaine. Je pourrais élaborer un « story telling » séducteur en vous disant que ça avait été une révélation. Honnêtement, mon oreille de l’époque n’a pas compris grand-chose à la musique de François et son ONJ, mais une graine était semée…
Je me souviens encore aujourd’hui de la musique que nous avions travaillée : Jazzopithèque, Cilaos, Boucan Canot…
Par la suite, ma véritable « star » de la trompette a été Pierre Drevet, arrangeur également et habitant proche de chez mes parents, j’en suis devenu très rapidement fan. J’ai réussi après un parcours du combattant à m’inscrire à son cours pendant 2 ans. J’y buvais littéralement ses moindres paroles.
J’ai également travaillé avec Michel Rigot et Michel Ricquier qui enseignaient la trompette classique au conservatoire de Chambéry.
En 1993, j’ai fini ma scolarité au conservatoire de Chambéry et je suis rentré au conservatoire de Paris sur conseil de François Jeanneau qui y avait monté le département l’année d’avant.
A 17 ans, passer de ma petite ville de province, chez mes parents, à la capitale et son mythique conservatoire fut un choc mémorable.
J’ai commencé alors à faire « le métier ». Au début surtout dans des groupes de salsa. Dans les années 1995-2000, cette mode battait son plein. J’avais étudié un peu cette musique à Chambéry, je lisais bien la musique, ce qui a déclenché mes premières opportunités en tant que remplaçant au pied levé.
Puis, j’ai commencé à jouer dans presque tous les big bands, d’abord comme remplaçant puis pour certains, comme titulaire.
J’ai notamment joué dans le big band de Serge Adam « quoi de neuf docteur ».
Nous avons enregistré un disque de sa musique « 51 below », très original, complexe mais accessible, et de haut niveau. J’avais un solo sur une démarcation de « Eyes of the Hurricane » d’Herbie Handcock , rebaptisé « Jungle hurricane » par Serge, un tempo très rapide.
J’ai ainsi pu me faire connaître et être recruté par Didier Levallet sur conseil de François Jeanneau pour son Orchestre National de Jazz, j’y ai joué de 1997 à 2000.
Didier Levallet est un homme très bienveillant, avec beaucoup de sagesse et qui laissait ses musiciens s’exprimer librement musicalement. J’étais encore un ado lorsqu’il m’a recruté. Son regard m’a porté et donné confiance en moi et sa vision a ouvert mon esprit également. Je vous avoue l’avoir réalisé quelques années après.
J’ai ensuite créé en 1998 « Le Paris Jazz Big Band » avec Pierre Bertrand, un camarade du conservatoire, que les arrangeurs connaissent bien. C’est un passionné comme moi par ce format.
L’orchestre a duré 13 ans, c’était un laboratoire incroyable. Nous y jouions notre musique sans concession. Le casting conférait également à l’orchestre une personnalité unique par la forte personnalité des solistes qui le composaient. Je dirai qu’il y avait un côté « village d’Astérix et Obélix » avec pour potion magique le plaisir de se retrouver.
J’ai commencé également à travailler avec « Kosinus » comme illustrateur sonore, je continue à ce jour. C’est une excellente école de l’écriture, et son éditeur Eric Mallet m’a énormément apporté et aidé à construire différentes façons d’écrire, de répondre à un cahier des charges établi, à fixer une cible bien précise quant à la direction artistique.
J’ai commencé à enregistrer également mes projets en 2004, en parallèle du big band et de mes activités de sideman (notamment le groupe de Dee Dee Bridgewater, Lucky Peterson, Richard Galliano, Kyle Eastwood…). J’ai enregistré 11 albums comme soliste à ce jour.
La même année, j’ai été recruté également pour monter le cursus de la classe de jazz de l’actuel CRR de Toulon qui n’était alors pas labélisé comme tel et se structurait pour le devenir. Transmettre est induit une nécessité d’évolution personnelle et de remise en question perpétuelle. J’adore le sud de la France et particulièrement le Var et le haut pays niçois.
En 2010, j’ai créé un premier festival avec la SPEDIDAM. Ce festival est devenu « pilote « du réseau SPEDIDAM. J’ai créé 4 festivals en tout dans ce cadre. Contribuer à la diffusion de cette musique et à la mise en relation des artistes et de leur public dans de bonnes conditions me tient à cœur, c’est un véritable acte militant pour soutenir notre profession et contribuer à la diversité et la richesse culturelle de notre pays.
En 2022, j’ai rencontré François Veillon et un lieu magnifique à Toulon ou j’habite : « Le télégraphe ». Il m’a proposé d’y créer un lieu qu’il a baptisé « le Folmer Club »
Initialement, « Folmer Show », mais connaissant l’esprit taquin du métier, j’ai préféré son option « Folmer club ». L’idée est de proposer une programmation de créations, de rencontre d’un haut niveau artistique, d’y créer un « orchestre maison ». Depuis octobre, le démarrage s’est fait en trombe, affichant complet tous les concerts. Cette nouvelle aventure me passionne.
DJ : Quelle sont tes principales influences ?
NF : J’ai commencé à écouter du jazz par le jazz rock, les frères Brecker. Je garde un lien affectif très fort avec leurs albums, puis le big band lumière de Laurent Cugny dont j’ai fait partie un temps, puis Wynton Marsalis.
Voici l’explication : lors de mes jeunes années, il n’y avait pas d’internet, les CD étaient chers et étaient la seule possiblité d’accès. Dans ma petite ville, on trouvait plutôt les albums de Michel Sardou que ceux de Coltrane ou de Miles.
J’ai eu la chance d’avoir comme ami le saxophoniste Hervé Francony qui me copiait des cassettes. Nous avons 8 ans d’écart et J’étais encore collégien lorsque lui avait déjà les moyens de s’acheter des disques.
Thierry Cazenave (chef du big band junior) me faisait découvrir « les singers unlimitted », « Manhattan transfer » ou Supertramp.
Je connais dans les moindres détails la vingtaine d’albums auxquels j’ai eu accès avant de monter à Paris.
De ce socle, je dirais avoir eu comme influence principale (comme trompettiste) : Pierre Drevet puis Wynton Marsalis, puis seulement après Miles Davis, Freddie Hubard et les autres. Je ne me suis jamais limité à imiter seulement des trompettistes, j’ai relevé aussi Michael Brecker, Kenny Garret, Kenny Kirkland, Cannonball Adderley, John Coltrane, Stefano D. J’allais dire, en principe « comme tout le monde » …
J’ai donc eu une période très classique et très jazz rock /funk/électro (j’ai joué dans un des premiers groupes électro Français « NOJAZZ », ou Paco Sery groupe).
Puis j’ai rencontré Daniel Humair (2009), Michel Portal et Dave Liebman, et avec Emil Spanyi et Laurent Vernerey nous avons formé un ensemble que j’ai adoré, ouvert, mais avec de l’écriture, à la fois le côté libre et « free », mais avec tout le background de l’histoire du jazz.
Niveau écriture, j’ai toujours adoré le format big band. Le lien affectif est évident, jeune adolescent j’attendais comme le Messie la répétition du samedi, je n’en ai raté aucune en 7 ans. Au-delà de la musique c’est aussi l’aventure humaine qui m’a toujours également plu.
J’adore aussi les orchestres à cordes, les orchestres symphoniques en particulier et la musique française du vingtième.
DJ : Comment es-tu venu à l’écriture et à l’arrangement ?
NF : Dans le big band junior dont je vous parlais, j’ai eu assez vite envie de composer. De façon très instinctive au départ, et honnêtement pas très réussie. J’écrivais mon arrangement la première semaine, je recopiais les partitions la seconde, le tout entre deux cours au collège. A la répétition, le chef, Thierry Cazenave m’accordait gentiment 20 minutes pour essayer ce que j’apportais, et je voyais qu’il respectait mon travail et il prenait toujours le temps nécessaire pour lire mes conducteurs et me faire des commentaires toujours très constructifs. Il était très doué, chanteur, chef d’orchestre, arrangeur, pianiste, batteur.
Il n’était pas obligé du tout je le précise !
Les copains pour certains jouaient le jeu, mais certains tiraient franchement la gueule. C’était donc assez stressant mais cette urgence et cette hostilité partielle m’ont forcé à tirer toute la sève de la moindre expérience que je proposais.
J’ai ensuite étudié avec Pierre Drevet l’arrangement pendant un an et je suis entré au CNSM et j’ai étudié avec François Théberge.
DJ : Quel est l’arrangement le projet d’écriture dont tu es le plus fier ?
NF : J’hésite entre la « Buleria » que j’ai écrite en 2001 pour le disque du Paris Jazz big band « Mediterranéo » et « Huyana » que j’ai écrite en 2012 pour le disque du Paris Jazz big band « Source(s)».
La Buleria est écrite avec toutes les »clés » traditionnelles du flamenco avec Louis Winsberg en soliste à la guitare.
« Huyana » est basé sur une clave en 15 temps traditionnelle de Bolivie que m’a montrée Minino Garay. Il y joue des « bata cajon ». J’ai écrit le thème dans l’esprit d’une mélodie traditionnelle avec développement.
DJ : Quel est l’arrangement qui n’est pas de toi mais dont tu aurais aimé être l’auteur ?
NF : « La valse des lilas » de Michel Legrand arrangée par Gil Evans dans le disque « Quiet Nights ». Lorsque j’ai rencontré Michel ça a d’ailleurs été notre premier sujet de conversation.
Une véritable magie s’opère dans cette version, beaucoup de points de montage si on y prête attention.
DJ : Comment en es-tu venu à la pédagogie et quels sont tes concepts en la matière ?
NF : Effectivement, je suis entré en 1993 au CNSM dans la classe de François Janneau. François Théberge a été recruté peu après et j’ai surtout travaillé avec lui. Ses cours sont très structurés avec des objectifs précis et clairs.
Il était exigeant et très attachant à la fois, je garde un excellent souvenir de ces années.
J’ai organisé le cursus d’écriture à Toulon sous la forme de 3 niveaux d’harmonie avec le trompettiste José Caparros au conservatoire de Toulon lorsque j’ai recruté pour créer le département jazz en 2004.
Une fois l’UE-UV d’harmonie obtenu, les élèves ont accès au cours d’arrangement qui se déroule sur 2 années.
L’examen d’harmonie valide l’autonomie des élèves dans leur pratique du jazz, ils savent « se débrouiller », analyser une grille de façon fonctionnelle, déterminer les modes associés aux accords (issus des gamme majeures et mineures et modes à transposition limitée), réaliser à 4 voix + la basse une grille d’accords avec conduite des voix, écrire une mélodie sur une suite d’accords donnée, harmoniser une mélodie donnée. Le tout avec une exécution « fluide » et assez rapide qui garantit leur autonomie, leur mise en application effective et la possibilité de suivre un cours d’arrangement pour ceux qui le souhaitent.
Je ne sépare pas l’harmonie tonale et modale sous forme de cycle annuel compte tenu de l’objectif final et des profils des élèves.
L’arrangement en première année se concentre sur l’études de différentes formes classiques existantes, et à la rédaction d’un sketche de leur arrangement.
Nous abordons également l’organologie des instruments que nous allons utiliser dans nos travaux. (Saxophones, trompettes, trombone, piano, contrebasse, basse, batterie).
J’utilise la méthode de Bill Dobbins « jazz arranging and composing linear approach » pour étudier l’harmonisation de mélodie à 2, 3 et 4 voix.
Je commence souvent par 4 voix, en prolongation de ce qu’ils ont abordé en harmonie.
Je demande aux élèves d’écrire un maximum pour les ateliers, ce qui dépend de la motivation en fonction des années. Je constate une baisse de passion depuis 2010, même s’il reste toujours une poignée d’élèves très investis qui attrapent le « virus ».
Certains ne réalisent pas la chance qu’ils ont d’être joués.
Je leur demande un projet à rendre par trimestre que nous enregistrons de sorte qu’il y ait une application concrète des éléments abordés.
La deuxième année est consacrée à l’harmonisation à 5 voix et à l’étude du big band.
Là aussi, je leur demande l’écriture d’un projet par trimestre pour big band, les années où il n’y a pas eu de big band complet, je leur demandais l’écriture de projet pour la plus grande formation existante. C’est parfois moins évident à faire sonner et mon travail consiste à les assister lors de la réalisation de ces projets.
Ma pédagogie se résume à la transmission d’informations mise en application dans la réalisation immédiate de projets artistiques dans lesquels j’assiste mes élèves.
DJ : Quels sont tes projets ?
NF : J’ai enregistré plusieurs compositions pour big band à vocation pédagogique avec 2 rythmiques différentes : batterie, Stéphane Huchard, André Ceccarelli, basse : Philippe, contrebasse : Jérémy Bruyère, piano: Emil Spany, Laurent Coulondre.
Nous enregistrons les parties de soufflants avec Lucas Saint Cricq (alto/baryton), Stéphane Guillaumes (sax ténor) et Robinson Khoury (trombone, trombone basse).
Je souhaite sortir une collection d’œuvres classées par niveau. Il y a peu de matériel de musique actuelle classé par niveau, pour grand ensemble. Je travaille sur une application qui permet de travailler ces œuvres de façon ludique et pédagogique.
Par ailleurs, je prépare un projet avec l’orchestre de l’opéra de Toulon et une section rythmique mais c’est pour un peu plus tard. J’ai aussi été sollicité pour m’occuper d’un club à Toulon dans lequel il y a un concert tous les samedis. C’est aussi intense que passionnant.
DJ : Merci Nicolas ! Bonne chance pour tous ces projets, et nous avons hâte de t’accueillir en octobre pour ce stage/atelier de 2 jours à Angers !
Voici quelques pièces de piano pour cycles 3. Elles permettent aux élèves de se familiariser avec les harmonies et les couleurs « jazz ». Vous pouvez télécharger gratuitement les partitions ICI.
Voici quelques pièces de piano pour cycles 2. Elles permettent aux élèves de se familiariser avec les harmonies et les couleurs « jazz ». Vous pouvez télécharger gratuitement les partitions ICI.
Voici quelques pièces de piano faciles pour cycles 1-2. Elles permettent aux élèves de se familiariser avec les harmonies et les couleurs « jazz ». Vous pouvez télécharger gratuitement les partitions ICI.
On peut sans aucun doute, attribuer la provenance d’un certain nombre d’effets produits par les instruments (notamment les cuivres et les anches), à la musique de jazz.
Les chants des esclaves, worksongs et gospels, faisaient entendre une plainte et traduisaient souvent la peine, la misère. La première « blue note » (une tierce mineure jouée ou chantée sur un accord majeur) est vraisemblablement à l’origine de ce lexique purement jazz, et en tous cas du « bend », car elle est très souvent jouée ou chantée avec une inflexion notoire. Cette « blue note » crée une ambiguïté tonale, renforcée par l’inflexion. Plutôt employé par les saxophones qui veulent imiter les inflexions de la voix, on entendra le bend joué plus tard de façon appuyée et rarement sans inflexion, par des trompettistes et des trombonistes.
Le « Bend »
Cet effet « bend »(on joue la note en l’attaquant par dessous et non de façon franche) sera très vite employé sur d’autres notes que les « blue notes » et notamment par les saxophonistes (Johnny Hodges chez Duke Ellington) et même par des sections entières (Marshal Royal, lead alto chez Count Basie par exemple).
Parmi les effets « primaires » du jazz, il s’en trouve un qu’affectionne particulièrement Duke Ellington dans sa période « jungle » des années 25/30, mais qui est déjà utilisé dans le style New-Orleans, il s’agit du « growl ».
Le « growl » suggère un grognement. On le fait en utilisant la technique du soufflé-chanté (moduler sa voix en contractant les muscles de la gorge en même temps que l’on souffle dans son instrument).
Il ne faut pas confondre le Growl avec le Flatterzunge (abrégé « flat » sur les partitions) qui résulte d’un martèlement de la langue entre les dents et le palais (un peu comme lorsqu’on roule les r) pendant le jeu, ou encore le double-son, utilisé dans la musique contemporaine, pour lequel l’instrumentiste chante une note en voix de gorge tout en continuant à en jouer une autre.
Le Growl est utilisé par les cuivres, les bois et le saxophone. Quelques illustres exemples dans le jazz : Cootie Williams (Tp) Earl Bostik (Alto sax).
Cet effet est rarement utilisé par des sections entières, mais plutôt par des solistes.
Le « Glissando »
Le glissando ou glissato(du français « glisser ») est un terme d’origine Italienne qui désigne soit un glissement continu d’une note à une autre, soit le passage d’une note à l’autre par un groupe de notes intermédiaires.
Il consiste dans l’élévation ou l’abaissement constant et progressif de la hauteur d’un son, obtenu de diverses manières selon les instruments.
Le glissando proprement dit est celui que peut produire la voix humaine, un instrument à cordes comme le violon (en faisant glisser le doigt sur une corde) ou le trombone à coulisse ; dans ce cas on ne perçoit pas le passage entre les notes parce que la transition se fait sans discontinuité. On parle alors de « portamento » ou « dégueulando ».
Le terme s’applique également à des effets avoisinants comme ceux réalisables par les instruments à clavier, la plupart des cuivres, et les instruments à cordes pincées.
Pour les cuivres, glissato indique souvent l’exécution de la série des notes harmoniques exécutables sans changer de position.
Letrombone, grâce à sa coulisse, peut effectuer aisément un véritable glissato. Une des difficultés majeures pour les trombonistes est justement d’éviter les glissati entre les notes (le staccato/legato est en effet difficile à réaliser dans la rapidité). L’effet de glissando est maximal au trombone, dans l’intervalle qui sépare la première de la septième position.
Le cor peut obtenir un effet de glissato efficace grâce à l’action combinée de la main et des lèvres.
Chez les bois, l’exécution instrumentale de la musique du vingtième siècle a exploré la possibilité du glissando sur pratiquement tous les instruments de la famille.
Sur les instruments les plus petits, ( Hautbois, clarinette), le fait que l’instrumentiste utilise directement la pulpe des doigts pour boucher les trous rend possible le véritable glissato, obtenu en découvrant graduellement et successivement la superficie de chaque trou ; pour la flûte, c’est également possible pour les modèles dont les clés sont percées.
Sur le saxophone, dont les trous sont ouverts et fermés en actionnant des clés, il est toutefois possible de « glisser » sur l’intervalle qui sépare deux notes en modifiant la position des lèvres, ce qui, combiné avec l’action des mains, permet d’obtenir un effet très semblable au véritable glissato. Certains saxophonistes parviennent toutefois à s’affranchir de cette difficulté technique en « glissant » sur plus de notes par une technique combinée des doigts, des lèvres et de la gorge
Le glissando le plus célèbre est sans doute celui que joue la clarinette au début de la Rhapsody in Blue de G.Gershwin (Rappelons toutefois qu’à l’origine, Gershwin avait écrit une gamme chromatique).
Le « Subtone »
L’effet « subtone » quant à lui, est réservé aux anches (saxophones et clarinettes). C’est un effet de souffle, plutôt dans le registre grave de l’instrument et dans une nuance piano. Le son subtone est le contraire du son timbré. En jazz classique il est souvent associé au vibrato, Ben Webster,Stan Getz et Paul Desmond (entre autres) jouant eux de façon plutôt détimbrée. (Subtone : Les saxes ténors dans « For Lena & Lenie » de Quincy Jones).
Le « Vibrato »
Le « vibrato » est une modulation périodique du son d’une note. La nature de cette modulation dépend de la nature de l’instrument et de la technique qu’utilise le musicien.
L’effet vibrato est le premier effet à avoir été créé de manière électronique. Il consiste à prendre le signal de l’instrument et de varier rapidement sa fréquence. En d’autres termes, on fait varier la hauteur du son autour de sa tonalité.
Dans le chant, l’intensité n’est en général pas maintenue constante et la modulation périodique concerne à la fois la hauteur et l’intensité, dans des proportions variables selon la technique. Pour les instruments à vent, la modulation périodique est obtenue par le diaphragme, mais concerne cependant davantage l’intensité que la hauteur.
Comme tous les effets de nuance, le vibrato apporte une expressivité particulière selon la façon dont il est effectué : rapidement ou lentement, de façon fluide ou saccadée. En jazz, principalement utilisé dans les styles traditionnels (Sidney Bechet, Harry James), son utilisation s’est peu à peu raréfiée avec les styles plus modernes. Il s’agit essentiellement d’un effet de soliste, car il ne supporte pas bien « l’harmonisation » et notamment l’harmonisation « tendue » à partir des années 50/60. Dans les sections de big bands des années 30 et 40, le vibrato est cependant assez répandu, et plus particulièrement dans la section de saxophones.
Le « Fall », le « Shake »
Le « fall »(tomber) et le « shake »(secouer), sont des effets plutôt utilisés en sections dans les big bands. Harry Edison à la Tp utilise cependant le fall dans le « Sweet Lorraine » avec Nat King Cole dans l’album « After Midnight ».
Le « fall » peut être court (« short ») ou long (« long »), c’est un glissando descendant, « lâché », sans note d’arrivée.
Le « shake » ne doit pas se confondre avec un trille, il est produit par un effet de lèvres et parfois en secouant l’instrument.
Le « Half valve »
Il existe un autre effet qui concerne uniquement les instruments à pistons. Il s’agit du « half valve ». L’instrumentiste abaisse les pistons à mi-course (Rex Stewart « Swing Baby Swing » à 9 ‘’ et à 46’’, Glenn Miller « Saint Louis Blues March »).
Tous ces effets peuvent évidemment être utilisés dans l’écriture, dans le cadre d’un arrangement par exemple… Voici comment on peut les noter sur la partition :
La plupart des effets sont « cumulables » dans la même phrase, et parfois sur la même note …
Dans ce solo de 1938, le trompettiste Cootie Williams utilise à peu près tous les effets cités ! Bend, shake, growl, vibrato, fall…
En musique contemporaine, comme en jazz actuel, beaucoup d’effets sont utilisés.
Voici un exemple parmi tant d’autres, avec ce morceau très original et intéressant, tant au niveau des textures et mariages de sons (voir l’article sur l’orchestration), que sur la gestion des effets, et notamment des effets de groupe.
Allez ! Je vous laisse découvrir … Il y en a un peu partout, c’est très riche ! Il est tiré de l’album de Kenny Werner« Naked In The Cosmos” et interprété par le merveilleux Brussel Jazz Orchestra.
La sourdine : un accessoire indispensable pour l’orchestrateur
La sourdine doit être considérée par l’orchestrateur, comme un élément ou plutôt un « colorant » très important. Bien utilisées, les nombreuses variétés de sourdines multiplient le nombre de possibilités de mariages sonores au sein de l’orchestre. Mariés à un saxophone ou à une flûte par exemple, une trompette ou un trombone équipés d’une sourdine, vont permettre de simuler d’autres instruments (ceux que l’on a rarement dans les orchestres de jazz, comme le hautbois, le basson ou le violon, le violoncelle). Voir l’article sur l’orchestration.
L’utilisation des sourdines semble s’être un peu perdue chez les arrangeurs de la nouvelle génération… Manque de connaissance ? Les sonorités leurs semblent-elles désuètes et datées, faisant trop référence à la « swing era » ?
Pourtant, de grands « maîtres » actuels de l’écriture jazz les utilisent avec brio, mais encore faut-il bien connaître leurs spécificités et avoir leurs différents sons dans l’oreille …
Les sourdines sont utilisées en Jazz pour la trompette et le trombone (il en existe aussi pour tubas et saxhorns).
L’effet musical produit est double. Il consiste à modifier le son, mais également son intensité, ou volume sonore. Ces deux effets sont indissociables, agir sur le timbre revenant à agir sur le volume sonore. Il en est de même lorsque l’on passe d’un jeu d’intensité fort, à un pianissimo : voulant modifier le volume, on modifie aussi le timbre.
L’utilisation des sourdines étend donc la gamme de sonorités et de possibilités expressives de l’instrument.
Les sourdines ne doivent pas, en principe, modifier la justesse et la réponse de l’instrument. Cependant, dans la grande variété de modèles, il en existe certaines, qui par leur forme, volume, fermeture du pavillon ou leur matériau, perturbent partiellement (sur une note, un registre ou plus) la justesse et la réponse de l’instrument.
Petit rappel historique
L’utilisation de la sourdine (pour la trompette) remonte au début du XVIIème siècle. Martin Mersenne dans son harmonie universelle de 1636, en donne la description : « la sourdine est ordinairement faite d’un morceau de bois que l’on met dans le pavillon de la trompette, afin qu’elle la bouche tellement qu’elle en diminue et en assourdisse le son ».
Si Mersenne ne mentionne pas l’effet sur la justesse de l’instrument d’une telle sourdine, on trouve cependant dans la littérature musicale de l’époque des avertissements sur les précautions à prendre lors de son emploi. Monteverdi dans la toccata qui précède le prologue de son opéra « Orphéo » (1607) précise que : « si l’on désire que les trompettes jouent avec sourdines, la toccata devra être jouée un ton plus haut »
Ce n’est que bien plus tard, dans les partitions de Mozart, que l’on retrouve l’utilisation de la sourdine pour les trompettes.
Debussy et Wagner ont souvent fait usage de la coloration sonore bien particulière du cor et de la trompette avec sourdine. Après eux, l’utilisation de la sourdine pour le trombone et le tuba s’est répandue : Don Quichotte de Richard Strauss, le Mandarin merveilleux de Bartok ou Petrouchka de Stravinski en sont quelques exemples. Au début du XXème siècle, l’école de Vienne (Webern en tête) fait grand usage des cuivres en sourdine.
A partir des années vingt, le développement du Jazz a donné un nouvel élan à la recherche de nouveaux timbres. Ainsi la trompette et le trombone ont été le terrain de multiples essais de modification du timbre avec des objets de toutes sortes.
Les principaux modèles de sourdines utilisées en jazz aujourd’hui
Straight mute
La sourdine sèche« Straight mute » ou « Carotte », est la plus utilisée dans tous les genres de musique. En musique classique, si le type de sourdine n’est pas mentionné, c’est celle qu’on doit utiliser. On en trouve en métal, en fibres ou en plastique, de forme droite ou évasée.
Le son varie énormément d’un modèle à l’autre et dans les grandes formations de jazz ou de variétés, on impose souvent un modèle unique à tout le pupitre de trompettes. Il faut souvent ajuster l’épaisseur des cales en liège avec du papier de verre de façon à obtenir le meilleur compromis entre son et justesse. La sourdine « Pixie » est plus oblongue et dépasse à peine du pavillon, pour être jouée avec un Plunger.
Wa-wah – Harmon
La sourdine « Wa-wah » offre une variété de sons selon la position du tube coulissant.
– Enfoncé, c’est la « Wa-wah » classique (noté « Wa-wah » sur la partition). On la fait « parler » en déplaçant la main devant l’orifice du tube (de la voyelle u-oo à la voyelle a-aa, d’où le nom de « Wa-wah »).
– Tiré (noté « fully extended » sur la partition), c’est le son est plus fermé.
– Enlevé « without tube » (noté « Harmon » sur la partition), la sourdine devient une « Harmon mute », popularisée entre autres, par Harry « Sweet » Edison & Miles Davis.
Cette sourdine s’utilise quelque fois en orchestre classique, par exemple dans le solo de « Rhapsody in Blue » de George Gershwin, et les compositeurs contemporains en font un usage fréquent.
Cup mute
La sourdine Bol« Cup mute » produit un son particulièrement doux. La fixation du bol doit permettre de régler la distance du bord du bol au pavillon de la trompette, qui doit être d’environ un centimètre. Souvent, cette sourdine est prévue pour être aussi utilisée comme sourdine sèche en enlevant le bol, mais la qualité (justesse et sonorité) est généralement inférieure à celle d’une vraie sourdine sèche.
Robinson
La sourdine « Robinson » est une variante avec du coton dans le bol pour adoucir encore plus le son. Elle n’est plus fabriquée mais on peut en faire une soi-même.
Plunger
La sourdine « Plunger », utilisé dans le jazz New-Orleans et dixieland, était à l’origine une ventouse en caoutchouc de plombier destinée à déboucher les éviers.
On la déplace en jouant pour alterner les sons ouverts (notés « o » sur la partition) et bouchés (notés « + » sur la partition). Lorsque l’on fait un mouvement rapide de « fermé » à « ouvert » on note : « wa » sur la partition.
On utilise aussi quelquefois le Plunger associé à la sourdine sèche (« Pixie » plus courte) pour des effets « jungle » à la Bubber Miley (cornettiste de l’orchestre de Duke Ellington dans les années 20).
Dans les grands orchestres de danse des années 30 et 40, on utilisait le « Tuxedo Plunger », identique au plunger mais fabriqué en carton, et aussi la « Derby mute », sorte de chapeau melon en aluminium quelques fois garni de matériau absorbant, que toute la section de trompettes faisait aller et venir devant le pavillon dans un geste ample et synchronisé, très spectaculaire.
Bucket – Velvet
La « Bucket mute » et la « Velvet mute » s’utilisent en big band pour atténuer la brillance du son de la trompette (résultant de l’utilisation d’embouchures très relevées à queue étroite) pour certains passages musicaux, ou comme alternative au bugle.
Ces deux sourdines sont formées d’un récipient cylindrique contenant du coton ou une autre fibre absorbante, qui se place devant le pavillon et amortit les harmoniques aiguës. La « Bucket » modifie plus le son que la « Velvet » car elle se fixe dans le pavillon comme une sourdine sèche, réduisant sa section efficace, tandis que la « Velvet », accrochée par trois clips au bord du pavillon, n’a pas d’effet sur les graves de la trompette.
A noter que l’on peut simuler le son de la velvet en jouant le pavillon dans le pupitre, noté : « in stand » sur la partition, ou, comme dans les big bands des années 40, dans un chapeau en carton posé sur un stand à côté de l’instrumentiste (« in hat »).
Il existe aussi des « Bérets » en feutrine (plutôt pour les trombones), beaucoup moins encombrant qu’une « Velvet » et assez efficaces…
Solotone – Cleartone
La sourdine « Solotone » ou « Cleartone » est une sorte d’hybride entre la sourdine Sèche et la sourdine Harmon. Cette sourdine était souvent utilisée dans les orchestres swing des années 1930-1940 et on trouve encore des arrangements qui la demandent. Le son est voisin de celui d’une Wa-wah ouverte (sans mettre la main devant).
Juste pour le fun : il existe un système de sourdine incorporée à l’instrument du cornet « à écho » dans lequel un quatrième piston dévie la colonne d’air vers un second pavillon de forme quasi fermée. Ce dispositif ingénieux permet de passer instantanément du son ouvert au son bouché. On a même construit des trompettes à écho sur le même principe.
Les sourdines altèrent la justesse de l’instrument (quel que soit le modèle de la sourdine) le diapason monte plus ou moins selon le modèle, il est donc important de se ré- accorder. Cet aléa est donc à prendre en compte pour l’arrangeur, notamment, il doit laisser du temps à l’instrumentiste pour mettre ou enlever sa sourdine et s’accorder entre un passage joué « ouvert » et un passage joué avec sourdine. Lorsque l’on souhaite que l’instrumentiste enlève sa sourdine, on note « open » sur la partition.
Globalement de nos jours, vous pouvez utiliser sans problème dans vos orchestrations : Straight, Cup, Harmon (pour les trompettes). Straight et Cup (pour les trombones). Tout instrumentiste « professionnel » se doit d’avoir ces sourdines dans sa boite. Il arrive que certaines formations investissent dans un jeu complet de sourdines d’orchestre. C’est encore mieux ! Car tout le monde joue alors avec le même modèle, ce qui favorise considérablement l’homogénéité du son des sections.
Merci à Michel Bonnet pour son aide précieuse et les petits extraits en solo …
Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil
Ces 8 premiers textes sont extraits de la publication » Portraits légendaires du jazz » (éditions Tana).
Bill EVANS : Le soleil noir de la mélancolie.
Bill Evans :
16 août 1929 à Plainfield – 15 septembre 1980 à New York
Il est de beaux dimanches comme ce 25 juin 1961. Un dimanche en cinq manches (deux sets l’après midi et trois sets en soirée) au Village Vanguard de New York. En une époque particulièrement turbulente, trois hommes, Bill Evans, Paul Motian et un jeune fauve de la contrebasse, âgé d’à peine 23 ans, Scott LaFaro, réalisent ce jour-là le miracle de suspendre le temps, d’apprivoiser la beauté pure et de poser en des termes neufs la problématique de l’échange musical. En un merveilleux ménage à trois, ils inventent un nouveau mode de circulation des énergies et des inconscients. Ce miracle fut de courte durée. Dix jours après, LaFaro se tuait en voiture, laissant Bill anéanti. Il devint, comme Nerval « le veuf, le ténébreux, l’inconsolé. »
« Le soleil noir de la Mélancolie » ne cessa plus depuis lors d’éclairer sa musique, mystérieuse, hypersensible, lyriquement grave. Déjà accro à l’héroïne depuis sa fréquentation de Philly Jo Jones dans le quintette de Miles Davis, époque « Kind of Blue », sa vie devint, comme l’a écrit son ami écrivain Gene Lees « le plus long suicide que toute l’histoire du jazz ait connu ». Après la musique, la drogue sera jusqu’à la fin sa seconde et impitoyable maîtresse. Les dernières années, il passera à la cocaïne, ce qui aura pour effet d’accélérer toute sa musique et de redresser sa position face au piano, lui si longtemps recroquevillé sur son clavier, dos voûté pour mieux se rapprocher au plus près du son.
Rien de ce que joue ce poète de la confidence, têtu chercheur des lointains intérieurs, ne laisse tranquille, indifférent. Tant l’émotion qu’elle suscite est d’emblée bouleversante. Créateur d’une esthétique plutôt qu’un style, le plus européen des musiciens américains (il connaît très bien la musique classique, française comme russe) marque un point focal dans l’histoire du piano jazz. Avec lui, il y a un avant et un après. Tout le piano moderne vient de là et de lui. Pour son premier disque, sous son nom, publié en 1957, à l’âge de 27 ans, Bill Evans avait choisi un titre très clair: « New Jazz Conceptions ». Avec lui, il s‘agit, immédiatement, de l’invention d’un espace neuf, celui de l’intériorité absolue, que nul n’avait exploré avant lui. Il trouve une nouvelle esthétique du trio qui bouleverse la formule académique « piano basse batterie ». Dans son monde, à partir de 1960, les rôles sont reformulés et le triangle devient enfin équilatéral. La basse s’insinue sensuellement dans toutes les harmonies pour faire jeu égal avec le piano. La batterie ou, plus justement, la percussion rythmique, renvoie leur dialogue à toute sa délicatesse. D’où ce miracle d’équilibre où chacun des partenaires s’émancipe de l’autre en toute liberté, pour mieux laisser « la » musique s’éclore et s’épanouir.
Ce qui fascine dans son jeu, c’est d’abord son toucher tout en nuances et en vibration intime, riche d’un usage très raffiné de la résonance « Le piano, dira-t-il, est pour moi du cristal qui chante et qui produit de l’impalpable : un son qui s’étire dans l’air comme un rond de fumée. » Bill Evans fut tout à la fois un mélodiste d’exception, un coloriste de l’harmonie et un rythmicien hors pair grâce à son sens aigu de la pulsation intérieure et sa science des timbres, de la dynamique et du swing…au-delà du swing. « Bill Evans jouait dans les souterrains du rythme, dira Miles Davis. C’est ce que j’aimais le plus en lui. » Par l’allégement de son jeu de main gauche, il fait chanter l’harmonie comme personne avant lui, imposant ainsi une autre forme, discrète, secrète, pudique, jamais tapageuse ni narcissique, du lyrisme
Il est aussi de beaux lundis, comme ce 26 novembre 1979 à Paris, à l’Espace Cardin archi-comble. Avec deux jeunes complices d’exception, Marc Johnson à la contrebasse et Joe LaBarbera à la batterie, Bill retrouve le plus beau trio qu’il ait réuni depuis celui formé par Paul Motian et Scott LaFaro. Quand un homme sait qu’il va mourir, il se produit souvent un phénomène qu’on appelle « l’embellie ». Une mystérieuse cure de jouvence qui se traduit par une phénoménale fureur de vivre, l’urgence absolue d’aller à l’essentiel, la quête effrénée de la perfection dans laquelle il épuisera ses dernières forces. Comme si c’était la dernière fois. Et ce fut bien pour lui son dernier concert à Paris. Tout se joue, alors, dans la brûlure de l’instant. La mort rôde partout, c’est sûr, mais reste pourtant si lointaine, si impossible. Conséquence : jamais Bill Evans n’a été aussi grand, libre et lyrique qu’en ce soir d’automne à Paris. L’instant le plus magique du concert fut cette invraisemblable introduction fleuve (plus de 6 minutes 30 !) de Nardis, tout en variations en quintes, tout en rigueur et liberté contrôlées. Soudainement, le cliquetis des photographes cessa. Chaque spectateur retint sa respiration devant l’évidence éblouie de vivre ensemble un moment unique de pure musique. Dix mois plus tard, à bout de force, il mourut brutalement d’un ulcère perforant. Comme Charlie Parker.