On débute tous un jour…

Arrangements de jeunesse pour Big band

Sans aucune idée de démonstration ni d’autosatisfaction concernant une relative précocité qui n’a à mon sens rien d’exceptionnel, voici un petit clin d’œil à mes étudiants en écriture… A la faveur de fouilles archéologiques dans mes partitions et enregistrements, je retrouve quelques arrangements de big band, écrits lorsque j’avais 16 et 17 ans. Il y a évidemment beaucoup de maladresses, mais il peut être intéressant d’analyser sommairement ces documents … (Vous avez à votre disposition l’audio, la vidéo avec score défilant, et une description pour chacun des trois morceaux).

La finalité, l’intérêt, est ici de montrer qu’avec un tout petit bagage théorique et pas d’expérience (ce qui était mon cas lorsque j’ai écrit ces orchestrations), on peut arriver à un résultat qui tient la route, pour peu que l’on fasse travailler son oreille, et qu’on la cultive…

Parti en tournée juste après mon bac, je n’ai pas eu la chance ni l’opportunité de pouvoir suivre des cours d’arrangement, il n’y avait du reste à l’époque qu’Ivan Jullien qui donnait des cours, et aucun cursus officiel… Je n’avais pas non plus la possibilité d’aller étudier aux Etats-Unis comme l’ont fait certains. Alors à l’ancienne; la débrouille et la pugnacité étaient de mise ! On relève, on écrit à tour de bras, on écoute, on recommence… Je m’étais imposé à l’âge de 18 ans (et m’y astreint encore aujourd’hui) d’écrire un arrangement de big band chaque semaine, qu’il neige, qu’il vente, et en dehors de toute commande… Résultat : plus de 3000 arrangements de « travail » pour big band ou medium band dans mes cartons (Pas tous présentables évidemment ;-).

 Là encore, rien d’exceptionnel, j’étais simplement désireux de me donner les moyens de faire aboutir mon projet. 

Toute ma vie d’arrangeur (et encore aujourd’hui), je me suis régulièrement challengé, afin de progresser pour arriver à transcrire le plus fidèlement possible sur le papier ce que j’entends dans ma tête.

Je ressors ici 3 arrangements de 1978 et 1979 (enregistrés en 1983), dont j’ai exhumé les scores (parfois folkloriques !). Mes principaux « mentors » de l’époque : Gil Evans, Marty Paich, Duke… Ce sont des compositions de mon père Marc, et pas du tout dans le style New-Orleans, comme certains pourraient s’y attendre, eh ! eh !…

Au passage, je salue quelques personnages qui à l’époque m’ont encouragé ou conseillé avec bienveillance (François Guin, François Biensan, Benny Vasseur, André Villéger, mon père bien sûr…) et d’autres qui m’ont rapidement fait des commandes ou pris sous leur aile et fait énormément progresser (Claude Bolling, Gérard Badini, Claude Tissendier, Michel Legrand, et un peu plus tard, Frank Foster, Bob Brookmeyer, et d’autres…). Je leur dois beaucoup, car je reste persuadé en tant que pédagogue, qu’en la matière, rien ne remplace la curiosité, les expériences de toute nature, et les rencontres…

On commence avec sans doute mon premier arrangement de big band enregistré …

PYRAMID

Arrangement de 1978 (écrit à l’âge de 16 ans)

(Duke Ellington a d’ailleurs composé un morceau qui porte ce même titre).

Il s’agit d’une mélodie assez originale de mon père. L’arrangement fait clairement référence au « Blues March » des Jazz Messengers, avec un petit clin d’œil à « l’Apprenti Sorcier » de Paul Dukas !

Mon père est mélodiste, autodidacte et ne connait pas grand-chose à l’harmonie, il m’avait donc demandé à l’époque d’harmoniser ses compositions et de les arranger.

Le big band est ici réduit à 3tp2tb2 saxes (Alto, ténor) et une clarinette (Lead), et rythmique avec guitare et sans piano ;

Le thème en Dm fait 10 mesures dont la dernière est à 2 temps…

Le score est en UT et plutôt pas trop mal présenté, mais ne comporte que très peu d’indications de phrasé, de valeurs de notes etc. La ponctuation sur les partitions est très importante, le manque d’indications de phrasé fait clairement perdre du temps en répétition.

PYRAMID (Marc Laferrière) Arrangement : Stan Laferrière

L’intro débute avec un motif à 3/4 mais écrit à 4/4. L’harmonie est assez riche (on entend un Bb7/9/#11).

1er thème exposé à l’unisson Saxes/Tp’s, les Tb’s jouent majoritairement les tierces des accords.

2ème thème, le back est cette fois-ci harmonisé à 4 voix (2 Tp’s/2 Tb’s) et fait entendre des accords de m7/11 et 7/9/#11

Viennent ensuite des solos de 16 mesures avec des backgrounds à partir de la 9ème mesure : 

1. Solo Clarinette. Le back très « Ellingtonien » à 6 voix avec des empilements de tierces qui font entendre les superstructures (DmM7/11/13A7/9/#11…). Bien que de manière générale, je conseille à mes étudiants de ne pas empiler les tierces, mais plutôt de les « casser » avec une seconde ou une quarte, ici ça fonctionne…

2. Solo Trombone. Le back à 4 voix en close voicing (Tb, Ténor, 2 Tp’s) est plus rythmique et plus dans l’esprit Quincy Jones…

3. Solo Alto. Le back également « Quincien » est ici à 5 voix (2 Tb’s, 3 Tp’s) et en drop 2 et 4…

Trois back grounds différents, trois modes d’harmonisation : On est clairement dans l’expérimentation, on tente des choses, on s’exerce… 😉

Suit un tutti ou « Special » : Unisson de saxes et back 4 voix (Tp’s/Tb’s) qui fait entendre des marches harmoniques (Référence à « Blues March »). Sur la deuxième partie du tutti ff, on devine l’influence de l’album « Birth of the band » de Quincy Jones qui a certainement dû bien me marquer à l’époque !

La lettre est une transition qui fait un clin d’œil à L’apprenti Sorcier de Paul Dukas, et qui avec des chromatismes, amène à la re exposition du thème. Ça fait un peu « collage » et c’est un peu « convenu ».

La coda en « miroir » fait entendre le motif de l’intro et le morceau se termine avec un accord de D7/#9/#11 qui se substitue au Dm7 (Effet récurrent chez Quincy, Gil Evans ou Thad Jones), les Tp’s faisant claquer la tonique pendant que les autres instruments jouent l’accord en Forte-Piano subito.

On constate qu’il n’y a pas de grosses erreurs harmoniques, que la couleur générale est plutôt uniforme, et je dirais que globalement, mises à part quelques maladresses, l’arrangement fonctionne…

BEGONIA

Arrangement de 1979 (écrit à l’âge de 17 ans)

Très jolie balade de mon père Marc. 

Le score est lisible, mais le chiffrage incomplet et peu précis (il manque souvent les superstructures). Encore une fois, assez peu d’indications de phrasé…

BEGONIA (Marc Laferrière) Arrangement : Stan Laferrière

Intro a-capella des soufflants qui cite la première phrase du thème, finissant sur un Gb7alt en point d’orgue.

Les accords du background entrent sur la 3ème mesure (C’est malin de laisser respirer le thème au début). La conduite des voix sur ce passage est propre, et le contrechant de bugle plutôt bien vu (bien que sur-mixé). Remarquez le Tb (ténor) qui joue les fondamentales dans le médium (Il joue finalement une partie de Tb basse, mais une octave plus haut) … ça marche pas mal, bien que ce soit peu académique et un peu redondant avec la contrebasse…

Sur B, même principe de backs avec le Tb qui continue de jouer les fondamentales et le Bugle le contrechant (qui joue souvent avec les superstructures. B4 : 13-b13).

Sur C (bridge), même principe qu’au début : 2 mesures sans back, le Bugle continue son dialogue avec le soprano : Cela donne une certaine unité de couleur. 2 mesures avant D, le thème joue des noires, alors on créée un effet en décalant le back d’une croche, le faisant jouer sur les syncopes (Remarquez la tension de seconde mineure -Tierce-neuvième, entre le deuxième saxe et la deuxième trompette. La 4ème voix, qui se trouve sur la première ligne 😉 est la seule à bouger : tonique-M7-7-6).

D : dernière ligne du thème. Ici, c’est l’ensemble des soufflants qui joue le thème, quasiment en « Big Shout » à 5 voix + la basse, toujours avec le Bugle en lead, mais regardez la voix du deuxième saxe qui s’arrête en route et tombe dans une impasse, pour jouer à la mesure suivante un petit contrechant en triolets… Puis un trombone prend le lead dans l’aigu (à la Tommy Dorsey) pour les 4 dernières mesures.

Les 5 derniers accords du morceau sont plutôt bien orchestrés, même si la conduite des voix est loin d’être parfaite ! C’est encore le Bugle qui joue le lead …

Accord coda : FM7-9-13-#11 avec la #11 à la basse… Audacieux, d’autant qu’on entend également la quinte juste jouée dans le médium par un trombone… C’est encore une coda en « miroir » qui reprend le motif de l’intro…

De manière générale, le back sur l’ensemble du morceau, est à 4 ou 5 voix, plutôt en close voicing ou drop 2. Quelques mouvements contraires (D1).

IMPATIENCE

Arrangement de 1979 (écrit à l’âge de 17 ans)

Un morceau où mon père joue de l’alto (ce qui n’était pas si fréquent), et qui fait référence à un saxophoniste qu’il a toujours adoré : Paul Desmond. Malheureusement étant autodidacte, il fallait qu’il ait les mêmes doigtés qu’au soprano, et donc il se retrouve fréquemment à jouer dans le grave de l’instrument…

Le score est ici bizarrement transposé (J’écris toujours les scores en Ut), mais la mélodie est en Ut… Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais fichtre rien ! ;-). Le 2ème trombone est écrit en clé d’Ut 4 et le premier en clé de sol ! Oulà ! c’est bien compliqué élève Laferrière ! 😉

IMPATIENCE (Marc Laferrière) Arrangement : Stan Laferrière

Intro : 2 mesures en « Big shout » à 5 voix, suivies d’un unisson des Tb’s, relayés par les ténors, avec un back à voix qui joue les tierces et les septièmes. L’intro se termine avec une phrase à l’unissons des Tp’s en doubles croches et un accord de Vème degré : A7 #9-b13

La structure du thème est en 15 mesures, puis une deuxième partie en 9 mesures…

Le thème est intégralement exposé par le sax alto. A la 8ème mesure, intervient un contrechant de Tb, suivit par le bugle, puis la trompette. Sur A15 (qui est en fait A16), le thème est maintenant soutenu par de accords à 4 voix. La 1ère Tp jouant des tenues alors que le reste du back joue rythmique. A23 fait entendre une reprise du thème, mais l’harmonie est changée et fait entendre des marches harmoniques orchestrées à 3 voix + la basse. Avant la section des solos, on entend un carillon joué par les 3 Tp’s, sur un accord arpégé qui fait entendre toutes les superstructures de D7 (triade de F, triade de D, triade de B). Il s’agit ici clairement d’une tentative d’effet qui fait un peu « collage » et peut être déstabilisant pour le soliste qui arrive…

4 tours de 8 mesures de solo, dont deux avec un back rythmique à 4 voix + basse (La Tp1 étant parfois doublé à l’octave inférieure par le ténor 2).

Arrive ensuite un tutti (dont les premières mesures sont A-Capella), joué par le Bugle soutenu par des tenues du reste des soufflants, pendant 8 mesures. La deuxième partie de ce tutti est « leadée » par la première trompette et fait entendre un « Big Shout » à 4 voix + basse, toujours avec une trompette doublée par un ténor…

est une reprise du thème avec une nouvelle harmonisation…

La coda est un « Fade out » sur un accord de tierce Picarde (DM7)

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