La sourdine : un accessoire indispensable pour l’orchestrateur
La sourdine doit être considérée par l’orchestrateur, comme un élément ou plutôt un « colorant » très important. Bien utilisées, les nombreuses variétés de sourdines multiplient le nombre de possibilités de mariages sonores au sein de l’orchestre. Mariés à un saxophone ou à une flûte par exemple, une trompette ou un trombone équipés d’une sourdine, vont permettre de simuler d’autres instruments (ceux que l’on a rarement dans les orchestres de jazz, comme le hautbois, le basson ou le violon, le violoncelle). Voir l’article sur l’orchestration.
L’utilisation des sourdines semble s’être un peu perdue chez les arrangeurs de la nouvelle génération… Manque de connaissance ? Les sonorités leurs semblent-elles désuètes et datées, faisant trop référence à la « swing era » ?
Pourtant, de grands « maîtres » actuels de l’écriture jazz les utilisent avec brio, mais encore faut-il bien connaître leurs spécificités et avoir leurs différents sons dans l’oreille …
Les sourdines sont utilisées en Jazz pour la trompette et le trombone (il en existe aussi pour tubas et saxhorns).
L’effet musical produit est double. Il consiste à modifier le son, mais également son intensité, ou volume sonore. Ces deux effets sont indissociables, agir sur le timbre revenant à agir sur le volume sonore. Il en est de même lorsque l’on passe d’un jeu d’intensité fort, à un pianissimo : voulant modifier le volume, on modifie aussi le timbre.
L’utilisation des sourdines étend donc la gamme de sonorités et de possibilités expressives de l’instrument.
Les sourdines ne doivent pas, en principe, modifier la justesse et la réponse de l’instrument. Cependant, dans la grande variété de modèles, il en existe certaines, qui par leur forme, volume, fermeture du pavillon ou leur matériau, perturbent partiellement (sur une note, un registre ou plus) la justesse et la réponse de l’instrument.
Petit rappel historique
L’utilisation de la sourdine (pour la trompette) remonte au début du XVIIème siècle. Martin Mersenne dans son harmonie universelle de 1636, en donne la description : « la sourdine est ordinairement faite d’un morceau de bois que l’on met dans le pavillon de la trompette, afin qu’elle la bouche tellement qu’elle en diminue et en assourdisse le son ».
Si Mersenne ne mentionne pas l’effet sur la justesse de l’instrument d’une telle sourdine, on trouve cependant dans la littérature musicale de l’époque des avertissements sur les précautions à prendre lors de son emploi. Monteverdi dans la toccata qui précède le prologue de son opéra « Orphéo » (1607) précise que : « si l’on désire que les trompettes jouent avec sourdines, la toccata devra être jouée un ton plus haut »
Ce n’est que bien plus tard, dans les partitions de Mozart, que l’on retrouve l’utilisation de la sourdine pour les trompettes.
Debussy et Wagner ont souvent fait usage de la coloration sonore bien particulière du cor et de la trompette avec sourdine. Après eux, l’utilisation de la sourdine pour le trombone et le tuba s’est répandue : Don Quichotte de Richard Strauss, le Mandarin merveilleux de Bartok ou Petrouchka de Stravinski en sont quelques exemples. Au début du XXème siècle, l’école de Vienne (Webern en tête) fait grand usage des cuivres en sourdine.
A partir des années vingt, le développement du Jazz a donné un nouvel élan à la recherche de nouveaux timbres. Ainsi la trompette et le trombone ont été le terrain de multiples essais de modification du timbre avec des objets de toutes sortes.
Les principaux modèles de sourdines utilisées en jazz aujourd’hui
Straight mute
La sourdine sèche « Straight mute » ou « Carotte », est la plus utilisée dans tous les genres de musique. En musique classique, si le type de sourdine n’est pas mentionné, c’est celle qu’on doit utiliser. On en trouve en métal, en fibres ou en plastique, de forme droite ou évasée.
Le son varie énormément d’un modèle à l’autre et dans les grandes formations de jazz ou de variétés, on impose souvent un modèle unique à tout le pupitre de trompettes. Il faut souvent ajuster l’épaisseur des cales en liège avec du papier de verre de façon à obtenir le meilleur compromis entre son et justesse. La sourdine « Pixie » est plus oblongue et dépasse à peine du pavillon, pour être jouée avec un Plunger.
Wa-wah – Harmon
La sourdine « Wa-wah » offre une variété de sons selon la position du tube coulissant.
– Enfoncé, c’est la « Wa-wah » classique (noté « Wa-wah » sur la partition). On la fait « parler » en déplaçant la main devant l’orifice du tube (de la voyelle u-oo à la voyelle a-aa, d’où le nom de « Wa-wah »).
– Tiré (noté « fully extended » sur la partition), c’est le son est plus fermé.
– Enlevé « without tube » (noté « Harmon » sur la partition), la sourdine devient une « Harmon mute », popularisée entre autres, par Harry « Sweet » Edison & Miles Davis.
Cette sourdine s’utilise quelque fois en orchestre classique, par exemple dans le solo de « Rhapsody in Blue » de George Gershwin, et les compositeurs contemporains en font un usage fréquent.
Cup mute
La sourdine Bol « Cup mute » produit un son particulièrement doux. La fixation du bol doit permettre de régler la distance du bord du bol au pavillon de la trompette, qui doit être d’environ un centimètre. Souvent, cette sourdine est prévue pour être aussi utilisée comme sourdine sèche en enlevant le bol, mais la qualité (justesse et sonorité) est généralement inférieure à celle d’une vraie sourdine sèche.
Robinson
La sourdine « Robinson » est une variante avec du coton dans le bol pour adoucir encore plus le son. Elle n’est plus fabriquée mais on peut en faire une soi-même.
Plunger
La sourdine « Plunger », utilisé dans le jazz New-Orleans et dixieland, était à l’origine une ventouse en caoutchouc de plombier destinée à déboucher les éviers.
On la déplace en jouant pour alterner les sons ouverts (notés « o » sur la partition) et bouchés (notés « + » sur la partition). Lorsque l’on fait un mouvement rapide de « fermé » à « ouvert » on note : « wa » sur la partition.
On utilise aussi quelquefois le Plunger associé à la sourdine sèche (« Pixie » plus courte) pour des effets « jungle » à la Bubber Miley (cornettiste de l’orchestre de Duke Ellington dans les années 20).
Dans les grands orchestres de danse des années 30 et 40, on utilisait le « Tuxedo Plunger », identique au plunger mais fabriqué en carton, et aussi la « Derby mute », sorte de chapeau melon en aluminium quelques fois garni de matériau absorbant, que toute la section de trompettes faisait aller et venir devant le pavillon dans un geste ample et synchronisé, très spectaculaire.
Bucket – Velvet
La « Bucket mute » et la « Velvet mute » s’utilisent en big band pour atténuer la brillance du son de la trompette (résultant de l’utilisation d’embouchures très relevées à queue étroite) pour certains passages musicaux, ou comme alternative au bugle.
Ces deux sourdines sont formées d’un récipient cylindrique contenant du coton ou une autre fibre absorbante, qui se place devant le pavillon et amortit les harmoniques aiguës. La « Bucket » modifie plus le son que la « Velvet » car elle se fixe dans le pavillon comme une sourdine sèche, réduisant sa section efficace, tandis que la « Velvet », accrochée par trois clips au bord du pavillon, n’a pas d’effet sur les graves de la trompette.
A noter que l’on peut simuler le son de la velvet en jouant le pavillon dans le pupitre, noté : « in stand » sur la partition, ou, comme dans les big bands des années 40, dans un chapeau en carton posé sur un stand à côté de l’instrumentiste (« in hat »).
Il existe aussi des « Bérets » en feutrine (plutôt pour les trombones), beaucoup moins encombrant qu’une « Velvet » et assez efficaces…
Solotone – Cleartone
La sourdine « Solotone » ou « Cleartone » est une sorte d’hybride entre la sourdine Sèche et la sourdine Harmon. Cette sourdine était souvent utilisée dans les orchestres swing des années 1930-1940 et on trouve encore des arrangements qui la demandent. Le son est voisin de celui d’une Wa-wah ouverte (sans mettre la main devant).
Juste pour le fun : il existe un système de sourdine incorporée à l’instrument du cornet « à écho » dans lequel un quatrième piston dévie la colonne d’air vers un second pavillon de forme quasi fermée. Ce dispositif ingénieux permet de passer instantanément du son ouvert au son bouché. On a même construit des trompettes à écho sur le même principe.
Les sourdines altèrent la justesse de l’instrument (quel que soit le modèle de la sourdine) le diapason monte plus ou moins selon le modèle, il est donc important de se ré- accorder. Cet aléa est donc à prendre en compte pour l’arrangeur, notamment, il doit laisser du temps à l’instrumentiste pour mettre ou enlever sa sourdine et s’accorder entre un passage joué « ouvert » et un passage joué avec sourdine. Lorsque l’on souhaite que l’instrumentiste enlève sa sourdine, on note « open » sur la partition.
Globalement de nos jours, vous pouvez utiliser sans problème dans vos orchestrations : Straight, Cup, Harmon (pour les trompettes). Straight et Cup (pour les trombones). Tout instrumentiste « professionnel » se doit d’avoir ces sourdines dans sa boite. Il arrive que certaines formations investissent dans un jeu complet de sourdines d’orchestre. C’est encore mieux ! Car tout le monde joue alors avec le même modèle, ce qui favorise considérablement l’homogénéité du son des sections.
Merci à Michel Bonnet pour son aide précieuse et les petits extraits en solo …