Orchestration : Les effets

L’orchestration jazz et les effets

On peut sans aucun doute, attribuer la provenance d’un certain nombre d’effets produits par les instruments (notamment les cuivres et les anches), à la musique de jazz. 

Les chants des esclaves, worksongs et gospels, faisaient entendre une plainte et traduisaient souvent la peine, la misère. La première « blue note » (une tierce mineure jouée ou chantée sur un accord majeur) est vraisemblablement à l’origine de ce lexique purement jazz, et en tous cas du « bend », car elle est très souvent jouée ou chantée avec une inflexion notoire. Cette « blue note » crée une ambiguïté tonale, renforcée par l’inflexion. Plutôt employé par les saxophones qui veulent imiter les inflexions de la voix, on entendra le bend joué plus tard de façon appuyée et rarement sans inflexion, par des trompettistes et des trombonistes.

Bend et Fall. Bob Brookmeyer

Le « Bend »

Cet effet « bend » (on joue la note en l’attaquant par dessous et non de façon franche) sera très vite employé sur d’autres notes que les « blue notes » et notamment par les saxophonistes (Johnny Hodges chez Duke Ellington) et même par des sections entières (Marshal Royal, lead alto chez Count Basie par exemple).

La sourdine plunger avec le mouvement fermé/ouvert « wa », peut imiter cet effet (voir article sur les sourdines).

Bend et Vibrato. Johnny Hodges chez Duke Ellington
Bend. Marshal Royal chez Count Basie

Le « Growl »

Parmi les effets « primaires » du jazz, il s’en trouve un qu’affectionne particulièrement Duke Ellington dans sa période « jungle » des années 25/30, mais qui est déjà utilisé dans le style New-Orleans, il s’agit du « growl ».

Le « growl » suggère un grognement. On le fait en utilisant la technique du soufflé-chanté (moduler sa voix en contractant les muscles de la gorge en même temps que l’on souffle dans son instrument).

Il ne faut pas confondre le Growl avec le Flatterzunge (abrégé « flat » sur les partitions) qui résulte d’un martèlement de la langue entre les dents et le palais (un peu comme lorsqu’on roule les r) pendant le jeu, ou encore le double-son, utilisé dans la musique contemporaine, pour lequel l’instrumentiste chante une note en voix de gorge tout en continuant à en jouer une autre.

Le Growl est utilisé par les cuivres, les bois et le saxophone. Quelques illustres exemples dans le jazz : Cootie Williams (Tp) Earl Bostik (Alto sax).

Growl. Cootie Williams (Tp)
Growl. Earl Bostik (Sax)

Cet effet est rarement utilisé par des sections entières, mais plutôt par des solistes.


Le « Glissando »

Le glissando ou glissato (du français « glisser ») est un terme d’origine Italienne qui désigne soit un glissement continu d’une note à une autre, soit le passage d’une note à l’autre par un groupe de notes intermédiaires.

Il consiste dans l’élévation ou l’abaissement constant et progressif de la hauteur d’un son, obtenu de diverses manières selon les instruments.

Le glissando proprement dit est celui que peut produire la voix humaine, un instrument à cordes comme le violon (en faisant glisser le doigt sur une corde) ou le  trombone à coulisse ; dans ce cas on ne perçoit pas le passage entre les notes parce que la transition se fait sans discontinuité. On parle alors de « portamento » ou « dégueulando ».

Le terme s’applique également à des effets avoisinants comme ceux réalisables par les instruments à clavier, la plupart des cuivres, et les instruments à cordes pincées.

Pour les cuivres, glissato indique souvent l’exécution de la série des notes harmoniques exécutables sans changer de position.

Le trombone, grâce à sa coulisse, peut effectuer aisément un véritable glissato. Une des difficultés majeures pour les trombonistes est justement d’éviter les glissati entre les notes (le staccato/legato est en effet difficile à réaliser dans la rapidité). L’effet de glissando est maximal au trombone, dans l’intervalle qui sépare la première de la septième position.

Le cor peut obtenir un effet de glissato efficace grâce à l’action combinée de la main et des lèvres.

Chez les bois, l’exécution instrumentale de la musique du vingtième siècle a exploré la possibilité du glissando sur pratiquement tous les instruments de la famille.

Sur les instruments les plus petits, ( Hautbois, clarinette), le fait que l’instrumentiste utilise directement la pulpe des doigts pour boucher les trous rend possible le véritable glissato, obtenu en découvrant graduellement et successivement la superficie de chaque trou ; pour la flûte, c’est également possible pour les modèles dont les clés sont percées.

Sur le saxophone, dont les trous sont ouverts et fermés en actionnant des clés, il est toutefois possible de « glisser » sur l’intervalle qui sépare deux notes en modifiant la position des lèvres, ce qui, combiné avec l’action des mains, permet d’obtenir un effet très semblable au véritable glissato. Certains saxophonistes parviennent toutefois à s’affranchir de cette difficulté technique en « glissant » sur plus de notes par une technique combinée des doigts, des lèvres et de la gorge

Le glissando le plus célèbre est sans doute celui que joue la clarinette au début de la Rhapsody in Blue de G.Gershwin (Rappelons toutefois qu’à l’origine, Gershwin avait écrit une gamme chromatique). 

Glissando. Rhapsody in Blue

Le « Subtone »

L’effet « subtone » quant à lui, est réservé aux anches (saxophones et clarinettes). C’est un effet de souffle, plutôt dans le registre grave de l’instrument et dans une nuance piano. Le son subtone est le contraire du son timbré. En jazz classique il est souvent associé au vibrato, Ben Webster, Stan Getz et Paul Desmond (entre autres) jouant eux de façon plutôt détimbrée. (Subtone : Les saxes ténors dans « For Lena & Lenie » de Quincy Jones).

Subtone/Vibrato. Ben Webster
Subtone. Stan Getz
Subtone. Paul Desmond
Subtone. Quicy Jones

Le « Vibrato »

Le « vibrato » est une modulation périodique du son d’une note. La nature de cette modulation dépend de la nature de l’instrument et de la technique qu’utilise le musicien.

L’effet vibrato est le premier effet à avoir été créé de manière électronique. Il consiste à prendre le signal de l’instrument et de varier rapidement sa fréquence. En d’autres termes, on fait varier la hauteur du son autour de sa tonalité.

Dans le chant, l’intensité n’est en général pas maintenue constante et la modulation périodique concerne à la fois la hauteur et l’intensité, dans des proportions variables selon la technique. Pour les instruments à vent, la modulation périodique est obtenue par le diaphragme, mais concerne cependant davantage l’intensité que la hauteur. 

Comme tous les effets de nuance, le vibrato apporte une expressivité particulière selon la façon dont il est effectué : rapidement ou lentement, de façon fluide ou saccadée. En jazz, principalement utilisé dans les styles traditionnels (Sidney Bechet, Harry James), son utilisation s’est peu à peu raréfiée avec les styles plus modernes. Il s’agit essentiellement d’un effet de soliste, car il ne supporte pas bien « l’harmonisation » et notamment l’harmonisation « tendue » à partir des années 50/60. Dans les sections de big bands des années 30 et 40, le vibrato est cependant assez répandu, et plus particulièrement dans la section de saxophones.

Vibrato. Sidney Bechet (Sax)
Vibrato. Harry James (Tp)

Le « Fall », le « Shake »

Le « fall » (tomber) et le « shake » (secouer), sont des effets plutôt utilisés en sections dans les big bands. Harry Edison à la Tp utilise cependant le fall dans le « Sweet Lorraine » avec Nat King Cole dans l’album « After Midnight ».

Fall. Harry Edison (Tp)

Le « fall » peut être court (« short ») ou long (« long »), c’est un glissando descendant, « lâché », sans note d’arrivée.

Fall (long) Marty Paich

Le « shake » ne doit pas se confondre avec un trille, il est produit par un effet de lèvres et parfois en secouant l’instrument.

Shake. Count Basie

Le « Half valve »

Il existe un autre effet qui concerne uniquement les instruments à pistons. Il s’agit du « half valve ». L’instrumentiste abaisse les pistons à mi-course (Rex Stewart « Swing Baby Swing » à 9 ‘’ et à 46’’, Glenn Miller « Saint Louis Blues March »).

Half valve (à 9″ et à 46″). Rex Stewart (Tp)
Half valve. Glenn Miller

Tous ces effets peuvent évidemment être utilisés dans l’écriture, dans le cadre d’un arrangement par exemple… Voici comment on peut les noter sur la partition :

La plupart des effets sont « cumulables » dans la même phrase, et parfois sur la même note …

Dans ce solo de 1938, le trompettiste Cootie Williams utilise à peu près tous les effets cités ! Bend, shake, growl, vibrato, fall…

Effets multiples. Cootie Williams

En musique contemporaine, comme en jazz actuel, beaucoup d’effets sont utilisés. 

Voici un exemple parmi tant d’autres, avec ce morceau très original et intéressant, tant au niveau des textures et mariages de sons (voir l’article sur l’orchestration), que sur la gestion des effets, et notamment des effets de groupe.

Allez ! Je vous laisse découvrir … Il y en a un peu partout, c’est très riche ! Il est tiré de l’album de Kenny Werner« Naked In The Cosmos” et interprété par le merveilleux Brussel Jazz Orchestra.

Effets et textures multiples. Kenny Werner « Naked In The Cosmos »

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