Timbres, volumes, combinaisons de sons, spatialisation, tessitures, intervalles.
En matière d’arrangement jazz, je dis souvent que ce métier en implique 2. On parle en effet souvent d’harmonisation (1er métier), mais moins souvent d’orchestration (2ème métier) : Le choix des instruments et des mariages de timbres…
Un peu comme sur la palette du peintre : Les instruments constituent les couleurs primaires, et les mariages que l’on peut faire entre eux, sont autant de couleurs personnelles qui font l’identité de l’artiste…
L’équilibre d’un ensemble est très fragile et sensible aux différents timbres et volumes des instruments qui le composent.
La gestion des timbres, des volumes sonores et des nuances est extrêmement importante pour une bonne tenue de l’orchestration.
Le problème se pose de fait beaucoup moins pour un ensemble d’instruments appartenant à la même famille, et qui auront donc plus ou moins le même timbre ou la même intonation (Ensembles de Tb’s, Tp’s, Saxophones, ensembles de bois, ensembles de cuivres).
Attention cependant aux saxophones ! Les deux tonalités de Sib pour le soprano, le ténor et le basse et Mib pour l’alto et le baryton, peuvent constituer un obstacle à la justesse d’un unisson. Méfiance également et toujours pour les saxes : plus ils sont petits, moins ils sont justes !
Selon que l’on distribue (pour un même arrangement ou voicing) les voix à tel ou tel instrument, la couleur de l’accord peut s’en trouver complètement changée. Par exemple, une note que l’on veut faire ressortir dans un accord, devra être jouée par un instrument qui est capable de la faire ressortir. Soit parce qu’il a un volume suffisant à la tessiture voulue, soit parce que son timbre est particulier, ou encore, qu’il est utilisé à contre-emploi dans un registre inhabituel (comme chez Ellington « Hersay Or Orson wells » Deep South Suite, où le sax baryton joue dans le suraigu).
D’où l’importance de connaître parfaitement les instruments pour lesquels on écrit (voir tableau des tessitures).
Les familles d’instruments dans le jazz
Deux grandes familles de « soufflants » dans un big band ou un médium band de jazz :
Les cuivres et les anches. La flûte est occasionnellement jouée par les saxophonistes, et les anches doubles (hautbois, cor Anglais et basson) sont très peu utilisées (dommage…)
Les cuivres (trompettes et trombones, voire les cors et tubas) sont des instruments brillants et sonores (les nuances pp et ppp sont cependant bien entendu réalisables). Ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est l’enveloppe du son et la façon dont il est émis et diffusé. Acoustiquement parlant, les trompettes, mais surtout les trombones, « arrosent ». La note est jouée et aussitôt se diffuse dans l’espace.
Les anches (saxophones et clarinettes) sont plus « précis » dans l’émission du son, et diffusent ou « arrosent » moins.
Ce n’est pas un hasard si les quintets de jazz les plus célèbres sont composés d’un cuivre et d’une anche (pour permettre des unissons alliant une large diffusion du son et sa précision d’émission). Charlie Parker & Dizzy Gillespie. Lee Morgan & Benny Golson, Miles Davis & John Coltrane etc…
Dans la réalité, comment utiliser ces instruments ?
Si on considère que l’on connaît la tessiture de chaque instrument, il faut aussi en connaître les points forts et les points faibles, ce qui est « jouable » et ce qui ne l’est pas.
Le saxophone ténor par exemple, peut sonner formidablement dans l’aigu voire le suraigu.
La clarinette, très boisée et sonore dans le bas de la tessiture, possède une série de notes « faibles » du Mi (première ligne) au La bémol (en ut) et se révèle très puissante dans l’aigu et le suraigu. De plus elle possède une fourche, au La 2ème interligne (clé d’octave qui transpose en réalité à la douzième) qui rend les sauts d’octaves ainsi que certains traits, difficiles à exécuter.
Le trombone avec son système de positions et sa coulisse, possède lui aussi un handicap dans la vélocité. 3 passages dans le médium grave, entre le La 1er interligne et le Do, nécessitent un grand mouvement de coulisse (de 48 à 57 cm). (Voir tableau plus bas).
On a compris qu’il fallait choisir avec soin les instruments auxquels on attribue une voix ou une autre, en fonction de la couleur ou du climat désiré de la hauteur de la note ou du voicing et de la rapidité du trait. Le principe s’applique pour deux voix comme pour dix.
En ce qui concerne les unissons, il y a quelques pièges à éviter :
Les trompettes à l’unisson dans l’aigu, c’est possible, mais pas très joli. Jamais 4 à l’unisson dans l’aigu, mais 2 ou 3 en haut et une qui double à l’octave grave, pour donner de l’épaisseur et éviter le « phasing ».
Un unisson de trombone se fait à 3 ; à 2 il est faible, ou alors on le double avec 2 saxes ténors.
Le vibraphone, la guitare (électrique ou électro-acoustique) ou le piano peuvent être utilisés au sein de la section de soufflants, pour créer un effet, un renfort du lead. Le piano, dans le grave, peut également venir « préciser » une contrebasse. De même, un unisson guitare/piano, sax soprano/piano, guitare/bugle, vibraphone/flûte (par exemple) peut se révéler très efficace.
En ce qui concerne les sourdines, très utiles pour colorer, un article vous tend les bras ….
Les mariages et combinaisons d’instruments
Lorsqu’en Big Band, on écrit en « paquets » (« Big Shout »), les mariages sont en quelque sorte imposés. Il n’en va pas de même lorsqu’on écrit à 3, 4, 5 ou 6 soufflants. Pour être équilibré, votre voicing doit être joué avec des instruments de même volume (ou approchant). En clair, une flûte, une clarinette dans le médium, entourée de trompettes, trombones ou saxophones, aura peu de chances de se faire entendre (A moins que ce ne soit une volonté délibérée). La flûte ou la clarinette en question pourra tirer son épingle du jeu, si vous lui faites jouer le lead dans l’aigu ou le médium aigu et encore mieux, si elle est doublée par une guitare ou un piano, voire une trompette bouchée…
Si vous écrivez pour un ensemble qui comporte des instruments au volume « naturel » disparate, choisissez avec soin le registre dans lequel vous allez les utiliser, en fonction des variations de nuances (du pp au ff) désirées…
Le problème se pose souvent de savoir, à tessiture égale, quel instrument employer, pour jouer quelle voix… Ici, à tempérament et volume égal, c’est affaire de goût. Personnellement, à quatre voix par exemple, avec Tp, Tb, Alto, Ténor, je préfère toujours mettre le Tb en bas et le ténor au-dessus… Le Tb est plus « épais » et consistant dans le grave. Cette formule (Tp,Tb, Alto, Ténor) permet pas mal de combinaisons, et notamment d’avoir le lead dans l’aigu, soit à la Tp, soit à l’alto.
La formule « 4 soufflants » a toujours attiré les arrangeurs… Voici quelques exemples, avec des instrumentations différentes.
Sauf pour doubler un lead (parfois à l’octave inférieure ou supérieure), on ne double jamais une voix sans doubler les autres voix, sous peine de déséquilibrer l’ensemble du voicing.
Que faire lorsqu’on a un orchestre de jazz et qu’on veut entendre dans son arrangement, des instruments que l’on n’a pas dans l’ensemble pour lequel on écrit ?
Avec certains mariages, il est possible de créer artificiellement des instruments absents de l’orchestre…
Un unisson avec une trompette munie d’une sourdine harmon et un sax soprano donne un hautbois très honorable, de même qu’un trombone harmon et un ténor peuvent faire entendre un basson.
Un sax alto dans l’aigu et une flûte peuvent simuler le violon, un sax ténor et une trompette munie d’une sourdine cup : le violoncelle.
Dans le domaine de l’orchestration, à l’instar de la palette du peintre ou des épices pour le cuisinier, tous les mélanges sont possibles ou envisageables…Tout est question de dosages et de nuances, et les combinaisons sont infinies.
La spatialisation du son
Un mot sur la spatialisation du son.
La place au sein de l’orchestre, du ou des instruments que l’on veut mettre en valeur, est aussi très importante pour la compréhension de votre orchestration.
Un exemple : dans un big band, si on veut un unisson large, il vaut mieux le faire jouer par des musiciens éloignés les uns des autres, il sera mieux diffusé au sein de la masse sonore de l’orchestre et on aura une sensation de largeur de son (on crée en quelque sorte, une stéréo naturelle). A contrario, si l’on veut « pointer » vraiment cette ligne d’unisson et attirer l’oreille de l’auditeur dans un « coin de l’orchestre », on rapprochera les uns des autres, les musiciens qui jouent cet unisson.
Ce phénomène de spatialisation est important, et c’est notamment pour cela que dans la disposition des sections de saxes, de trombones et de trompettes dans le big band, on a coutume de placer le lead (1ère voix) au centre de la section, car c’est la voix qui attire le plus l’oreille, et qui fera entrer l’auditeur au cœur de l’orchestre.
Les tessitures
Règle d’or : Si vous ne connaissez pas l’instrumentiste, écrivez dans le registre usuel de l’instrument ! Cela vous évitera des déconvenues…
Voici les tessitures usuelles des principaux instruments des orchestres de jazz
Le « Pain bénit » des arrangeurs : Les instruments ayant 3 ou 4 octaves de tessitures, et qui sonnent bien dans tous les registres. La clarinette (et clarinette basse), le cor, le basson, le saxophone ténor (qui peut étendre son registre avec le suraigu et l’utilisation d’harmoniques). Attention cependant, comme je le disais plus haut, aux notes « faibles » et à la « fourche » pour les clarinettes, et à la gestion du suraigu pour le sax ténor (La plupart des saxophonistes ténor peuvent jouer jusqu’au contre fa. Au-dessus, il faudra prendre en compte l’individu et connaître ses possibilités).
Les Intervalles
Ce que l’on peut faire et ne pas faire lorsque l’on orchestre …
Voici un tableau définissant la limite GRAVE à ne pas dépasser pour chaque intervalle, quels que soient les instruments. Cette règle peut être transgressée pour créer un effet, mais dans la majorité des cas, il convient de la respecter pour ne pas risquer que votre accord soit inaudible.
J’espère que ces quelques conseils et « ficelles » vous permettront d’y voir plus clair, dans le monde parfois obscur de l’orchestration…
Merci, intéressant et judicieux !
Je me suis souvent contenté d’unissons à 2 trombones (confondant sans doute avec 2 cors, pur lesquels ça sonne à la perfection), je veillerai à ne plus le faire 😉
Sauriez-vous, par hasard ou par science, si l’effet d’une trompette bouchée doublée à l’unisson ou à l’octave par une flûte est bon ou mauvais ?
Cordialement,
Frédéric Allinne (alias Digital Inn)
Bonjour Frédéric, l’unisson trompette bouchée et flûte fonctionne parfaitement, pareil si la flûte est à l’octave supérieure.