Le big band (Grand orchestre), est le standard de grande formation utilisé dans le jazz. Imaginé vers le début des années 20, il est encore utilisé de nos jours. Le big band est régi par la loi des « sections », ou ensembles d’instruments d’une même famille (On parle de « pupitres » dans l’orchestre classique), mais la différence principale réside dans le fait que dans le Big band, chaque voix est unique (Dans l’orchestre classique, les voix sont doublées, triplées, quadruplées…).
NB : Cet article contient des audios représentatifs. Les images de pochettes d’albums vous renvoient à des liens YouTube pour écouter les artistes. Parfois les noms de musiciens ou de groupes aussi. Enfin, une sélection de liens intéressants vous attend également en fin d’article…
La formule du big band a subi des modifications au fil des ans, d’abord constituée de 3 anches (Clarinettes jouant le saxo), 2 cornets, 1 trombone et une section rythmique, la nomenclature va se standardiser au début des années 30. On trouvera alors : 3 ou 4 trompettes, 3 trombones, 5 saxophones (2 altos, 2 ténors et un baryton) et une section rythmique (Piano, contrebasse, batterie et guitare). Le quatrième trombone (Trombone basse) n’arrivera dans la section que dans les années 60.
LES PREMICES…
Pendant toute la période des années 10 et début des années 20, la musique de jazz était jouée (à la Nouvelle-Orléans, comme dans la plupart des grandes ville des Etats-Unis), par des orchestres plus ou moins issus des fanfares, avec un instrumentarium souvent hétéroclite, de 6 à 10 musiciens. (Lire l’article : « Les instruments dans le jazz »)
Il n’y avait alors pas de partitions, et les musiciens jouaient en « improvisation collective ». Les rôles étaient plus ou moins prédéfinis, et régis par quelques codes mélodiques et harmoniques : Les cornets et violons restaient près de la mélodie, les clarinettes brodaient plutôt en croches dans le registre aigu, les trombones soutenaient les fondamentales avec la basse et faisaient des relances à l’aide de leurs coulisses. Ces codes, ajoutés à la structure harmonique du morceau, permettaient que cette improvisation collective ne se transforme pas en cacophonie !
Certains orchestres comme le « King Oliver Creole Jazz Band », les « Hot Five » et « Hot Seven » de Louis Armstrong, ou le « Bix Gang » de Bix Beiderbecke, démontraient de manière édifiante que la collective, quand elle atteignait ce degré de perfection et d’intelligence, pouvait faire penser qu’elle était intégralement écrite !…
LE CONTEXTE SOCIO-MUSICAL…
Au début des années 20, la prohibition va être instaurée aux Etats-Unis (de 1920 à 1933). Cette période va voir fleurir un peu partout des bars clandestins d’une part, mais aussi des ballrooms (dancings). Les Américains ont besoin de se changer les idées, de s’amuser. Dans ce contexte, le jazz va se développer très rapidement, et les orchestres vont bientôt littéralement crouler sous les engagements…
Nous sommes aux Etats-Unis et pas à Saint-Germain-Des-Prés ! Les dancings qui s’ouvrent un peu partout ne sont pas les petites caves Parisiennes, et ces Ballrooms peuvent parfois accueillir plus de 1000 danseurs… Dans ces conditions, les orchestres de 8 à 10 musiciens ne semblent pas assez sonores… Progressivement, sous la pression des directeurs de Ballrooms et grâce au talent des arrangeurs, la plupart des orchestres de l’époque vont finir par s’étoffer, pour atteindre à la fin des années 20, jusqu’à 20 musiciens…
C’est le début de l’ère des big bands, orchestres qui vont réunir des ensembles d’instruments de la même famille (trompettes, trombones, saxophones), organisés en « sections » et pour lesquels on utilisera à présent des partitions. Les arrangements laisseront cependant une large place à l’improvisation (Improvisation qui ne sera plus collective, mais individuelle…).
Les premiers essais…
Plusieurs sources s’accordent à dire que l’histoire du big band débute avec Fletcher Henderson au cours des années 1920. Le chef d’orchestre et arrangeur Afro-Américain forme un premier grand orchestre en 1924. Il se produit notamment au Roseland Ballroom de New York. C’est à cette époque que Fletcher développe, avec son arrangeur Don Redman, une nouvelle configuration musicale.
Cette structure novatrice qui comprend trois sections (anches, trombones et trompettes) et un trio ou quartet rythmique (batterie, basse, piano, guitare acoustique ou banjo), fera rapidement figure de standard. Au sein de ces formations généralement constituées de 16 à 20 musiciens, brillent souvent un ou plusieurs chanteurs et solistes. Le jeune Louis Armstrong jouera d’ailleurs dans l’orchestre de Fletcher en 1924/25, et son style d’improvisation marquera les autres solistes de l’orchestre…
Au milieu des années 20, Fletcher pose donc le standard de ce qui sera quelques années plus tard le BIG BAND.
Au début (1924), 2 cornets, 1 trombone et 3 anches (les 3 saxophonistes jouent de la clarinette), puis assez vite, dés la fin des années 20, 3 cornets, 2 trombones, puis 3 et 4 anches.
Dans le jargon des musiciens de jazz, on nomme cette première formule (2 cornets, 1 trombone, 3 anches et section rythmique) : « Formation Fletcher » (C’est un peu la « Formation Mozart » du jazz…)
D’autres pionniers…
Parmi les pionniers de cette formule embryonnaire qui deviendra le big band, nous devons également mentionner :
- Les « Red Hot Peppers « de Jelly Roll Morton de 1926 à 1930. De 1926 à 1928 à Chicago, puis à partir de 1928 à New York. Orchestre de 7 à 8 musiciens avec des arrangements écrits. Morton est à bien des égards, un des pionniers du jazz, c’est lui qui le premier, introduit la syncope de façon significative, et qui « jazzifie » le Ragtime. Il va être également un des premiers arrangeurs de l’histoire du jazz…
- Duke Ellington et les « Washingtonians » :
Elmer Snowden fonde en septembre 1923 les « Elmer’s Snowden’s Washington Black Sox Orchestra », pour un engagement de 6 mois au « Hollywood club » de Manhattan. Après seulement 3 mois, les musiciens évincent Snowden de son groupe et désignent à partir de mars 1924, le pianiste de l’orchestre, Duke Ellington comme nouveau leader. Rapidement, Duke va étoffer le groupe (qui comprenait 6 musiciens à l’origine), pour atteindre à la fin des années 20 une formation identique à celle de Fletcher Henderson. Progressivement à partir de 1927 l’orchestre, qui est engagé au Cotton Club (Harlem) finira par s’appeler « Duke Ellington Orchestra ».
La batterie (encore chez Fletcher avec son batteur Kaiser Marshall) est à l’origine du « balancement » typiquement swing qui va bientôt transfigurer la pulsation du big band. En effet, la musique dans ces années de transition, tend à passer d’un balancement à 2 temps, à une pulsation à 4 temps égaux. La batterie s’adapte et se transforme, avec l’invention de la pédale charleston (aux alentours de 1926) et fait entendre ce nouveau son si caractéristique. Le tempo swing sur la charleston est popularisé par des batteurs comme Lionel Hampton, Gene Krupa, Chick Webb ou Jo Jones, pour ne citer qu’eux. (Lire l’article : « La batterie dans le jazz »).
La contrebasse et la guitare évincent définitivement le banjo et le tuba (ou le saxe basse).
Nous sommes à l’aube des années 30, Le BIG BAND est né !
LA SWING ERA…
Les anciens styles de jazz sont regroupés sous la dénomination : 2 beat jazz (jazz à 2 temps). Ce rythme qui vient des fanfares de la Nouvelle-Orléans paraît s’épuiser vers la fin des années 20. A Harlem (quartier noir de New York), et plus encore à Kansas City (berceau du Boogie Woogie), une forme nouvelle se développe en 1928 /29, sous l’influence de musiciens comme Bennie Moten, Count Basie et un peu plus tard, Jay McShann.
Ce nouveau style se présente comme un 4 beat jazz (jazz à 4 temps), l’accent étant mis de manière égale sur tous les temps. C’est aussi le style Riff (une phrase répétée plusieurs fois sur des harmonies différentes). Ce nouveau rythme va faire danser des millions de gens aux États-Unis comme en Europe, jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale… La période Swing commence donc avec le deuxième exode de l’histoire du jazz, de Chicago à New York…
Ça va mal, et pourtant…
Les années 30 commencent plutôt mal en Amérique : le krach de Wall Street en 1929 est l’amorce d’une crise économique sans précédent qui durera jusqu’en 1934. La privation engendrée par la prohibition est à présent cumulée à la récession économique. La prohibition avait permis le développement et l’essor des orchestres de jazz, le Krach va pour sa part avoir des effet plus néfastes… La crise n’est pas sans conséquence sur les musiciens, en particulier s’ils sont noirs : beaucoup d’entre eux sont forcés de quitter la profession de musicien tandis que les orchestres licencient, et que les maisons de disques font faillite (la consommation de disques aux Etats-Unis chute de 100 millions en 1927 à seulement 6 millions en 1932 et la vente de phonographes de 1 million à 40 milles). Pourtant, au début de la crise tout au moins, la récession ne touche pas obligatoirement tous les orchestres. Duke Ellington par exemple, continue ses activités et le Cotton Club à New York reste ouvert.
A la même époque, Kansas City, ville industrielle frontière entre les Etats du Missouri et du Kansas, échappe sensiblement à la crise qui sévit dans le Nord et attire les musiciens sans travail : c’est dans les bars tels que le Sunset ou le Cherry Blossom que vont s’élaborer les « riffs » qui donneront naissance au style Kansas City, dont le représentant le plus emblématique est sans aucun doute Count Basie.
La crise est là, mais les gens veulent s’amuser et chasser leurs soucis… En réponse à la demande populaire, le jazz se transforme : le blues exprimant la douleur d’un peuple (Celle des Afro-Américains) recule au profit d’un répertoire composé essentiellement de chansons (les « songs », souvent tirées de comédies musicales jouées à Broadway), dont beaucoup deviendront des standards encore joués de nos jours (Lire l’article « le répertoire du jazz »). La préférence est à présent donnée aux grands orchestres, qui animent les dancings. Pourtant, l’improvisation qui est au cœur du jazz ne disparaît pas : elle se développe même, portée par ce nouveau support organisé qu’est le Big band. Grâce à de talentueux solistes que furent Coleman Hawkins, Johnny Hodges ou Lester Young, l’esprit du jazz perdure, tandis que le recours aux arrangements orchestraux enrichit considérablement la palette sonore. Des arrangeurs comme Fletcher Henderson, Don Redman, Sy Oliver ou Benny Carter, deviennent rapidement des personnages aussi indispensables que les solistes.
C’est Don Redman lui-même qui, dès 1931, va définir la structure des 4 sections d’un big band moderne : 4 saxophones (un cinquième viendra s’y adjoindre en 1933 chez Benny Carter), 3 ou 4 trompettes, 3 trombones et une section rythmique constituée d’un piano, d’une guitare, d’une contrebasse et d’une batterie. L’orchestre est à présent disposé par « rangées » d’instruments identiques, dans un ordre quasiment immuable…
L’IMPORTANCE DE LA RADIO ET LE TRUST PROGRESSIF DES BIG BANDS “BLANCS » …
Une invention déjà au point dans les années 20, mais qui n’est pas encore présente en masse dans les foyers, va faire son entrée dans le monde des médias « modernes » et venir épauler le phonographe (déjà très répandu au début des années 30), pour participer à la promotion et à la diffusion du jazz : La radio !
Comme souvent dans le domaine de la technique, les premières applications sont militaires (1899). Dés 1920, les premières radiodiffusions quotidiennes apparaissent, à Pittsburg et Washington (Station KDKA). L’âge d’or du swing et du Big band coïncide avec l’arrivée de la TSF…
Tout le monde connait le succès et la notoriété mondiale qu’a eu, grâce à la TSF, l’orchestre de Glenn Miller, d’abord à New-York en 1938, puis basé à Londres pendant la seconde guerre mondiale… Glenn Miller Broadcast 1938-1940
Les big bands blancs s’approprient le swing…
Franklin Delano Roosevelt, élu Président des Etats-Unis en 1932, met en œuvre le « New Deal », un plan économique destiné à combattre la crise. C’est aussi cette année-là qu’en s’inspirant des grands orchestres noirs en vogue, le très influent clarinettiste et chef d’orchestre blanc Benny Goodman décide de constituer sa propre grande formation. Grâce à ses émissions de radio sur NBC, il cristallise sur son nom la vogue du courant Swing : cette musique au tempo enlevé et à la pulsation régulière. Aidé par Fletcher Henderson qui vient de dissoudre son orchestre faute de travail, et qu’il recrute comme arrangeur, Goodman apporte au jazz une reconnaissance et une popularité qu’il n’a jamais connues auparavant.
Benny Goodman est un virtuose de la clarinette, capable de jouer aussi bien le jazz que le classique (il inventera d’ailleurs une sorte de jazz de salon avec ses petits combos), et il a su s’entourer des meilleurs musiciens blancs de l’époque : les trompettistes Bunny Berigan et Harry James, le pianiste Jess Stacy et surtout, le spectaculaire et brillant batteur Gene Krupa qui n’est pas pour rien dans le succès de l’orchestre. Benny Goodman sera sacré « Roi du swing » au Carnegie Hall de New-York en 1938.
Ironie du sort : paradoxalement, Benny Goodman qui cristallise bientôt la colère montante des musiciens noirs, n’hésite pas à affirmer, voir à imposer sa solidarité avec le jazz noir. En effet, il dirige en même temps que son big band, de petites formations (du trio au sextette) au style original au sein desquelles il va engager des musiciens noirs comme Teddy Wilson, Lionel Hampton, Cootie Williams, Count Basie ou, plus tard, Charlie Christian. C’est aussi en compagnie de Benny Goodman que Billie Holiday enregistra son premier disque en 1933. Et c’est bien un vrai groupe de jazz mixte qui pénètrera triomphalement au Carnegie Hall en janvier 38…
La passion du public pour le Swing entraîne alors l’apparition de centaines de grands orchestres, pour la plupart blancs. On les entend dans toutes les émissions de radio et chaque hôtel veut son orchestre ! L’histoire n’a retenu que les noms des meilleurs : ceux de Tommy Dorsey, Artie Shaw, Glenn Miller, Harry James, Benny Berrigan…
Les orchestres noirs résistent…
Bien entendu, il faut tout de même compter en cette seconde moitié de la décennie avec les orchestres noirs qui réussissent à survivre, comme celui du chanteur Cab Calloway, qui remplaça Ellington au Cotton Club en 1932, ou celui du légendaire batteur Chick Webb qui rencontra à l’hiver 1934 une orpheline de Harlem nommée Ella Fitzgerald, et surtout le big band de Jimmy Lunceford, le seul en 1938 à tenir tête à l’orchestre d’Ellington.
Impossible de parler de ces années 30 sans mentionner le style propre à Kansas City dont le quartier réservé, protégé par les hommes politiques (dont le fameux maire Tom Pendergast), accueillit les musiciens et fit prospérer le jazz.
Basé sur le blues et le boogie woogie, les orchestres de Kansas City élaborent des thèmes simples mais efficaces et utilisent souvent des phrases musicales courtes de 2 ou 4 mesures appelées « riffs » qui, répétées en contrepoint, font naître le swing et apportent une dynamique nouvelle à l’orchestre, une sorte d’élasticité naturelle inconnue jusque-là. La formation de Bennie Moten, (les Twelve Clouds Of Joy d’Andy Kirk, les Rockets d’Harlan Leonard), et les orchestres de Count Basie (qui monte son propre big band en 1935) et de Jay Mc Shann en sont les illustres représentants.
Au titre de comparaison, voici deux versions (Une « blanche », une « noire ») du célèbre « In The Mood » (Composé par Joe Garland et non pas Glenn Miller comme on l’entend souvent… D’ailleurs, Joe Garland a lui-même repris un « Riff » des années 20 « Tar Paper Stomp » enregistré en 1930 par le trompettiste Wingy Manone…).
L’ARRIVEE DU BEBOP ET LA DECADENCE DES BIG BANDS
Vers la fin des années 30, le swing est devenu une gigantesque entreprise commerciale. Le mot « swing » étant utilisé comme un outil promotionnel pour vendre toutes sortes de biens de consommation.
Le style « swing » dont les noirs sont à l’origine, a été subtilisé et détourné par les orchestres blancs qui grâce à l’essor de la radio, acquièrent une notoriété bien supérieure aux orchestres noirs !
La coupe est pleine, et l’arrivée de quelques musiciens novateurs comme Charlie Parker, Dizzy Gillespie (et un peu plus tard Miles Davis), sur un fond de révolte et de revendication, va annoncer un nouveau style provocateur et engendrer le déclin des Big bands…
Le retours des petites formations…
Au début des années 40, la jeune garde des musiciens New-Yorkais qui se réunit au club le « Minton’s », élabore un nouveau style qui va remettre les petites formations sur le devant de la scène. Des thèmes alambiqués joués à l’unisson, une harmonie complexifiée, des tempos rapides… Cette nouvelle musique semble incompatible avec la danse, et d’ailleurs les jeunes musiciens noirs revendiquent haut et fort le fait que le jazz doit s’affranchir de son héritage « festif », voire « utilitaire ». On doit en finir avec l’obligation de « faire le show », voire le clown, de « sur-jouer » (Joséphine Baker et la « revue nègre », Cab Calloway…), pour vivre de son art et faire passer le message artistique comme social.
Il n’est à présent plus question de galvauder, ni stigmatiser cette musique, considérée comme un étendard socio-culturel par la communauté Afro-Américaine…
La majeure partie des musiciens noirs se détournent alors de la formule du big band qui a consacré le jazz blanc.
Le big band ne veut pas s’éteindre et tente d’évoluer…
Les big bands qui subsistent sont principalement des orchestres blancs, qui continuent à faire danser jusqu’à la fin de la guerre.
Pendant cette période, Duke Ellington qui ne ferme pourtant pas boutique, s’oriente déjà vers un jazz plus « écrit », plus sophistiqué, qui s’écoute et ne se danse pas obligatoirement. Pour Duke, la fin des années 30 et le début des années 40, coïncide avec l’écriture des premières « suites » pour big band (« Reminiscing In Tempo » 1935, « Black Brown & Beige » 1943, « Deep South » 1945). Il va faire sortir le big band du carcan de la forme jazz des chansons, pour flirter avec la musique symphonique (« Harlem » en 1940 et version symphonique en 1950). Cette nouvelle « métrique » permet également à Duke de mettre en valeur de formidables solistes : Ben Webster, Coleman Hawkins, Johnny Hodges, Cootie Williams, Jimmy Hamilton…
Cette nouvelle utilisation du big band ne rencontre toutefois pas le succès, tout du moins les premières années (La frénésie du Bebop a fait son œuvre). Il faudra attendre la période « Cool » des années 50, pour que ces longues pièces concertantes soient enfin plébiscitées par le public. Duke Ellington est, à bien des égards, l’un des principaux artisans du big band moderne. Ce qu’il écrira, associé au génie de Billy Strayhorn (qu’il engage comme pianiste et arrangeur en 1939 et jusqu’au décès de celui-ci en 1967), pendant toute cette période, compte parmi les plus belles pages de l’histoire du big band.
Double paradoxe : Dizzy Gillespie, l’un des « jeunes loups » du Bebop et créateur principal avec Charlie Parker de ce style frondeur, sera un des plus grands « pitre » de l’histoire du jazz, et va former son propre big band en 1945… Mais le succès n’est pas au rendez-vous. Une autre tentative en 1947 sera beaucoup plus convaincante. Avec la composition « Manteca », il jette les bases du jazz afro-cubain (Plus tard : Tito Puente).
Invité à Paris par Charles Delaunay au salon du Jazz, Dizzy créera en 1952 son troisième big band.
A cette période également, un autre saxophoniste et meneur d’hommes va tenter, à contre-courant, l’aventure du big band (de 1936 à 1949, par intermittences) : Il s’agit de Woody Herman. C’est pour ce big band qu’Igor Stravinsky écrira en 1945 « Ebony Concerto ». On retiendra notamment de cet orchestre, la formidable section de saxophones : les « Four Brothers » (les ténors : Stan Getz, Zoot Sims, Herbie Steward, puis Al Cohn, et le Baryton Serge Chaloff).
Toujours dans cette période trouble pour les big bands, il faut citer le « laboratoire musical » de Stan Kenton, pianiste et chef d’orchestre, qui forme son big band en 1942. Le style de l’orchestre est d’emblée différent des big bands de danse de l’époque, et résolument tourné vers le jazz « West Coast », dont il sera l’une des figures de proue. L’arrangeur Pete Rugolo engagé à la fin des années 40, va pousser plus encore l’orchestre vers un jazz « progressiste ». Le chef-d’œuvre d’arrangement pour cette formation, reste pour moi l’extraordinaire version de « West Side Story » enregistrée en 1963. L’instrumentarium utilisé par Kenton peut parfois flirter avec la démesure Wagnérienne ! 6 trompettes, 6 trombones (dont 2 trombones basse), 6 saxes (dont 2 barytons), 4 mellophones (sortes de cors en fa, en forme de bugle), et une section rythmique parfois sur-boostée (2 batteries, 2 basses, guitare, piano, percussions) …
On peut aussi citer l’éphémère Big band (1946-47) de Charlie Ventura qui débuta chez Gene Krupa.
Une autre tentative pour faire perdurer le Big band, viendra de la revue « Métronome Magazine ». Le « Metronome All Stars » rassemblera des musiciens pour des sessions d’enregistrement, durant les années 1939-1942, 1946-1953 et 1956. Les styles oscillent logiquement entre Swing et Be-bop. Le concept étant que chaque musicien du pupitre est autorisé à faire un solo (Dans le Big band « classique », il y a seulement un ou deux solistes dans chaque section). A chaque session, deux titres seulement étaient enregistrés. Un nombre impressionnant de stars du jazz participera à cette aventure (Tous les détails des sessions sont ICI).
LA PERIODE WEST COAST…
A la fin des années 40, et malgré les tentatives courageuses de la décennie passée (citées plus haut), le déclin annoncé des big bands, semble à présent inéluctable…
Les formules « étoffées « de cette période sont plus réduites (8 à 11 musiciens), hétéroclites, on y inclue volontiers des instruments iconoclastes ou inusités jusqu’alors, comme le hautbois, le basson, le tuba (qui intègre alors la section), le cor…
Miles Davis, qui quitte New-York pour rejoindre la côte ouest, sortira bientôt (En 1949) un album qui fera date et dont les arrangements originaux seront signés par Gil Evans, Gerry Mulligan, John Lewis et Johnny Carisi : « Birth Of The Cool ». Un medium band de 9 musiciens (trompette, trombone, cor, tuba, saxe alto, saxe baryton, piano, basse, batterie), faisant entendre des harmonies sophistiquées, une rythmique qui se fait très discrète (on ne doit plus danser !), un travail sur la forme.
Ce type de moyenne formation, tend à remplacer le big band (qui coûte cher et dont la formule est galvaudée). En 1957 Gil Evans, après avoir dirigé plusieurs grandes formations, créera la sienne. Là encore, il ne s’agira pas d’un big band traditionnel (4tp, 4tb, 5 saxes et rythmique). Chez Evans on entendra 3 trompettes, un cor, un ou deux trombones, un tuba, 3 ou 4 saxophones, une rythmique avec guitare (qui jouera des lignes dans la section et non plus des parties d’accompagnement).
LES ANNEES 50 ET 60, OU LA RESURRECTION…
On croyait la formule du big band, morte et enterrée, mais la voici qui va ressusciter !
Après l’arrivée du Bebop, puis du Cool, s’amorce celle du Hard Bop. La révolte socio-musicale des Afro-Américains gronde déjà depuis le début des années 50 (Le courant « Third Stream » et dans les années 60 l’» A.A.C.M »). A toute cette agitation, vient s’ajouter une période « Revival » du jazz traditionnel, en réaction au Bebop (de la fin de la guerre jusqu’au milieu des années 60). Sans compter que le Rock N’Roll déferle également sur les ondes !… Le public est un peu perdu (Et il ne sait pas encore ce qui l’attend avec le Free Jazz qui pointe son nez au milieu des années 60).
Ce public va alors à nouveau se tourner vers les big bands « traditionnels », à cette différence près qu’il ira à présent les écouter en concert.
Les deux indestructibles Big Bands de l’histoire du jazz…
Le big band de Duke Ellington a connu une traversée du désert, mais a réussi à essuyer l’orage. Celui de Count Basie s’est arrêté de 1950 à 1952 (période pendant laquelle Basie dirigera des petites formations).
Ces deux orchestres emblématiques (Et pourtant tellement différents !), deviennent si populaires, que rien ne pourra plus les faire disparaître du paysage du jazz, tant leurs leaders respectifs sont charismatiques. Même les décès du Duke (En 1974) et du Count (En 1984), ne parviendront pas à sonner le glas de leurs orchestres !…
Quand un concept renaît de ses cendres, il est plus fort !
Entre 1950 et la fin des années 60, ces deux formidables big bands vont enchaîner les tournées et multiplier les enregistrements.
La « machine à swing » de Count Basie, va revenir en force avec des albums qui vont faire date ! Et notamment en 1958 : « The Atomic Basie E=MC2 ».
Un album entièrement écrit par Neal Hefti, qui va définitivement asseoir la notoriété de l’arrangeur. Le Count, souvent décrié et considéré par beaucoup comme un pianiste minimaliste et « mineur » (Lire l’article : « les pianistes oubliés »), va montrer ici toute l’étendue de son talent au travers de larges plages d’improvisation, mises en valeur par les arrangements d’Hefti. Pendant cette période, le big band enregistre nombre d’albums mythiques, comme : « April In Paris » (1956), « Basie’s Beatle Bag » (1966), « Basie Straight Ahead » (1967), pour ne citer que ceux-là, et quantité de « Live » enregistrés lors des nombreuses tournées de l’orchestre. L’apothéose se situant sans doute en 1961 lorsque les big bands du Count et du Duke enregistrent ensemble « First Time ! Battle Royal » …
Petite anecdote : L’album est enregistré sans répétition le 6 juillet 1961. Count Basie découvre le matin même de l’enregistrement, les arrangements écrits dans la nuit par Duke et Strayhorn… Le répertoire est composé de « hits » des deux orchestres. Tout se passe bien, mais quand arrive le moment de jouer « Take The A Train « , Count s’aperçoit que le morceau est écrit en Ré bémol et non plus en Do comme dans toutes les versions… Il est prévu qu’il fasse une introduction de 32 mesures à 2 pianos avec Duke, mais il panique et quitte précipitamment le studio ! (Count Basie est très impressionné par Duke Ellington et il développe à son égard, un complexe d’infériorité…). Ce sera Billy Strayhorn, qui au pied levé, remplacera Count Basie au piano, et l’imitera même !…
L’orchestre de Basie est une institution dans les années 50 ! De nombreux musiciens et arrangeurs se battent littéralement pour collaborer… Quincy Jones, qui joua dans la section de trompettes au début de sa carrière, me racontait que l’orchestre répétait publiquement tous les lundis, et que des dizaines d’arrangeurs étaient là pour essayer de faire jouer une de leurs créations par l’orchestre…
Outre Quincy Jones, on pourra entendre dans la section de trompettes de l’époque un autre arrangeur de grand talent : Thad Jones. Quincy comme Thad, écriront pour Basie dans les années 50 et 60, mais ne tarderont pas à monter leurs propres big bands (plus ou moins éphémères). De 1960 à 1964 pour Quincy (l’album « Birth Of A Band » est un pur chef-d’œuvre), et de 1965 à 1979 pour Thad, en collaboration avec le batteur Mel Lewis…
Basie avait rejoint en 1929 l’orchestre de Bennie Moten. Il s’était établi à Kansas City pour collaborer avec Moten, mais l’orchestre avait vite plongé dans la tourmente : fâché avec le reste de ses musiciens, Moten avait été exclu de son propre orchestre et Count Basie dut le remplacer, rebaptisant l’orchestre « Count Basie and His Cherry Blossoms » (Une aventure un peu similaire à celle d’Ellington avec Elmer Snowden…) L’expérience ne dura pas et il retourna bientôt travailler avec Moten, dans un nouvel orchestre. Leur collaboration s’achève finalement en 1935, quand Bennie Moten meurt des suites d’une opération chirurgicale. Count Basie fonde alors un nouvel orchestre, qui prend en 1936 le nom de « Count Basie and his Baron of Rhythm ».
Count Basie n’écrivait pas la musique. Il avait inventé et développé dans les années 30 (Chez Bennie Moten, puis dans son propre orchestre) le « Head Arrangement » : succession de Riffs, qu’il jouait au piano et distribuait ensuite à chaque chef de section (trompette, trombone, saxophone), ces riffs étaient ensuite harmonisés spontanément par les autres musiciens de la section. L’exemple le plus célèbre de « Head Arrangement » est sans nul doute « One O’ Clock Jump ».
A partir du début des années 40, lorsque le jazz commence à s’écouter en concert et que la danse n’est plus le seul argument, Basie commence à faire travailler des arrangeurs pour son orchestre. La liste est interminable ! Mais voici quelques noms d’arrangeurs qui ont écrit pour le Count : Jimmy Mundy, Neal Hefti, Sammy Nestico, Benny Carter, Ernie Wilkins, Frank Foster, Quincy Jones, Thad Jones, Chico O’Farrill, Gerald Wilson…
A la même période, l’orchestre de Duke enchaîne les chefs-d’œuvre : « Masterpieces 51 » (1951), où Duke crée des sortes de concertos avec quelques-unes de ses compositions emblématiques (Mood Indigo, Sophisticated Lady…), « Anatomy Of A Murder » (1959), « Nutcracker suite » (1960), « Piano In The Background » (1960), « Far East Suite » (1966) etc…
Ces deux orchestres de légende et à la longévité hors du commun (en activité de 1924 à nos jours pour Duke, et de 1936 à nos jours pour Basie), ont de tout temps formé des musiciens, qui bien souvent sont devenus des stars ! Pour simple exemple : des musiciens aussi différents que Sidney Bechet, Gerry Mulligan, Clark Terry, Max Roach, Charlie Mingus, sont passés dans les pupitres de l’orchestre du Duke !
Ces deux big bands, depuis la disparition de leurs leaders, sont dirigés par des musiciens de l’orchestre. S’ils jouent toujours plus ou moins le répertoire « historique » de l’orchestre, ils sont à présent davantage des orchestres d’étudiants, qui ont au moins le mérite de maintenir la flamme…
Et les autres…
Dans le paysage des big bands (parfois éphémères) des années 50 et 60, on peut citer ceux de Shorty Rogers, Marty Paich (« Dek-Tette », « Eleven »), Tadd Dameron, Pete Rugolo, Lennie Niehaus, Bob Brookmeyer, André Prévin, Bill Holman… (Ce ne sont souvent pas des big bands complets : 4 anches, 2 ou 3 trompettes, 2 trombones et un cor), Michel Legrand (1956 « Legrand jazz »), le pianiste Belge Francy Boland, qui co-dirige avec Kenny Clarke à partir de 1961 le « Clarke-Boland Big Band », Buddy Rich, Lionel Hampton, Clark Terry, Louis Bellson, Bob Florence, Claude Bolling…
LA PERIODE DES ANNEES 70 A NOS JOURS…
A l’aube des années 70, le Free jazz perce enfin, et bouleverse le paysage du jazz. La forme, l’harmonie, la mélodie, disparaissent, s’effacent, laissant une grande partie du public sur le bord de la route…
Le big band, qui avait fait un retour spectaculaire au milieu des années 50, s’enfonce à nouveau pour quasiment disparaître… Trop cher ? Convenu ? Galvaudé ? Usé ?… Visiblement pas pour tout le monde… Il fallait un nouveau souffle, un nouveau répertoire, de nouvelles idées et parfois de nouveaux arrangeurs aventureux…
On assiste alors à quelques tentatives de Big bands expérimentaux, qui parfois eux aussi, s’affranchissent d’une partie ou de la totalité des « codes du jazz » (Swing, forme, harmonie, mélodie…).
On peut citer : « Electric Bath » Don Ellis 1967, « Jazz Composer’s Orchestra » Cecil Taylor et Don Cherry 1968, « Liberation Music Orchestra » Charlie Haden 1970, « Escalator Over The Hill » Carla Bley et Paul Haines 1971,« Let My Children Hear Music » Charlie Mingus 1972…
Le big band : toujours d’actualité ?…
Le jazz s’ouvre et se mêle aux musiques du monde ? Le big band va faire de même, il va rencontrer la musique classique, le jazz fusion (Carla Bley), la musique Latine (Tito Puente), le Rock (Phil Collins), flirter avec le « Sound Painting » (François Jeanneau, Maria Schneider), la Pop Music (Snarky Puppy) etc… Sa nomenclature peut être polymorphe, se mélanger à l’orchestre ou à l’instrumentation classique…
Parfois il va également rester purement « jazz » en suivant l’inéluctable évolution rythmique et harmonique, reflétant les univers musicaux de ses leaders : Toshiko Akiyoshi & Lew Tabackin, Mingus Big Band, Don Sebesky, Bob Brookmeyer, Kenny Wheeler, Kenny Werner, Vince Mendoza, Michel Herr, Bert Joris, Ivan Jullien, Martial Solal et son « Dodecaband », Laurent Cugny et son « Big Band Lumière », Pierre Bertrand et Nicolas Folmer avec le « Paris Jazz Big Band » …
Considéré sans doute comme un patrimoine musical, le big band sera parfois institutionalisé ! Des orchestres subventionnés par l’état ou la radio voient le jour en Europe notamment : Wynton Marsalis et le « Jazz At The Lincoln Center Orchestra » (USA), « Métropole Orchestra » (Pays-Bas), « Vienna Art Orchestra » (Autriche), « WDR Orchestra » (Allemagne), « Brussel Jazz Orchestra » (Belgique), « New Art Orchestra » (Scandinavie)… En France, c’est l’« ONJ » (Orchestre National de Jazz) créé en 1986, qui verra se succéder des créateurs comme : François Jeanneau, Antoine Hervé, Denis Badault, Laurent Cugny, Franck Tortiller, Daniel Yvinec… Ou encore, le « Big band de la Musique de l’Air » que j’ai eu le bonheur de créer et diriger de 2005 à 2020 et qui se nomme à présent « Big One »…
Certes, le big band ne connaitra plus jamais l’engouement populaire des années 30, mais il reste un « standard » immuable et finalement indémodable, qui attire encore de nos jours, de nombreux musiciens et arrangeurs …
Stan Laferrière
Et si vous êtes curieux :
- Podcast France Musique « Histoire des big bands » Arnaud Merlin/Stan Laferrière. Mai 2014.
- Article : « C’est quoi un arrangeur ? »
- « Big Band Saga » vidéo (Une histoire du big band au travers de compositions personnelles « dans le style de… »)
- « Le jazz débarque » vidéo (Une histoire des grandes formations au travers des deux débarquements de 1918 et 1944)
- « Harlem » de Duke Ellington avec le Big band de l’Air et L’ONL Léonard Slatkin 2012
- Big Band Warmup (Un ouvrage unique qui regroupe des exercices pour big band : son, intonation, justesse, rythme…)
Quel Plaisir ! Certainement pour nous saxophonistes une des plus formidables et classiques formations de jazz (avec le quintet) ! Bravo Stan génial ! Stéphane Colin
Merci Stéphane ! Oui, le Big band est un passage « obligé » pour les saxophonistes, mais je dirais, pour tout instrumentiste !… C’est une excellente école pour apprendre à gérer le son, le time, et le jeu collectif…;-)
Merci pour cet article passionnant. Il me semble cependant qu’il existe des unissons dans les big band et que chaque voix n’est pas forcément unique, de même dans le classique il y a des voix uniques déjà chez Beethoven mais encore plus chez des compositeurs comme Malher ou d’autres où il y a même des divisi entre les mêmes pupitres. C’est une toute petite remarque et encore merci pour votre travail
Merci pour votre commentaire. Oui bien sûr on utilise l’unisson en Big band. Mais on harmonise les pupitres (Saxes, trompettes, trombones) en voix uniques, ce que l’on fait très rarement dans l’orchestre classique. En effet, comme vous le dites très justement, les pupitres classiques peuvent être divisés au sein d’une même section (2èmes, 3èmes violons ou clarinettes par exemple), mais ils sont très rarement seul à jouer leur voix, contrairement aux pupitres des big bands, où les musiciens sont la plupart du temps, seuls à jouer leur voix…;-). A bientôt ! Stan
Mr. Stan j´envisage de rendre obligatoire la lecture de tes articles dans mon cours … 😅
Ahah ! Merci Mister Paul ! Surtout ne te gêne pas ! C’est un peu fait pour ça !…;-)