Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil
LOUIS ARMSTRONG : Le grand fauve enroué du jazz universel
Louis Armstrong : 4 août 1901 à la Nouvelle-Orléans – 8 juillet 1971 à New York
Et si un coup de pistolet tiré en l’air la nuit du Nouvel An 1913, dans les rues de la Nouvelle-Orléans, avait tout simplement décidé de l’avenir du jazz ? Pour ce geste, un gamin de douze ans fut envoyé dans une institution à mi-chemin entre l’orphelinat et la maison de correction. C’est là, grâce aux leçons d’un certain Peter Davis, que Louis s’initia à la musique sur un cornet cabossé. Sans ce coup de revolver à blanc, que serait devenue la musique noire ? On en frémit rétrospectivement
À l’orée du siècle, le surgissement d’Armstrong sur la scène naissante du jazz a opéré une révolution aussi décisive que celle qui sera plus tard ouverte par Charlie Parker, puis John Coltrane. Quand Louis débarque en 1922 à Chicago, les jeux étaient loin d’être faits. Le jazz encore adolescent hésitait entre deux tentations : la solution « symphonique », rococo et mielleuse, pompeusement orchestrée façon Paul Whiteman (qui s’était autoproclamé « King of jazz ») et la réponse « hot » avec sa joyeuse polyphonie spontanée et un peu brouillonne, façon King Oliver. À la tête de son Hot Five, puis Hot Seven, en quelques éclats de cornet, puis de trompette, Louis règle très vite le dilemme. Il impose « sa » voix dans toute sa superbe singularité. Il « invente » le solo et le soliste, trouve des formes neuves de l’improvisation, enfin délivrée du carcan collectif.
C’est à Louis que le jazz doit d’avoir atteint à l’universel. Improbable alchimiste qui transforma sans le savoir le cuivre en or, Armstrong fut d’abord un explorateur du son. Son premier génie, ce fut de donner à chaque note une attaque, puissante et tranchante, mais aussi une altération, une durée, une hauteur et une intensité qui en font à chaque fois un instantané explosif d’émotion. Sa sonorité, tout à la fois dure et pure, avec ses vertigineuses ascensions dans l’aigu, ouvre, découvre tout à coup un nouveau monde.
Comme tous les géants du jazz, Satchmo s’impose aussi comme un maître du silence, cet instant d’espérance qui n’est pas du vide, mais toujours, en suspens, la promesse d’un supplément de musique. En trouvant sans chercher une certaine façon de poser les notes sur les temps, en déroulant des phrases idéalement équilibrées, jamais trop longues, jamais trop courtes, en improvisant des découpages rigoureux, il a été le premier jazzman à doter ses solos d’une logique et d’une architecture irréfutables. Doué d’un sens naturel de la mise en place, il fut enfin l’inventeur du « swing ». Avant lui, tout le monde jouait « raide » ; avec lui, tous les musiciens jouaient mieux. « À la trompette, a dit un jour Miles Davis, on ne peut rien jouer qui ne vienne de lui, pas même les trucs modernes ».
Rarement artiste, sorti d’un misérable ghetto, aura autant pesé sur la musique de son siècle et son avenir. Tout ce qu’il joue brille d’une allégresse solaire. Tout ce qu’il chante de sa voix éraillée, rocailleuse, voilée d’un halo de chaleur, dit avec une totale sincérité tous les émois du cœur. Avec Louis, c’est l’homme qui souffle et qui chante, mais c’est toujours la musique qui parle et qui triomphe. Armstrong sait comme personne colorer une note d’un vibrato poignant, l’attendrir d’inflexions douces et la hisser aux cimes du sublime. La force d’Armstrong est d’avoir su s’élever tout seul au-dessus des modes et des formes, renverser la barrière des styles pour réaliser la perfection d’une musique nouvelle qui va incendier tout le siècle.
Si Louis Armstrong fut un authentique révolutionnaire, il ne fut jamais en revanche un révolté. Paradoxe : celui qui fut le premier « jazz messenger » ne se considérait pas comme un « jazzman », encore moins un créateur ou un précurseur, mais comme un simple « entertainer », dévoré par l’inextinguible besoin de plaire. Jamais sa joie de vivre ne l’empêcha d’être tout au long de sa carrière fidèle à une certaine idée, presque austère, du professionnalisme. Pourquoi ? Sa surprenante définition du jazz en fait foi : « gagner ma vie ».
Mais l’important chez lui est ailleurs. Jamais cet « amuseur public » ne s’est une seule fois autorisé à tricher ou plaisanter avec la musique et ses enjeux artistiques. Parce que sa grande passion fut toujours le public, « la chose la plus importante pour laquelle on puisse vivre. On m’accuse souvent d’être un clown, répondra-t-il à ceux qui lui reprochaient ses grimaces, ses yeux qui roulent et son « oncle-tomisme ». Mais c’est merveilleux un clown. Rendre les gens heureux, les entendre applaudir, c’est cela le vrai bonheur. » Et le public lui rendit son amour au centuple en faisant à cet ambassadeur du swing, sans la moindre éclipse en un demi-siècle, toujours la même fête.
Louis Armstrong, génie malgré lui ? Sans doute. Mais c’est à « ce grand fauve enroué » (Henri Guillemin) qui, entre deux éclats de rire, passa sa vie à jongler avec les étoiles que l’on doit que cette rustique musique folklorique néo-orléanaise ait réussi si vite à devenir planétaire.
La carte de Louis Armstrong dans le jeu de 7 familles !