En cette rentrée scolaire 2021, le blog a décidé de faire quelques portraits et interviews d’enseignants (enseignantes) du jazz. Cécile Messyasz, chanteuse et pédagogue, nous parle de son expérience avec recul et humilité…
DJ – Bonjour Cécile, peux-tu te présenter ?
CM – Je suis chanteuse de jazz et professeure de jazz vocal dans une école de musique associative qui se situe dans le petit village varois dans lequel je vis. J’enseigne aussi ponctuellement dans d’autres structures de la région. J’anime régulièrement des stages courts (deux jours) mais aussi des stages plus longs (une semaine) un peu partout en France notamment à Paris avec mon amie chanteuse Sonia Cat-Berro.
DJ – Quelles sont tes principales influences musicales ?
CM – Elles sont très éclectiques ! J’ai grandi en écoutant ce que j’entendais à la maison : de la musique classique, du jazz, beaucoup de jazz dont du jazz français (les vinyles de Nougaro passaient en boucle), beaucoup de chanson française (Brel, Brassens, Ferré, Ferrat, Piaf, Barbara, Françoise Hardy, Gilbert Bécaud, Gainsbourg), des comédies musicales, pas mal de Motown, beaucoup de musique tzigane (mes grands- parents paternels étaient polonais et musiciens. Ils jouaient tout le temps, écoutaient tout le temps de la musique. Très fort) Mon grand frère, lui, m’a transmis des influences Rock et m’a appris à aimer Jimmy Hendricks, les Doors, les Beatles, Pink Floyd.
DJ – Un mot ou une phrase pour définir le jazz selon toi ?
CM – Une phrase qui n’est pas de moi mais de Nina Simone et traduit à la perfection ce qu’est le jazz selon moi : « Le jazz n’est pas seulement de la musique, c’est un mode de vie, une façon d’être, une façon de penser. » J’aime profondément cette musique parce que j’aime profondément son histoire et l’histoire de celles et ceux qui ont fait le jazz. J’ai pour eux, un respect infini et une admiration immense. Plus particulièrement pour les femmes qui restent des modèles de courage, d’audace et de puissance à mes yeux. Mon amour pour le jazz est aussi politique. Nina Simone a su le dire en une seule phrase.
DJ – Si tu étais un standard de jazz ?
CM – Sans hésiter : There will never be another you. Parce qu’il est LE standard que j’ai chanté pour la première fois en jam et qui m’a valu une réputation peu reluisante pendant longtemps mais qui, finalement, s’est transformée en sketch : ma première jam a été un désastre mais comme j’étais très déterminée j’ai décidé que je chanterai ce morceau à chaque jam jusqu’à ce que je sois à l’aise. A l’époque, je vivais à Bordeaux et j’écumais toutes les jams avec ce standard. Ca a duré longtemps. Je suis devenue la chanteuse qui ne savait chanter qu’un seul standard. Mais je m’en fichais. Aujourd’hui encore, il est LE standard que je chante pour faire le boeuf, il fait parti de mon répertoire. J’adore ce morceau. Je trouve qu’il a beaucoup de classe dans tous les styles. Et puis, lui et moi, on en a vu !
DJ – Que penses-tu de la place qu’occupe le vocal dans la musique de jazz ?
CM – Spontanément, j’ai envie de dire que le vocal occupe une place mal considérée dans le jazz. Je le trouve encore trop souvent associé aux femmes et je trouve qu’il reste estimé comme inférieur aux autres instruments. Inférieur parce que trop souvent considéré comme un « non-instrument » qui n’aurait pas fait l’objet d’études musicales similaires aux autres instruments. Si c’est encore le cas, ça l’est de moins en moins ! Je garde l’impression qu’être chanteur ou chanteuse de jazz véhicule encore pas mal de clichés sexistes. Et puis, il est rare qu’un musicien créant son projet artistique, fasse appel à un chanteur ou une chanteuse de jazz pour y participer. Dans une très grande majorité des cas, pour être sur scène en tant que chanteur.se de jazz, c’est à toi de créer ton projet. Le travail de sideman / side woman n’existe quasiment pas pour cette discipline. Et je ne comprends toujours pas pourquoi. Ça me laisse l’impression amère qu’une grande partie des musiciens de jazz ne souhaite pas et/ou ne pense pas la voix comme un instrument qui aurait la même place que les autres et qui pourrait apporter tout ce que n’importe quel autre instrument est capable d’apporter pour nourrir la musique. Heureusement, il s’agit de généralités et les quelques cas particuliers qui émergent ouvriront, je l’espère, d’autres horizons.
DJ – Peux-tu nous parler de ton expérience pédagogique ?
CM – J’ai donné mes premiers cours à 20 ans en guise de validation d’une formation professionnelle que je suivais dans une école de jazz à Bordeaux et dans laquelle je venais d’étudier pendant 10 ans (le Centre de Musique Aquitain de Joseph Ganter. Cette école n’existe malheureusement plus) Et j’ai adoré ! Mais j’ignorais, à cette époque qu’un jour, j’en ferai un métier.
A 25 ans, je suis partie étudier à Berklee (à Boston) et quand je suis rentrée en France, j’ai décidé de m’installer à Paris. Pour gagner quelques sous, j’ai proposé mes services en tant que professeure de jazz vocal en déposant des petites annonces. J’ai très vite refusé du monde. J’ignorais qu’il y avait une telle demande à Paris. J’ai fait beaucoup de rencontres et j’ai rapidement pu tisser un réseau dense. Là encore, j’ai adoré enseigner. Je n’ai suivi aucune formation pour devenir « Prof de jazz vocal » (est-ce que ça existe quelque part ?), j’ai construit ma propre pédagogie au fil du temps, des expériences, des rencontres. Comme je n’avais jamais vraiment enseigné le jazz et le jazz vocal ailleurs qu’à Paris, j’ignorais à quel point c’était simple : je n’ai eu pour élèves que des gens qui savaient où ils mettaient les pieds, pour qui le jazz occupait une part importante dans leur culture musicale voire de leur éducation, qui avaient déjà une connaissance et une complicité claires avec cette musique. Je trouvais ça normal mais j’ignorais que ça ne l’est en fait pas du tout. Dans les grandes villes où la culture est présente et la demande importante, il est « facile » d’enseigner le jazz.
J’ai donc pu transmettre, sans tergiverser, des notions théoriques, historiques, musicales, technique, aborder l’improvisation, le scat, rapidement. J’avais affaire à un public conquis d’avance et qui « bossait son clou » malgré une vie parisienne bien remplie.
Quand je me suis installée dans une toute petite ville du Var en 2014, je n’imaginais pas que j’allais avoir autant de fil à retordre en tant que professeure de jazz vocal : j’ai découvert que cette discipline est quasiment totalement méconnue du public à qui je l’enseigne maintenant et pour « séduire » ce public, j’ai dû proposer une pédagogie ultra simplifiée, revoir mes méthodes de travail et m’ouvrir à des propositions qui me donnaient l’impression de vendre mon âme au diable.
Au final, j’ai appris infiniment sur moi en tant que pédagogue mais aussi en tant que personne. Il m’aura fallu plusieurs années avant de pouvoir proposer un discours ultra clair sur ce que je pense « devoir » enseigner en tant que professeure de jazz vocal. Parce que je défends des valeurs musicales qui me sont chères à commencer peut-être par l’importance que j’accorde à travailler un standard à la manière d’un instrumentiste. J’explique l’importance que j’accorde à la connaissance de l’instrument. La voix aussi a besoin d’une technique, comme n’importe quel instrument. En gros, j’explique que dans mes cours, on bosse des standards de jazz exactement comme on les bosse dans les classes d’instruments.
Ici, il est très important de définir ce qu’est un standard de jazz parce que je découvre que beaucoup de gens mettent un peu tout et n’importe quoi dans « la case » jazz vocal. Ici, je suis obligée de détailler très clairement ce que j’enseigne, la manière dont je l’enseigne, les raisons pour lesquelles je souhaite l’enseigner de cette façon et pas d’une autre.
J’insiste aussi sur le fait que je suis convaincue que j’ai encore tout à apprendre. Ainsi, je continue de me former auprès d’autres professeurs, formateurs mais aussi en laissant d’autres musicien.ne.s me transmettre leurs méthodes de travail, leurs tuyaux. C’est de cette façon que je me suis formée à la méthode O Passo de Lucas Ciavatta et qui est devenue un de mes piliers de transmission d’outils solfégiques. J’ai commis l’erreur d’essayer de contenter tout le monde. Cela n’est possible qu’à la condition d’accepter de renier mes valeurs et être infidèle à ce que j’estime être le jazz. J’ai compris que ce n’était pas pour moi.
Après 20 ans d’enseignement, je parviens seulement à assumer et défendre clairement mes positions et valeurs pédagogiques. J’enseigne essentiellement aux adultes, la plupart sont débutants et ne connaissent presque rien au jazz mais c’est une satisfaction sans nom quand je vois que la sauce prend et quand c’est eux qui me font découvrir des standards.
DJ – Quels sont tes projets ?
CM – Je suis en train de terminer l’enregistrement de mon deuxième album. Comme pour le premier (« Théo’s Lullaby »), c’est Christophe Dal Sasso qui en a écrit les arrangements et qui prend en charge tout le travail du son. Pour ce deuxième album, j’ai fait appel à des musiciens du Sud de la France avec qui j’adore jouer, dont Christophe qui signe les flûtes. Il y a aussi Jean- Philippe Sempéré à la guitare, Philippe Jardin à la batterie, Chris Le Van à la contrebasse et quelques invités. Je me suis un peu plus impliquée artistiquement sur ce disque, j’ai pris plus de risques que sur le premier. Mon principal projet pour l’année à venir est donc de faire voir le jour à ce disque et le présenter sur scène le plus possible.
En septembre, je reprendrai le chemin de l’école de musique où j’enseigne, c’est pourquoi j’ai passé une grande partie de l’été à préparer mes cours, renouveler certains outils, passer quelques heures sur ton site pour trouver quelques sources d’inspiration pour aborder de nouveaux thèmes.
DJ – Merci Cécile, tu nous tiendras au courant de la sortie de ton album ! Et bonne rentrée à toi !