LA GUITARE DANS LE JAZZ
Les origines de la guitare remontent si loin, que l’histoire serait trop longue à raconter ici. On peut seulement rappeler, pour replacer l’instrument dans le monde de la musique, que sa forme moderne est apparue (après différentes évolutions) en Espagne vers le treizième siècle. Guitare Latine : « Corps incurvé à long manche ». Déjà habituellement jouée avec un plectre, elle détrône rapidement le luth, pour devenir au début du seizième siècle, l’instrument roi dans les salons et pour faire la cour (Le dictionnaire de la musique de Jean-Jacques Rousseau au XVIIème la désigne comme un instrument portatif pour accompagner le chant). Très en vogue en Europe du nord au début du XIXème, elle sera bientôt supplantée par le piano, dans les salons à la mode comme chez les particuliers.
C’est un luthier Espagnol, Antonio de Torres (1817-1892), qui fixe le standard de la guitare « moderne » classique. Un autre luthier, Allemand celui-là, Christian Frederick Martin (1796-1873), émigré aux États-Unis, sera le père de ce qui deviendra la guitare folk à cordes métalliques. Au début du XXème siècle, un certain Orville Gibson (1856-1918) fondera sa firme, en adoptant pour sa part, la forme et les ouïes du violon. Enfin, à la fin des années 20, l’électrification de la guitare, lui donnera un nouvel essor et lui ouvrira de nouvelles voies…
Première période : acoustique
On peut dire grosso modo, que la guitare était présente aux débuts du jazz, car elle était l’instrument roi du Blues. Mais à cause de son faible volume sonore, elle sera très rapidement remplacée par le banjo, plus percutant (qui pourra même dans certains orchestres, pallier l’absence de batterie, comme dans le premier Hot Five de Louis Armstrong).
La guitare reviendra en force à l’avènement du style swing vers 1930, et nombre de banjoïstes se convertiront à la guitare… Comme Freddy Guy chez D. Ellington par exemple. D’autres comme Johnny St Cyr, jouaient déjà les deux instruments.
Les débuts de la guitare dans le jazz sont donc chaotiques, et durant la période allant de 1900 à la fin des années 20, son emploi est majoritairement réservé aux enregistrements et aux sessions avec des instruments peu nombreux ou peu sonores.
Des musiciens comme Lonnie Johnson (1899-1970), Eddie Lang (1902-1933, sans doute un des premiers improvisateurs à la guitare), ou Eddie Condon (1905-1973), vont lui donner ses premières lettres de noblesse dans le jazz naissant.
En France, dès le début des années 30, un certain Django Reinhardt (1910-1953), qui a lui aussi commencé par le banjo, créera un orchestre inédit avec uniquement des instruments à cordes dont 3 guitares ! Il sera également avec ce quintet novateur, un des pionniers du jazz Européen.
Deuxième période : électrique
L’utilisation du microphone dans les studios (qui remplace le cornet acoustique), sonne l’avènement de l’enregistrement « électrique » vers 1926-27. C’est une révolution dans le monde du jazz, qui va permettre, comme je l’ai dit dans un autre article, d’enregistrer enfin une batterie complète, d’améliorer considérablement la qualité des enregistrements, mais aussi de mettre en lumière et en valeur des instruments relégués jusqu’ici exclusivement dans un rôle d’accompagnement. Cette avancée technique ouvre la voie à la modernisation de la guitare, à son amplification sur scène, et donc à son émancipation.
Mais paradoxalement, le style Swing qui va pointer son nez vers 1929, aura du mal à considérer d’emblée la guitare comme un potentiel instrument soliste. Les banjoïstes vont se convertir à la guitare, mais l’instrument gardera un rôle purement rythmique dans la plupart des orchestres, et jouera encore une dizaine d’années de façon acoustique en faisant le tempo. (Pour rappel : jusqu’à l’arrivée du bebop en 1939/40, le jazz était essentiellement une musique de danse).
Le véritable pionnier de la guitare électrique, est très certainement Eddie Durham (1906-1987). On l’entend jouer, avant tout le monde, de la guitare à « résonnance acoustique » équipée d’un micro, dans l’orchestre de Bennie Moten à Kansas city (Octobre 29 à décembre 32), dans New Vine Street Blues, Professor Hot Stuff, When I’m Alone… Il fera ensuite partie de l’orchestre de Jimmie Lunceford, dans lequel il enregistrera Hittin’ the Bottle, le 30 septembre 35, qui pourrait être considéré comme le premier enregistrement de jazz avec une guitare électrique.
Ce n’est qu’au milieu des années 30, qu’un certain Charlie Christian, âgé de 17 ans, rencontre Eddie Durham qui lui conseille d’acheter une guitare électrique. Le jeune guitariste va alors reproduire les solos des saxophonistes et imaginer une technique qui va permettre à la guitare de se hisser au même niveau que les cuivres dans l’orchestre… Il ouvre la voie à d’autres guitaristes moins connus et pourtant pionniers eux aussi, comme Floyd Smith, Leonard Ware (chez Bechet en 38), Oscar Moore (fantastique dans le Nat King Cole trio de 37 à 48), Irving Ashby (dans le sextet de Lionel Hampton, et qui remplacera Moore chez Nat Cole), et bien d’autres encore…
Charlie Christian enregistrera ses plus beaux solos en 41 dans le sextet de Benny Goodman. Très influencé par l’arrivée du Bebop, il reste quelques traces de jam sessions en mai 41 avec Thelonious Monk et Kenny Clarke… Décédé prématurément d’une pneumonie le 9 mars 42, il passera le flambeau à Barney Kessel (qu’il rencontre en 39), et tous les guitaristes bebop comme Tal Farlow, Jimmy Raney, Grant Green, Kenny Burrell, Wes Montgomery, Jim Hall et tant d’autres, qui contribueront à la percée de la guitare dans le monde des instruments solistes et imposeront celle-ci comme un instrument aussi complet que le piano.
Aujourd’hui, dans le jazz que l’on qualifie d’actuel, la guitare s’est tellement émancipée avec des guitaristes comme John Mc Laughlin ou Pat Metheny, que l’on ne la considère plus du tout (et c’est peut-être dommage d’un certain côté) comme un instrument d’accompagnement ! belle revanche !
Voici une anecdote hallucinante que racontait volontiers Freddy Green à propos de son rôle dans l’orchestre de Count Basie (Il y jouera de 1935 à 1984…). Lorsqu’on lui posait la question : « mais pourquoi ne mettez-vous pas un micro devant la guitare ? on ne l’entend pas », Count Basie répondait : « La guitare ? On doit l’entendre lorsqu’elle s’arrête de jouer »…
A écouter :
Pfffffftt ! Impossible de faire une sélection, c’est trop vaste, il y a trop de fantastiques guitaristes à découvrir… Reportez-vous à ceux que j’ai cités dans l’article, mais c’est évidemment très réducteur…
A lire :
« Histoire de la guitare dans le jazz » 1983 de Norman Mongan. Préfacé par Barney Kessel. La bible ! (Très illustré, avec même quelques transcriptions de solos)
Stan Laferrière