Bassiste et compositeur, Laurent Bonnot fait partie d’une nouvelle génération de jazzmen qui cultive son héritage poly-culturel. Avec l’album Hong qui sort actuellement, il nous livre une écriture très personnelle, avec une instrumentation originale. Docteur Jazz lui a posé quelques questions !…
DJ : Bonjour Laurent, peux-tu te présenter ?
LB : Après avoir étudié le violon et la guitare jazz (au CRR de Dijon), je me suis orienté par hasard vers la basse électrique après avoir fait un remplacement dans un groupe de salsa pour une tournée d’été. Je me suis pris de passion pour l’instrument que j’ai commencé à travailler plus sérieusement et j’ai eu la chance de pouvoir en vivre très rapidement. Je suis devenu intermittent dans des groupes plutôt rock ou world en jouant 60 à 80 concerts par an pendant 7 ans.
Puis je suis rentré au CMDL (Centre musical Didier Lockwood) pour y étudier pendant deux ans. Après cette expérience marquante et insatisfait de mon niveau instrumental, j’ai fait un vrai choix de vie en abandonnant l’intermittence et en me consacrant à l’étude de mon instrument à raison d’au moins 5 heures de pratique quotidienne afin de m’affranchir des codes techniques et des langages musicaux (le bop notamment) vers lesquels je m’orientais.
DJ : Quelles sont tes principales influences ?
LB : En tant qu’instrumentiste mes influences sont principalement « jazzistiques » mais je n’ai pas été influencé par les bassistes mis à part Carles Benavent. J’écoute beaucoup de bassistes pour le placement, le drive, le groove mais plus pour les étudier que pour m’en inspirer. Je suis d’avantage influencé par des saxophonistes et des guitaristes. Matthieu Donarier m’a beaucoup influencé (en tant que soliste) dans la construction des solos, des phrases, du placement, de l’esthétique générale de ses solos. Même si depuis peu, j’ai changé complétement de technique (je joue beaucoup en aller-retour à l’index ou en accords) et je perds un peu le phrasé « coulé » du saxophone pour m’orienter vers autre chose.
Les guitaristes de métal m’ont autant influencé que les guitaristes de jazz, moins dans le langage que dans le phrasé. Parmi les guitaristes qui m’ont influencé je citerais en premier John Abercrombie puis Metheny, Steve Vai, Allan Holdsworth.
En tant que mélomane, outre mon amour du jazz et du classique, je suis fan de rock 70’s, de métal, de reggae (la seule musique que je peux écouter sans me lasser pendant des heures) et je suis passionné de chansons françaises. Vu que j’ai été bercé par l’accordéon, cet instrument a une place à part dans mon cœur (même si j’ai du mal avec le musette). Richard Galliano, Daniel Mille et Jean-Louis Matinier m’ont aussi énormément influencé.
DJ : Ton meilleur et ton pire souvenir de musicien ?
LB : Mon pire souvenir de musicien : un jour, il y très longtemps :-), ma basse a eu un problème juste avant un concert et j’avais par chance (ou pas d’ailleurs) une toute nouvelle basse mais en 5 cordes. Je n’avais à l’époque jamais touché de 5 cordes, donc évidemment, tous mes réflexes (je jouais des parties de basse écrites) étaient changés. Le mi grave était devenu un si… J’ai dû beaucoup me concentrer… Grand moment de solitude… De toute façon, ça n’arrivera plus car je suis revenu à la 4 cordes.
J’ai beaucoup de très bons souvenirs, heureusement plus que de mauvais. Je me souviens d’une remarque d’Olivier Louvel alors que j’étais en atelier avec lui au CDML il y a plus de dix ans. Il me regarde et me dit « mais incroyable ! tu ne jouais pas du tout comme ça l’an dernier toi ». C’est grâce à des phrases comme celle-ci que j’ai décidé ensuite de me mettre sérieusement au boulot. A vrai dire j’étais tellement mécontent de mon niveau, à juste titre, que j’avais le choix entre devenir meilleur ou arrêter… Bon il y a encore du boulot 🙂
DJ : Un mot ou une phrase pour définir le jazz selon toi ?
LB : La fougue, ou plutôt l’art de la fougue.
DJ : Si tu étais un standard de jazz ?
LB : Il y en a beaucoup trop. Je dirais « Nature Boy » mais j’aurais pu en citer un autre.
DJ : Comment en es-tu venu à l’écriture ?
LB : J’ai eu la chance d’avoir été en contact avec la musique très jeune (mon père jouait dans les bals) j’ai donc toujours eu cette démarche d’écrire de la musique même tout petit en classe de solfège. Au Lycée j’ai appris l’écriture et j’ai poursuivi cette discipline à la fac de musicologie. L’histoire de la musique dite « savante » a énormément attisé ma curiosité. J’achetais ou empruntais beaucoup de conducteurs (plutôt de musique « savante » à l’époque) que j’essayais tant bien que mal d’analyser. Puis il y a eu les cours d’analyse qui m’ont ouvert les yeux, sur la forme notamment.
J’ai découvert l’écriture pour Big-Band au CIM avec Denis Bioteau. J’avais déjà un bon niveau en harmonie « classique » et jazz (que j’avais étudiée en parallèle au CRR de Dijon) mais cette rencontre avec Denis m’a transformé. J’avais suivi tout son cursus d’arrangement (4 heures par semaine avec un arrangement à rendre par semaine), puis j’ai décidé de faire un Master sur les techniques d’arrangements utilisées en Big-Band. J’ai écrit mon mémoire mais je ne l’ai malheureusement jamais soutenu.
DJ : Présente-nous ton album
LB : L’album s’appelle Hong et il a été enregistré en tentette. J’ai nommé ce tentette Arteskor Orkestra car en plus du jeu de mot, il y a la notion de palindrome (renversement, rétrograde, rétrograde du renversement…) qui est au centre de l’écriture. Ma volonté était de confronter le quintette à vent avec le Big-Band. L’écriture, l’apport du contrepoint et de la forme Sonate, font référence à la musique « classique » mais esthétiquement il s’agit bien de jazz. Les musiciens (musiciennes) viennent pour la plupart du jazz.
Nous jouerons ce répertoire au Bal Blomet le 3 décembre.
DJ : J’ai personnellement été très séduit par l’écriture et notamment par l’orchestration… Quels sont tes projets ?
LB : Mon futur projet sera en quartette avec Eric Echampard, Christophe Monniot et Ricardo Izquierdo. Le répertoire est un hommage à l’OuLipo donc avec des contraintes bien précises qui concernent ici l’improvisation. Une métrique différente par mesure avec au moins une modulation par mesure. J’avais tenté l’expérience dans mon album « Black Lion » sur le morceau « Enzo » mais dans ce nouveau répertoire le concept sera plus poussé et plus abouti. Il y a aura aussi de l’improvisation libre pour la dualité.
DJ : Bonne chance pour tes projets Laurent, et tiens nous au courant !
Le site Web de Laurent