On a parfois du mal à reconnaitre le talent et l’influence d’artistes Français lorsqu’il s’agit de Jazz. S’il existe véritablement une « école » de jazz Français (qui remonte aux années 20, nous en reparlerons), il existe bel et bien une « école » d’écriture jazz en France, et André Hodeir en est assurément une des figures de proue.
Violoniste, arrangeur, compositeur, chef d’orchestre, pédagogue, écrivain, musicologue, André Hodeir est un artiste polymorphe, ce qui le place de facto dans la catégorie des « inclassables » (Voir notre article polémique…)
Disciple et admirateur de Charles Delaunay et Hugues Panassié (fondateurs de jazz Hot en 1935), il s’éloignera cependant de ce dernier (à qui il avait dédié en 1945 son premier ouvrage « Le jazz cet inconnu »), à l’arrivée du Bebop en France en 1948.
Musicien et musicologue érudit, compositeur et arrangeur aventureux, l’apport d’André Hodeir au jazz « moderne » et à son écriture, est tout aussi important que les travaux de musiciens comme George Russell, Gil Evans, ou Gunther Schuller, qui firent émerger le « third stream » (lire l’article sur le répertoire du jazz) dans les années 50.
L’écriture « jazz » en France est intimement liée à la musique classique du début du XXième siècle. Si des compositeurs comme Darius Milhaud (La Création du monde) et Maurice Ravel (les deux Concertos pour piano, le Blues de la Sonate pour violon et piano), s’intéressent au langage du jazz en tentant de l’introduire dans leurs œuvres, les musiciens de jazz eux, vont dès les années 20 (Bix Beiderbecke) puiser la science harmonique chez des compositeurs comme A.Scriabine, I.Stravinsky, F.Poulenc, M.Ravel, etc.
La compositrice Nadia Boulanger enseignera l’écriture et la composition au conservatoire américain de Fontainebleau de 1921 à 1979, et des musiciens comme Michel Legrand, Léonard Bernstein, Lalo Shiffrin, Quincy Jones, passeront par sa classe.
André Hodeir lui, étudie l’écriture avec Olivier Messiaen notamment, dans les années 40. Ses études au conservatoire sont couronnées par 3 premiers prix : harmonie, fugue/contrepoint et histoire de la musique.
Après quelques expérimentations et participations à des groupes de « musique concrète » (genre musical utilisant des techniques électroacoustiques par le biais de synthétiseurs ou de manipulations de sons), en compagnie de musiciens comme Pierre Schaeffer, Pierre Henry, Olivier Messiaen, Pierre Boulez, ainsi que de nombreuses publications (Introduction à la musique de jazz, les formes de la musique, la musique étrangère contemporaine…), Il finit par fonder en 1954 son propre groupe afin d’y diriger ses compositions : le « Jazz Groupe de Paris », un orchestre de 9 musiciens avec notamment, Bobby Jaspar (sax), Nat Peck (tb) et Pierre Michelot (cb).
Bobby Jaspar pour lequel il écrit « Paradoxe », première œuvre dodécaphonique pour orchestre de jazz. Jaspar écrit sur la pochette du disque : » C’est un premier pas marqué en France pour un élargissement des horizons du jazz ». Jaspar dira également de Hodeir : « J’ai pu enfin rencontrer le rare musicien qui ait réussi aussi pleinement à élever la musique de jazz contemporaine à la dignité d’un art majeur ».
Hodeir écrit ensuite Paradoxe II, pièce entièrement écrite. L’idée centrale est l’élargissement du langage harmonique-mélodique et des formes en usage dans le jazz. Nat Peck dira : » … Par l’usage des accords de quinte, d’une mélodie hyperchromatique, grâce aussi à une grande rigueur dans le développement, Hodeir résout magistralement les problèmes qu’il pose dès les premières mesures et prouve qu’un jazz authentique est concevable hors de la tonalité ».
Une des devises de Hodeir : « Il faut agrandir le jazz pour ne pas en sortir »
Entre autres activités, André Hodeir a été rédacteur en chef de la revue Jazz Hot de 1947 à 1951, il a créé l’académie du jazz, dont il sera président jusqu’en 1960, il a écrit pour Kenny Clarke, Martial Solal, et bien d’autres stars du jazz. Il a également signé quelques musiques de films. Il sera l’auteur d’un grand nombre de publications, ouvrages, essais, il enseignera le jazz à Harvard, il dirigera à l’IRCAM un programme expérimental de recherche consacré au jazz. La fin de sa vie sera plutôt consacrée à l’écriture littéraire.
Composée en 1966 pour deux voix de femmes (Nicole Croisille et Monique Adelbert) et orchestre de jazz, « Anna Livia Plurabelle », sorte de Cantate jazz peut être considérée comme son chef d’œuvre.
Cette œuvre majeure vient d’être recréée par l’ONJ dirigé par Patrice Caratini. Patrice nous en parle dans son interview…
Découvrez la discographie d’André Hodeir dans cet article de « Jazz In ».
Je suis comme Pierre
, j’aime ce livre » Hommes et problèmes du jazz « , ça m’avait intéressé au départ justement parce que pour une fois on n’écrivait pas sur le jazz façon Panassié ou Vian, c’était comme une » troisième voie « .
Je relis souvent « Hommes et problèmes du jazz ». C’est plein de richesses. Ca reste cependant très universitaire.