Adaptation stylistique sur JA-DA (Bob Carleton 1918)
Vidéo avec les scores défilants des 3 versions : La version de James Reese Europe en 1919, l’adaptation « style années 20 » et l’adaptation « style Hard bop ».
Travail d’adaptation stylistique(Transcription et adaptation). Cohérence avec le style de l’époque, respect des systèmes d’harmonisation et des couleurs. Vous pouvez télécharger les scores gratuitement ICI pour les étudier.
Matériau de départ
Matériau de départ : Un enregistrement de 1919 de mauvaise qualité. Le morceau est interprété par les « Harlem Hellfighters » dirigés par James Reese Europe. Il s’agit d’une sorte de fanfare constituée de cornets, trombones, tubas, clarinettes, et saxophones. Les percussions sont à peine audibles (Jusqu’à l’avènement de l’enregistrement électrique aux alentours de 1925, les caisses claires et grosses caisses sont prohibées dans les studios).
Adaptation « style années 20 »
La transcription/adaptationdans le style années 20 (à 3’28 ‘’ dans la vidéo), est écrite pour une formation typique de l’époque, appelée « Formation Fletcher », du nom de Fletcher Henderson, principal créateur de la grande formation qui deviendra le Big Band.
Travail de « modernisation » ou adaptation dans un autre style (à 6’10’’ dans la vidéo). Travail sur la forme (possible déstructuration partielle du thème et du support harmonique des solos), sur l’harmonie (enrichissements, modification des enchaînements de degrés).
Il nous quitte aujourd’hui à plus de 90 ans… Pascal Anquetil lui rendait hommage il y a peu avec ce très beau texte.
« Plus d’un demi-siècle après être entré dans la légende au Pershing Lounge de Chicago, en 1958, en enregistrant l’album culte « But Not For Me » (plus d’un million d’albums vendus !), Ahmad Jamal est toujours là, magnifique et unique. À plus de 90 ans, il déborde de vitalité et n’a rien perdu de son élégance et de sa modernité. Il demeure, toujours vif et inventif, l’un des tout derniers « géants du jazz » sur la crête de la créativité permanente.
Magicien des sons ! Voilà une appellation qui lui va comme un gant. Main de fer dans un gant de velours, bien sûr. Il faut le voir sur scène. Plus précisément, le voir écouter sa musique. Dos au public, face à ses musiciens, Jamal s‘affirme très directif. « Je sais exactement ce que je veux. ». Toujours aux aguets, il dirige son quartet avec autorité et vigilance, corrigeant d’un index impérieux l’écart imprévu d’un soliste. Ses musiciens le savent : rien ne lui échappe. C’est pour cette raison qu’ils partagent avec la même passion son aventure depuis si longtemps. Le contrebassiste James Cammack depuis 30 ans joue à la perfection « l’extension de sa main gauche ». Le louisianais Idriss Muhammad lui donne tout ce qu’il attend d’un batteur : « la sensibilité à la pulsation, le mouvement, le groove, la complexité ». En un mot, la danse.
Ahmad Jamal se définit d’abord comme un « Pittsburgher ». « Tous les habitants de Pittsburgh ont développé un truc qui les rend différents ». C’est dans cette cité minière qui a vu naître Art Blakey, Kenny Clarke, Ray Brown mais aussi d’importants pianistes (Earl Hines, Mary Lou Williams, Billy Strayhorn, Dodo Marmorosa et, bien sûr, son maître Erroll Garner) qu’il vit le jour en 1930, fils d’une mère femme de ménage et d’un père ouvrier. Il découvre le piano à l’âge de trois ans, compose à dix et débute professionnellement à onze en jouant des oeuvres d’Ellington et de Liszt.
En 1956, avec la complicité de Vernell Fournier à la batterie et Israël Crosby à la contrebasse, il expérimente une autre idée du trio piano-contrebasse-batterie. Chacun des trois musiciens y joue à égalité. Avec une science exacte des ruptures et des contrastes, ils peuvent ensemble, dans ce carcan élastique, inventer une manière libre et neuve de converser, d’écouter et de parler en même temps. En virtuose de la litote, Jamal donne à ce triangle miraculeux, grâce à la savante imbrication et complémentarité des trois musiciens, une poétique et une dynamique, une coloration et une cohésion profondément originales. C’était soudainement l’intrusion du drame dans le piano-bar. « Beaucoup de musiciens de ma génération sont marqués par la notion de drame. Si ma musique est différente, c’est que ma musique a été depuis l’enfance marquée par la tragédie. C’est pour cela que ma musique est constamment tonale. »
L’anecdote est devenue historique. Au milieu des années cinquante, Miles ne cessait de persécuter Red Garland, le pianiste de son quintette, en lui intimant l’ordre d’écouter chaque jour un disque d’Ahmad Jamal. C’est dire l’admiration que le trompettiste vouait au pianiste. Pourquoi ? Personne avant lui n’avait su développer un tel sens de l’espace et du silence, du passage de la frappe la plus puissante au toucher le plus léger. Ce n’est pas par hasard si Keith Jarrett le désigne toujours comme son influence majeure.
Après une longue éclipse due à la faillite de son club chicagoan l’Alhambra en 1961 et à ce que l’on appelle pudiquement des « problèmes personnels », il est finalement revenu, il y a vingt ans, sur le devant de la scène. Grâce à l’opiniâtreté et l’amitié d’un Français passionné, mort en 2005 : Jean-François Deiber. C’est lui qui, en juin 1988, eut la lumineuse idée d’inviter ce pianiste alors oublié dans son festival de Boulogne-Billancourt, le TBB Jazz. C’est lui qui sut alors le convaincre de retrouver le chemin des studios et les feux de la rampe. Pour le remettre enfin à sa vraie place : en plein soleil. Mission accomplie !
Depuis, Ahmad Jamal a retrouvé une seconde jeunesse, ne cessant d’enregistrer, de tourner et de triompher de par le monde. Comme le 26 octobre 1996 salle Pleyel lors un concert éblouissant dont un disque « Live in Paris » porte témoignage. « Maintenant, dit-il, si je m’assois au piano, c’est d’abord pour me faire plaisir. » A-t-il donc changé ? Oui et non. Son toucher est toujours d’une sensualité sans pareille. Alternant les attaques percussives et les chapelets de perles cristallines délicatement égrenées, il joue comme personne de l’étendue de son clavier. Sa musique concilie l’économie de moyens du pianiste qu’il était dans les années cinquante (beaucoup d’espace) et la brillance extravertie dont il fait désormais preuve. Avec encore plus d’évidence qu’hier, elle allie intuition et délicatesse, « ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »
Doué d’un swing ailé, avec un sens inné de l’architecture et de l’épure (« ma pensée musicale est d’abord orchestrale »), Jamal construit ses improvisations comme des collages ou des poupées gigognes. Il introduit, décale, comble, relâche, cisèle, étire, renverse, bouscule ses solos avec un art très allusif de la mise en scène. Troué de fusées d’arpèges, pailleté de fulgurances rythmiques, son jeu sait aussi se nacrer d’irisations harmoniques inouïes. Avec l’énergie d’un jeune homme, Ahmad Jamal impose son style flamboyant fait de suspensions et de réitérations contrôlées. En maître du suspense. »
Sur scène, cet inlassable « passeur » du jazz moderne, ce philosophe du swing « vertical », était vraiment fascinant. Sa présence irradiait de bonheur, sa démarche était souple et chaloupée, son visage toujours illuminé d’un sourire intense, malicieux, tendrement intelligent. Voir George Russell diriger son orchestre était un spectacle jubilatoire. Cet homme de méthode avait des gestes de swing. D’un battement de mains ou plutôt d’ailes, il savait galvaniser ses musiciens par son seul magnétisme. De ses deux mains ouvertes, il attirait, repoussait, façonnait la matière sonore que lui renvoyait l’orchestre. Tel un danseur, il mimait et accompagnait dans l’espace l’évolution spiralée de sa musique ascensionnelle pour mieux sculpter ses métamorphoses et contrôler ses tourbillons. Impressionnant !
À près de 80 ans, il n’arrivait décidément pas à faire son âge. Sa musique non plus. Depuis sa composition, Cubana Be Cubana Bop, premier acte de fiançailles de la musique afro-américaine et de la musique afro-cubaine, écrite en 1947 pour le grand orchestre de Dizzy Gillespie, jusqu’à son dernier album The 80th Birthday Concert enregistré en 2003, toute son œuvre dégage une énergie euphorisante, une force d’idées et d’émotions si évidente qu’on s’étonne qu’elle soit restée si longtemps méconnue.
Ignorée, marginalisée, sa musique fut aussi violemment rejetée. On se souvient d’un concert salle Pleyel en 1964, en première partie du quintette de Miles Davis, qui provoqua, sous les sifflets d’une partie du public, une véritable bataille d’Hernani. Aujourd’hui la cause est entendue. George Russell est célébré comme l’un des créateurs qui ont changé l’écriture du jazz, l’art d’en modeler les formes. Avec cette manière si singulière de les empiler par strates complexes les unes sur les autres avec une joyeuse minutie. Comment le définir sans le réduire ? Il était tout à la fois batteur, pianiste, chef d’orchestre, compositeur, théoricien, gourou. « Je ne suis pas un professeur. Je suis un preacher » aimait-il dire de sa voix douce et traînante, légèrement acidulé.
Tout jeune, Russell apprend la batterie. Engagé par Benny Carter, il est remplacé par Max Roach. « En l’écoutant, j’ai compris que je devais arrêter la batterie ». Il débarque à New York en 1945 avec cinq dollars en poche. Introduit par Max Roach auprès de tous les jeunes boppers, il fréquente assidûment l’appartement de Gil Evans où s’invente le jazz du futur. Alors qu’il allait être engagé par le « dieu » Charlie Parker, une tuberculose le contraint à l’isolement. Hospitalisé pendant quinze mois, il profite de son immobilisation pour se lancer dans une recherche théorique. Ses résultats favoriseront l’avènement du jazz modal. Ils seront publiés en 1953 sous le titre « Concept lydien chromatique d’organisation tonale », ambitieux système d’écriture qui conjugue la rigueur diamantine du swing avec la plus totale liberté d’improvisation. « La liberté sans la logique, aimait-il à dire, ce n’est que le chaos ».
En 1956, il enregistre pour RCA le premier album sous son nom « Jazz Workshop » avec Art Farmer et un pianiste alors inconnu, Bill Evans. Quand son ami Miles Davis lui demanda de lui recommander un pianiste, il lui présenta ce jeune timide introverti. Un an plus tard, cette rencontre donnera naissance à « Kind of Blue ». C’est dans ce chef-d’œuvre que l’on trouve « So What ». C’est pour Russell « le solo de trompette le plus lyrique de tout le XXe siècle, la première improvisation modale consciente d’elle-même ». En 1987, à la tête de son Living Time Orchestra, il mettra superbement en scène ce canonique solo de Miles.
Dégoûté par le trop peu d’écho que sa musique et son enseignement rencontrent dans son propre pays, George Russell fuit en 1964 en Scandinavie. C’est là qu’il pose les premières bases théoriques d’un nouveau concept « vertical form », système sophistiqué d’organisation polyrythmique qui irradiera jusqu’au bout toute sa musique. En Suède, il enregistre en 1968 avec Jan Garbarek et Terje Rypdal « Electronica Sonata for Souls Loved by Nature », première tentative de fusion entre bandes électroniques et grand orchestre. En 1969, il retournera aux Etats-Unis pour enseigner au New England Conservatory de Boston. Sa fracassante résurgence en 1978 sur la scène du Village Vanguard à la tête d’un big band composé de jeunes musiciens ravive les passions et relance sa carrière. Il était temps qu’on reconnaisse enfin le génie de ce magicien du concept lydien, l’artificier qui alluma en pionnier la mèche du jazz modal.
Le blog est heureux et fier de pouvoir publier les merveilleux textes d’une des plus belles plumes du jazz : Pascal Anquetil
THELONIOUS MONK : L’explorateur du silence
Thelonious Monk : 10 octobre 1917 à Rocky Mount (Caroline du Nord) – 17 février 1982 à Weehawken (New Jersey)
Phénomène d’identification ou signe d’une incontournable prédestination ? Mystère. « Misterioso ». En tout cas rarement un homme aura autant ressemblé à son nom : Thelonious « Sphere » Monk. Avec un tel état civil, il était fatal qu’il devienne ce qu’il fut : « Mad Monk » comme l’avaient surnommé des journalistes américains. Le moine fou, l’anachorète du piano jazz, l’architecte du silence qui poussa la folie de son exploration jusqu’à son ultime terme : une petite chambre que lui offrit dans sa grande maison du New Jersey la « jazz baroness » Nica de Koenigswatrer. C’est là qu’à partir de 1976 il se retira pour se murer à jamais en lui-même.
Comment s’empêcher aujourd’hui d’interroger sa vie et de mesurer son oeuvre à l’aune de ce silence ? Thelonious n’avait que deux passions : le lit et le piano, deux espaces réservés aux rêves. Deux ruses pour apprivoiser le silence. Quand il jouait sur scène, il n’était pas rare de le voir s’arracher brutalement de son piano pour sautiller sur place et exécuter, tel un derviche tourneur, quelques rotations sur lui-même. Dès qu’il retrouvait son instrument, on pouvait voir naître sur son visage une espèce d’extase. L’oeil rivé sur son clavier, les longs doigts tendus à l’horizontale, comme des baguettes, suspendus au-dessus des touches, toujours encombrés de deux énormes bagues qui le gênaient mais dont il avait besoin, il semblait questionner l’ivoire du piano. « Il m’arrive souvent d’hésiter entre deux notes avant de me décider. » Et, quand les doigts s’abattaient sur les touches, que les accords tombaient, abrupts, pour provoquer d’imprévisibles collisions, vous saviez d’évidence que c’était les seules notes possibles, finalement moins nombreuses que celles qu’on croyait entendre. Tout cela en raison de sa prodigieuse science des harmoniques.
À un journaliste qui lui demandait ce qu’il avait ressenti au contact de Monk et ce qui se passait quand il partait ailleurs, très loin, John Coltrane répondit simplement : « La vérité ». La première vérité de Monk, c’était le son. Ce son était si puissant, si impérieux qu’il transcendait tous les styles, tous les genres et aussi, tous les pianos, aussi pourris fussent-ils. Jouant sur les volumes, les contrastes et les lumières, il traitait le son comme le marbre ou le granite. Il le sculptait toujours à sa manière unique grâce à son traitement rythmique, fondé sur le discontinu (les infimes intervalles, les décalages asymétriques), mais aussi harmonique, basé sur son génie de la dissonance.
Musique paradoxale, inclassable, inassimilable tant elle est différente, il faut pour tenter de la décrire faire appel à cette figure de style qu’est l’oxymore : l’union des contraires. La musique de Monk est dans le même mouvement sereine et angoissante, fluide et minérale, ronde et ascétique, virile et fragile, drôle et austère, troublante et apaisante, énigmatique et évidente. L’une des plus belles compositions de Thelonious ne s’intitule-t-elle « Ugly Beauty » ? La beauté laide !
Musicalement, Monk demeure une énigme. Comme un météore, il a chu sur la scène new-yorkaise du jazz, à l’aube du bebop, au début des années 40, avec un style déjà presque accompli, comme si, sans avoir vraiment à chercher, il l’avait tout de suite trouvé. « J’ai toujours fait ce qui me semblait bon sans me soucier de ce qu’on voulait que je joue. » Ce mathématicien des notes n’était pas un calculateur. Toute sa vie, il ignora l’idée même de compromis. À la concession, il préféra la concision. Son exigence incorruptible, sa farouche indépendance expliquent le caractère si singulier et irréductible de sa musique. Sans origine évidente (le stride, le piano harlémite, Duke ?) mais aussi sans descendance directe (même si son influence est aujourd’hui immense), son monde reste inimitable.
Personne ne sait comme lui l’art de choisir les deux notes qui suggèrent l’accord complet, calculer l’exacte densité d’une dissonance, la longueur d’un son, le poids d’un silence, « Le son qui fait le plus de bruit, dit-il, c’est encore le silence. ». Laconique et lacunaire, sa musique avance, titube, s’effondre tout à coup dans un précipice de silence pour resurgir ailleurs, là où précisément on ne l’attend plus. C’est toujours son sens infaillible de la mise en place qui le sauve de la chute. Monk a une batterie dans la tête. Ce qui lui permet quand il joue en solitaire d’être un fulgurant dispensateur de swing. « Straight, No Chaser »
Sa carrière discographique s’étend sur seulement vingt-cinq ans, des années Blue Note et sa dernière apparition au sein des « Giants of Jazz » (1971). Son oeuvre compte à peine une soixantaine de compositions personnelles, suite de sublimes ritournelles, toutes savantes et obsédantes, aux mélodies infectieuses et aux titres insolites. L’extraordinaire dans la musique de ce magistral marginal est qu’il est impossible, au-delà de son inquiétante étrangeté, d’y déceler la moindre trace de démence. Quand on lui reprochait ses solos « bizarres », il avouait ne pas comprendre. « Tout ce que je joue est parfaitement logique ». Logique de la forme et du rythme, logique du plaisir et de l’instant. Et pourtant, on le sent bien, la folie est toujours là. Elle guide tout, borde tout. Elle mène le jeu en silence. Jusqu’au final, son ultime avant la mort. « Round about midnight »