En arrangement, l’art de maîtriser le contre-chant constitue le préambule à une bonne gestion de la conduite des voix…
Le contre-chant est une technique qui consiste à superposer une ligne musicale sur la mélodie principale, en s’appuyant sur les harmonies de celle-ci. C’est l’une des bases de l’harmonisation, considérée comme le préambule indispensable pour gérer une bonne « conduite des voix ».
En arrangement, un contre-chant doit permettre de faire comprendre le chemin harmonique, même sans la ligne de basse, et de poser les bases d’un futur voicing à 3, 4 ou 5 voix.
Un système particulièrement efficace (notamment sur les enchainements de quartes) consiste à utiliser majoritairement les tierces et septièmes des accords pour construire ce contre-chant. On qualifie alors ces tierces et septièmes de « pivots », car elles permettent de passer d’un degré à l’autre avec un chromatisme qui rend évident le changement d’accord.
Like Someone In Love…
Prenons les 8 premières mesures du standard « Indiana » :
Dans le cadre d’un arrangement pour 4 soufflants par exemple, ce contre-chant construit avec les notes importantes et considéré comme une deuxième ligne forte (Exemple 1), pourra être joué en binôme, par 2 instruments à l’unisson (on fera dans ce cas la même chose avec la mélodie). Le contre-chant pourra aussi être complété avec deux voix supplémentaires pour obtenir un voicing clair, agréable à jouer et à entendre. Dans ce cas, on sera parfois amené à faire entendre la voix du contre-chant à l’octave inférieure, pour pouvoir insérer les autres voix au milieu (Exemple 2).
Indiana…
Essayez d’en faire vous-même sur d’autres standards !
Il existe de beaux exemples de formations utilisant ce principe de 2 voix contrapontiques dans l’histoire du jazz : Gerry Mulligan /Chet Baker, Clark Terry/Bob Brookmeyer, J.J Johnson/Kai Winding, Warne Marsh/Wardell Gray etc…
Essayez d’en relever, c’est assez facile car très clair, et d’une efficacité redoutable !
Ce projet de 2017 consistait, à l’occasion des commémorations du débarquement US de 1918, à prendre 8 compositions ou morceaux du répertoire de James Reese Europe (Grand compositeur de Ragtime), et à les arranger de deux façons différentes. Une dans l’esprit du jazz des années 10/20 pour le « Spirit of Chicago », et une autre de façon plus « moderne » (Bop/hard bop…) pour le Collectif big One. Les morceaux sont donc interprétés chacun de deux façons, en miroir…
Bientôt pour les étudiants arrangeurs, une étude de scores sera disponible sur le blog. Nous décortiquerons les scores d’un morceau et analyserons la façon d’arranger dans les deux styles…
Ecrire pour Medium Band ou Big Band : Quelques règles de bon sens…
En jazz, l’arrangeur/orchestrateur est souvent amené à remodeler la mélodie, en modifier le rythme, la déstructurer parfois, ajouter des ornements, proposer en partant de la trame harmonique d’origine, ses propres enchaînements de degrés, enrichissements, substitutions, mais aussi imposer ses choix d’orchestration.
Comme en cuisine, un produit (la mélodie) doit être sublimé par la recette (l’arrangement).
Voici les 4 points importants que vous devrez sans cesse avoir à l’esprit pour réaliser un bon arrangement :
Le plan, c’est le squelette de votre arrangement. C’est lui qui va tenir l’ensemble, lui donner de la cohérence. S’il est bancal, vos idées ne seront pas mises en valeur.
2. Des lignes fortes :
Leads, contrechants, lignes de basse, choix des progressions de degrés.
C’est l’ADN de votre morceau, comme les lignes fortes et perspectives le sont en peinture ou en dessin. C’est ce qui va vous permettre d’attirer l’oreille de l’auditeur pour lui faire ensuite déguster vos couleurs orchestrales…
3. Des systèmes d’harmonisation variés :
On peut en utiliser plusieurs dans un même morceau : 2, 3, 4, 5 voix, paquets, contrepoint, binômes, unissons.
C’est le jeu des textures en cuisine ! Créez la surprise en passant subtilement d’un mode d’harmonisation à un autre.
4. Des couleurs :
Choix des instruments, distribution des voix.
Les couleurs sont générées par le choix des instruments et les mariages que vous faites entre eux. Le choix délibéré de les utiliser dans tel ou tel registre, va également influer sur les couleurs sonores.
Le Medium Band peut aller du septet (4 vents et rythmique) alto/ténor/tp/tb par exemple, au onztet (8 vents et rythmique) 4 saxes/2 tp/2 tb par exemple. L’orchestration (distribution des voix) dépend du style ou de la couleur que veut donner l’arrangeur.
Le Big Band quant à lui, est régit par la loi des sections. Ces sections sont au nombre de 4. Elles sont autonomes et se combinent entre elles pour donner le son d’ensemble. Ce qui n’empêche nullement de les disloquer pour créer un climat ou coller à un style particulier.
Pour appréhender l’écriture jazz en moyenne et grande formation, il faut, comme en musique classique, commencer par bien connaître les tessitures et les timbres des instruments, c’est la base de l’orchestration. Une des spécificités du jazz étant caractérisée par les innombrables effets utilisables : inflexions, glissando, growl, subtone, shake, fall etc…ainsi que les multiples sourdines qui peuvent être utilisées par les cuivres.
Viennent ensuite des « outils » : les modes, les substitutions et superpositions de triades ou superstructures, ces enrichissements harmoniques typiquement « jazz » qui colorent la musique. C’est la base de l’harmonisation jazz.
Je persiste à penser que l’analyse théorique d’un score, s’il contribue à comprendre la forme, les couleurs harmoniques et les timbres utilisés par tel ou tel compositeur ou arrangeur, ne peut en aucun cas avoir pour but de poser des théorèmes définitifs sur la façon d’orchestrer. Néanmoins, il y a beaucoup à apprendre en décortiquant les voicings et l’on s’aperçoit souvent que ce qui peut paraître simple et clair à l’oreille, s’avère parfois plus sophistiqué dans l’écriture qu’il n’y paraît… Pour ma part, et c’est très personnel, je préfère toujours tenter de comprendre « à l’oreille » ce qui se passe dans un arrangement, avant d’en regarder le score.
Dans la conception d’un arrangement en général et pour Médium Band ou Big Band en particulier, quel que soit le style ou l’esthétique que l’on recherche, l’observation de certaines règles d’or permet d’éviter la lourdeur, ou l’ennui…
La forme :
– Vous pouvez être original dans la forme, mais il faut un plan clair, défini au préalable. Celui-ci permettra de donner à l’auditeur des points de repère et de mettre en valeur vos idées.
–Développez en profondeur vos idées, plutôt que de les enchaîner sans suite. Pensez à faire des rappels de « l’idée maîtresse » ou de certains motifs. Évitez de faire trop de reprises, et bannissez le « copier/coller » (sauf si vous devez faire un arrangement express…)
– Recherchez la fluidité des lignes et des constants.
– Respectez l’uniformité dans le style et la couleur.
L’harmonisation et l’orchestration :
– La logique (horizontale) des voix doit apporter une justification des tensions (quel que soit le style)
Évitez les notes répétées pour les voix intermédiaires (surtout dans la rapidité). Évitez aussi de croiser les voix.
– Soignez l’équilibre des renversements de voicings. On dit qu’un bon arrangement doit pouvoir être lisible et bien sonner si l’on retire des voix (au moins une par section).
– Si vous utilisez les sections (Tp’s, Tb’s, Saxes) en « paquets », elles doivent être équilibrées et « sonner » séparément avant de « sonner » ensemble. Autrement dit, dans un tutti en « Big Shout », chaque section doit bien sonner séparément.
– N’hésitez pas à écrire un unisson pour faire ressortir un accord tendu. Alternez les systèmes. Trop de passages harmonisés peuvent générer de la lourdeur. Trop de passages à l’unisson (surtout s’ils sont mal gérés) peuvent provoquer l’ennui. Alternez tensions et apaisements, si vous surprenez l’auditeur avec quelques tensions harmoniques (ou rythmiques), rassurez-le ensuite avec un passage apaisant qui du coup, mettra votre tension en valeur. Frank Foster (immense arrangeur) me disait : « Si tu donnes une gifle, enchaîne avec une caresse »… Certains arrangeurs s’affranchissent cependant de ce théorème avec talent, mais ils ont souvent une très forte personnalité, et beaucoup d’expérience !
– Ne négligez ni ne bâclez jamais les backgrounds derrière les solistes. Vous pouvez avoir la meilleure crème glacée du monde (le solo), si le cornet en gaufrette qui l’entoure (le background) n’est pas bon, le plaisir sera gâché.
– Laissez « respirer » les instrumentistes, même dans une orchestration dense.
Si cela s’avère souvent nécessaire dans les premiers temps (qui peuvent durer quelques mois ou années ;-), évitez autant que possible d’écrire pour orchestre à partir de voicings élaborés au piano… C’est LE piège pour tout orchestrateur débutant. Ce qui sonne au piano, n’est absolument pas garanti à l’orchestre… Le choix des timbres et tessitures des instruments modifient considérablement le rendu d’un accord. Servez-vous du piano pour vérifier l’harmonisation, mais apprenez au plus vite à intérioriser et à entendre les timbres et ce que vous voulez traduire, puis orchestrez (distribuez les voix) sans le piano. Globalement, vous pouvez harmoniser au piano, mais il faut orchestrer à l’oreille.
Je ne devrais pas le dire ici, mais je le dis quand même (Il faut bien que je « livre » quelques trucs), il existe une exception à cette règle : Le seul ensemble ou section que vous pouvez orchestrer au piano sans grand risque de mauvaises surprises, c’est la section de saxes. Presque tout sonne avec des saxes, si on respecte bien les tessitures. Merci Adolphe ! Et disons-le, de manière générale, il en est de même pour tous les ensembles constitués d’instruments de la même famille.
Le rythme :
On ne peut pas parler d’arrangement sans dire un mot du rythme, qui est souvent le « parent pauvre ». On se focalise souvent en effet, sur l’harmonisation ou ré-harmonisation, mais en matière d’arrangement, de re façonnage d’une mélodie, la gestion rythmique revêt une grande importance pour faire ressortir les motifs, mettre en valeur certains accords ou certaines tensions. Une mélodie habituellement jouée en médium swing par exemple, peut être traitée par l’arrangeur, sur un tempo différent, un rythme différent, en introduisant des syncopes, des « kicks », des décalages, voire en changeant carrément la mesure ou la structure rythmique.
Sans « démystifier » on peut dire que certaines règles récurrentes (forme, voicings, harmonie, utilisation des timbres) s’appliquent à tel ou tel compositeur ou arrangeur et lui donnent sa « griffe », sa couleur personnelle.
Si Count Basie n’est pas arrangeur, son orchestre sonne de façon particulière, on le reconnaît. Sans parler de la section rythmique si particulière, on peut dire que certains arrangeurs comme Sammy Nestico, ont donné ce son unique à l’orchestre de Basie, avec comme caractéristiques principales : une écriture compacte, verticalement claire, utilisant le registre le plus aisé des instruments et le système des « block chords » à 4 ou 5 voix (Ernie Wilkins et Neal Hefti, Benny Carter, Quincy Jones, Thad Jones, autres arrangeurs de C. Basie utilisent eux aussi plus ou moins le même système). Totalement à l’inverse, Duke Ellington écrit presque exclusivement de façon horizontale, privilégiant ainsi la mélodie (y compris pour les voix intermédiaires) et va chercher les sons extrêmes des instruments.
Pour résumer : selon que l’on utilise plus ou moins les sections en « paquets » avec plus ou moins de voix (Thad jones et Quincy Jones, utilisent ce système de « paquets » mais l’enrichissent harmoniquement à l’aide des superstructures des accords de 7ième de base, chacun avec un style bien à lui), ou le contrepoint et la fugue en disloquant les sections et en utilisant des binômes (Bill Holman le roi de l’unisson savamment utilisé, Bob Brookmeyer le contrepoint), ou encore, en combinant tout cela avec l’utilisation de modes, de pédales et des couleurs orchestrales particulières (Gil Evans), on peut déjà obtenir une multitude de façon d’orchestrer et les combinaisons sont pratiquement infinies.
Quelques adjectifs et spécialités caractérisant les styles et esthétiques de grands arrangeurs.
Originalité : Jimmy Mundy « Queer Street », Duke Ellington « Koko » « Orson Wells », Gil Evans « La Nevada » « Davenport Blues », Don Grolnick « What Is This Thing Called Love »
Sophistication :Thad Jones « Tip Toe »
Elégance : Quincy Jones « For Lena and Lennie »
Unisson :Bill Holman « Airgin »
Contrepoint et développement des idées : Bob Brookmeyer « Célébration Jig », Maria Schneider « Giant Steps », Kenny Werner « Naked in the Cosmos »
Le top 20 des albums ou « faces » * de jazz indispensables.
La playlist « île déserte » histoire du jazz…
Il est bien difficile de statuer de façon péremptoire et définitive, sur les albums de jazz « indispensables », ceux qui ont bouleversé l’évolution du jazz, ou tout simplement qui l’ont porté à un tel niveau de musicalité, d’innovation, de technicité ou d’émotion, qu’ils sont gravés à jamais dans l’ADN de cette musique… Toutefois, l’on peut tenter un « Top 20 » des chefs-d’œuvre qui ont, pour différentes raisons, irradié le jazz dans ce que j’appellerais sa « période évolutive », de 1910 à 1980.
Bien que destinée à un large public d’amateurs plus ou moins éclairés, cette sélection s’adresse plus particulièrement aux néophytes et aux étudiants, qui voudraient emprunter une sorte de chemin initiatique et de découverte des styles, jalonné d’enregistrements incontournables.
Cette playlist, qui je l’espère, vous donnera envie d’aller explorer plus avant telle ou telle période, sera suivie de nombreuses autres, classées par « thèmes » (Styles, instruments, artistes).
Cette sélection (comme celles qui suivront) est bien évidemment totalement subjective et incroyablement restrictive ! Elle nécessite de faire des impasses totalement injustes sur des artistes majeurs de l’histoire du jazz (J’avais d’ailleurs au départ, opté pour un Top 10, qui s’est avéré véritablement trop réducteur…). On aurait pu y mettre tellement d’autres artistes et albums… Je tenterai de combler ces omissions volontaires dans les playlists thématiques…
*Avant l’invention du LP (Long Playing), lancé par Colombia Records en 1948 et Philips pour l’Europe en 1949, on ne parle pas « d’albums » mais de « Faces« .
Principaux critères pris en compte pour établir la sélection :
Un son de qualité correcte (surtout dans les enregistrements avant 1940)
La diversité des styles et des courants
La diversité des instrumentations et des formats d’orchestres
Le choix délibéré du rédacteur !… 😉
La playlist est établie de façon chronologique.
1 Jelly Roll Morton & Red Hot Peppers “The Chant” (1926)
Désigné (y compris par lui même) comme « inventeur du jazz », ce pianiste compositeur a joué un rôle majeur dans l’essor de la musique de jazz dans les années 20 notamment à Chicago, avec son orchestre les « Red Hot Peppers »
2 Bix Beiderbecke & his Gang “At The Jazz Band Ball” (1927)
Chef de file du « Chicago Style » dans les années 20, Bix Beiderbecke est une figure incontournable. Son « Gang » constitue vraisemblablement le meilleur de ce que l’on peut entendre du « jazz blanc » à cette période. Bix sera harmoniquement et rythmiquement très en avance sur son temps, et préfigurera ce que sera le jazz « Cool » dans les années 50.
3 Benny Goodman Trio “After You’ve Gone” (1935)
Sacré « Roi du swing » en 1938 à Carnegie Hall, Benny Goodman sera l’un des premiers à utiliser de petites formules dans le jazz swing des années 30. Il sera également le premier à employer ouvertement des musiciens noirs dans ses orchestres…
4 Dizzy Gillespie & Charlie Parker “Salt Peanuts” (1945)
Charlie Parker et Dizzy Gillespie sont clairement deux « monstres » du jazz, et leur premier quintet est un chef-d’oeuvre d’invention, de révolution, d’audace et de musicalité…
5 Miles “Davis “Birth Of The Cool” (1949)
A partir des années 50, Miles Davis sera partout ! Il va développer ce nouveau style « Cool » d’abord à New York, puis en Californie (« West Coast » style). Cet album est tout simplement révolutionnaire…
La consécration pour ce géant du piano jazz (Traité au début de sa carrière de « pianiste de bar », par la critique). Cet album est le disque de jazz le plus vendu au monde ! plus d’un million d’exemplaires en 1958…
Génie du saxophone, John Coltrane révolutionne le jazz avec notamment son système harmonique novateur. Parmi les nombreux albums qu’il enregistra avec son propre groupe, celui-ci est peut-être l’un des plus marquant…
Extraordinaire vocaliste, Nat King Cole est également l’un des pianistes majeurs de l’histoire du jazz. Cet album « Mythique » est la parfaite synthèse de son art !
10 Art Blakey & the Jazz Messengers “Moanin’” (1958)
Art Blakey, batteur incontournable, les « Jazz Messengers », orchestre incontournable. Un nombre incroyable de stars du jazz « moderne » y ont fait leurs armes… Le jazz à l’état pur !
L’album « île déserte » par excellence. La quintessence du jazz swing en grand orchestre. L’album « E=MC2 » produisit lors de sa sortie, l’effet prédit par le visuel de la pochette et propulsa Count Basie et l’orchestrateur Neal Hefti, au rang de « demi-dieux »…
Apôtre du Hard Bop, instigateur du Free Jazz et de l’agitation, tant musicale que sociale des années 50 et 60, Charlie Mingus est indissociable de l’histoire du jazz, et son message revendicatif est toujours emprunt de respect et de musicalité. « Ah Hum » est l’album qu’il ne faut pas manquer !
Duke Ellington et John Coltrane : le choc des titans ! Respect mutuel, échange, curiosité, jeu : tout dans cet album nous rappelle que la musique de jazz se fiche des styles et des dogmes pré-établis. Certains ont pu dire lors de sa sortie, qu’il s’agissait d’un délire de « producteur », sans intérêt. Mon Dieu ! Quel manque d’oreille !…
Avec Chick Corea, le jazz se mêle à la musique Hispanique, et devient plus « électrique », avec l’emploi de synthétiseurs et du célèbre piano Fender Rhodes. Un pur joyau musical !